Les forces israéliennes ont mené des frappes dévastatrices contre l'aéroport de Sanaa, suite aux attaques des Houthis contre l'aéroport Ben Gourion
(Beyrouth, le 3 juin 2025) – Les frappes aériennes israéliennes menées les 6 et 28 mai contre l'aéroport international de Sanaa, au Yémen, étaient apparemment des attaques illégales, indiscriminées ou disproportionnées contre des biens civils et devraient faire l'objet d'une enquête en tant que crimes de guerre, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les attaques menées par les Houthis, qui ont délibérément ciblé l'aéroport Ben Gourion et d'autres infrastructures civiles en Israël, devraient également faire l'objet d'enquêtes en tant que crimes de guerre.
Les attaques israéliennes ont détruit tous les avions commerciaux qui étaient garés à l'aéroport de Sanaa, empêchant les civils de voyager et limitant l'accès de l'aide humanitaires. Avant les deux frappes israéliennes, les Houthis ont attaqué l'aéroport Ben Gourion ; l’une des frappes aurait blessé quatre personnes.
« L'aéroport de Sanaa joue un rôle vital pour les civils yéménites, dont beaucoup dépendent de l'aéroport comme seul moyen d'accéder aux soins médicaux nécessaires », a déclaré Niku Jafarnia, chercheuse sur le Yémen et Bahreïn à Human Rights Watch. « L'armée israélienne a désormais coupé ce lien vital, privant de nombreux Yéménites de leur principal point d'accès au monde extérieur. »
Les attaques des forces israéliennes ont détruit quatre avions de Yemenia Airways – la seule compagnie aérienne assurant des vols commerciaux pour les passagers de Sanaa – et endommagé et détruit d'importantes parties de l'aéroport. Quatre autres avions, dont un avion cargo, ont également été détruits, selon l'analyse d’images satellite examinées par Human Rights Watch.
Human Rights Watch a aussi analysé des vidéos et des photographies prises par la chaîne d'information Al-Masirah, dirigée par les Houthis, et publiées sur les réseaux sociaux. Les vidéos suivant la première attaque montrent quatre avions en feu et des dégâts à la façade et à l'intérieur des bâtiments de l'aéroport, y compris l'entrée principale. Des photos et des images satellite prises après la seconde attaque montrent un autre avion de Yemenia Airways qui a été détruit.
Avant la première frappe du 6 mai, le porte-parole en langue arabe de l'armée israélienne (Israel Defense Forces, IDF), Avichay Adraee, a publié sur X un avertissement incitant les autorités aéroportuaires à évacuer l'aéroport. Les compagnies aériennes et les responsables de l'aéroport ont peut-être également reçu un avertissement plus tôt, car un vol des Nations Unies prévu à l'aéroport de Sanaa à 13h30 a été annulé. Des vidéos de l'attaque ont été diffusées sur les réseaux sociaux vers 15h45, heure locale.
Des images satellite enregistrées le lendemain (7 mai) montrent sept avions détruits sur le tarmac et de graves dommages au terminal principal. Huit autres points d'impact sont visibles sur la piste et les voies de circulation, rendant l'aéroport inutilisable. Le 8 mai, Adraee a indiqué sur X que les attaques avaient « mis l'aéroport de Sanaa complètement hors d’état de fonctionner ».
Khaled al-Shaif, directeur de l'aéroport de Sanaa, a déclaré à Al Jazeera que l'attaque avait « détruit les terminaux de l'aéroport, le bâtiment d'approvisionnement et six avions, et causé de graves dommages à la piste ».
Trois sources à l'aéroport ont déclaré à Reuters que la base aérienne militaire adjacente avait également été attaquée. Cependant, Human Rights Watch n'a identifié aucune frappe directe sur les bâtiments de la base aérienne, d'après l'analyse des images satellite. Ces bâtiments avaient été en grande partie détruits avant cette attaque.
Le 15 mai, le premier avion affrété par l'ONU depuis l'attaque du 6 mai a pu atterrir à l'aéroport de Sanaa. Entre cette date et l'attaque du 28 mai, les vols commerciaux ont également repris. Les vols n'ont pas repris depuis la deuxième attaque.
Les forces israéliennes ont mené leur deuxième attaque le matin du 28 mai. Des civils, dont des pèlerins attendant un vol pour l'Arabie saoudite et des membres du personnel de l'organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF), se trouvaient à l'aéroport au moment de l'attaque, mais aucun blessé n'a été signalé. Cette fois-ci, Avichay Adraee n'a publié aucun avertissement de l’IDF sur X. Human Rights Watch a analysé les images d'une vidéo qui semble avoir été filmée par les caméras de sécurité de l'aéroport. La vidéo montre des personnes débarquant rapidement de l'Airbus A320-233 de la compagnie Yemenia, apparemment au moins 45 minutes avant l'impact. Un panache de fumée s'élève à l'est de l'appareil tandis que les sirènes des pompiers retentissent. Cela pourrait indiquer que l’IDF a donné un avertissement avant l'attaque. Selon un site web de suivi des vols, l'avion a atterri à 9h28, et les ombres projetées par les passagers débarquant de l'appareil indiquent qu'il était environ 9h30. L'attaque qui a détruit l'avion a probablement eu lieu entre 10h15 et 11h00, selon les médias et les publications sur les réseaux sociaux.
Les forces israéliennes ont précédemment attaqué l'aéroport de Sanaa en décembre 2024. Cette attaque avait fait au moins quatre morts et au moins 18 blessés, selon le ministère de la Santé des Houthis, dont un membre d'équipage d'un vol de l'ONU. Le directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’apprêtait à embarquer à bord du même avion au même moment.
Cet aéroport est le seul de Sanaa et le seul à proposer des vols internationaux en provenance du territoire contrôlé par les Houthis, où vit la majorité de la population yéménite. Il constitue également un point d'entrée essentiel pour le personnel humanitaire et une partie de l'aide humanitaire, et est également utilisé pour les vols de l'ONU. Les Houthis ont saisi les avions de Yemenia en juin 2024. Peu après, les Houthis ainsi que le gouvernement yéménite internationalement reconnu ont convenu d'autoriser les vols entre Sanaa et Le Caire (Égypte), Amman (Jordanie), et l’Inde.
Les agences de l'ONU et les organisations non gouvernementales ont souligné l'importance de l'aéroport de Sanaa pour les civils. Après l'attaque des forces israéliennes en décembre 2024, le Coordinateur résident des Nations Unies pour le Yémen, Julien Harneis, présent à l'aéroport le jour de l'attaque, a rappelé que l'aéroport est un « site civil utilisé par les Nations Unies ». Il a également affirmé que l'aéroport est « absolument vital » pour la poursuite de l'aide humanitaire au Yémen. Julien Harneis a déclaré à Human Rights Watch : « Les services de santé au Yémen sont rudimentaires. Des habitants âgés souffrent de diabète, de cancer et de maladies non transmissibles pour lesquelles ils ne peuvent se faire soigner au Yémen. L'aéroport a toujours été essentiel pour évacuer ces personnes. »
Afrah Nasser, journaliste yéménite et ancienne chercheuse à Human Rights Watch, a souligné en 2024 que « près de 60 % des patients [cancéreux] [au Yémen] décèdent en raison du manque de ressources, d'outils et de services médicaux, et de la pénurie de médicaments dans les centres de traitement du cancer ».
L'armée israélienne (IDF), en réponse à des questions transmises par Human Rights Watch le 19 mai, a déclaré qu'elle « frappait des cibles militaires légitimes appartenant au régime houthi au Yémen » ; l’IDF a affirmé avoir mené ces frappes « avec une précision maximale, et que des mesures avaient été prises pour limiter les dommages causés aux civils et aux infrastructures civiles ». L’IDF a aussi affirmé sur X que l'aéroport de Sanaa est « une plaque tournante pour le transfert d'armes et d'agents du régime terroriste houthi ».
Human Rights Watch n'a toutefois pas pu trouver de preuves que les terminaux et les avions touchés aient été utilisés par les Houthis à des fins militaires. L'armée israélienne n'a fourni aucun détail à l'appui de ses affirmations.
L'armée israélienne a déclaré que les deux attaques constituaient une riposte aux attaques des Houthis contre l'aéroport international de Tel Aviv - David Ben Gourion, principal aéroport d'Israël. Les Houthis ont mené de nombreuses attaques contre cet aéroport depuis 2023, dont plusieurs au cours de la semaine précédant les frappes israéliennes du 28 mai. Les forces et les systèmes de défense israéliens ont intercepté la plupart des attaques houthies, mais une attaque du 4 mai n'a pas pu été interceptée, et aurait fait quatre blessés.
Le droit de la guerre interdit les attaques délibérées, indiscriminées ou disproportionnées contre des civils et des biens civils. Une attaque qui ne vise pas un objectif militaire spécifique est indiscriminée. Une attaque est disproportionnée si les pertes civiles attendues sont excessives par rapport au gain militaire attendu de l'attaque. Les attaques susceptibles de causer plus de dommages aux civils et aux structures civiles que le gain militaire attendu de l'attaque sont interdites.
Les attaques délibérées contre des biens indispensables à la survie constituent des crimes de guerre.
« Les forces israéliennes ont mené à plusieurs reprises des attaques illégales contre des infrastructures civiles essentielles au Yémen, à Gaza et au Liban, en toute impunité », a déclaré Niku Jafarnia. « Les pays qui continuent de fournir des armes à Israël risquent de se rendre complices de ces graves attaques, et de partager la responsabilité des graves dommages causés aux civils yéménites et autres. »
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