Introduction
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Le présent rapport, qui porte sur la période allant de janvier à décembre 2022, est soumis en application de la résolution 2467 (2019), dans laquelle le Conseil de sécurité m’a prié de lui faire rapport chaque année sur l’application de ses résolutions 1820 (2008), 1888 (2009), 1960 (2010), 2106 (2013) et 2467 (2019) et de lui recommander des mesures stratégiques.
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En 2022, la militarisation et la prolifération des armes illicites se sont intensifiées à la suite d’une série de changements de gouvernement anticonstitutionnels, exposant les populations civiles à des niveaux accrus de violences sexuelles, dans un contexte de réduction de l’espace civique et d’affaiblissement de l’état de droit dans les pays touchés par des conflits. Les groupes armés étatiques et non étatiques ont continué à s’en prendre aux populations civiles et à se livrer à des viols, à des viols collectifs et à des enlèvements. Les groupes désignés comme terroristes par l’Organisation des Nations Unies, d’autres groupes armés non étatiques et les réseaux criminels transnationaux ont utilisé la violence sexuelle comme tactique, en en faisant un facteur supplémentaire de déstabilisation dans des contextes qui se caractérisaient déjà par leur fragilité. Dans certains pays, les autorités nationales ont assis leur pouvoir grâce à un ensemble d’acteurs, y compris des milices ou des sociétés et groupes militaires et de sécurité privés, qui ont combattu aux côtés des forces armées nationales. Il est dès lors encore plus compliqué de trouver qui sont les coupables des crimes graves, y compris les violences sexuelles, ce qui a aggravé les problèmes rencontrés pour déterminer les responsabilités. Dans plusieurs pays, on a observé un emploi disproportionné de la force en réponse aux manifestations et protestations civiles, y compris le r ecours au viol comme instrument de répression et d’intimidation politique. Les militants et militantes et les défenseurs et défenseuses des droits des personnes survivantes ont fait l’objet de représailles, notamment de violences sexuelles et de harcèlement. Le fait que les établissements de santé publique ont parfois été pris pour cibles a entravé l’accès des personnes survivantes aux services alors même que les besoins étaient de plus en plus importants. Dans un contexte d’aggravation des crises humanitaires et des chocs économiques, les violences sexuelles ont entravé les activités de subsistance des femmes et l’accès des filles à l’éducation, tout en générant des profits pour les groupes armés et les groupes extrémistes violents par le biais de la traite des êtres humains, alimentée par les conflits.
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Dans plusieurs pays, les violences sexuelles ont toujours cours et le phénomène a même gagné en sévérité, notamment en Éthiopie, en Haïti, en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. En Ukraine, la mission de surveillance des droits de l’homme et la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine ont documenté et signalé des cas de violences sexuelles commises comme forme de torture et de traitement inhumain contre les populations civiles et les prisonniers et prisonnières de guerre (A/77/533). En mai 2022, ma Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit a signé au nom du système des Nations Unies un cadre de coopération avec le Gouvernement ukrainien pour prévenir et combattre les violences sexuelles liées aux conflits.
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L’impunité est restée la norme, tandis que les menaces émergentes dans l’espace numérique largement non gouverné et la combinaison de l’insécurité climatique, de la fragilité de l’état et des inégalités structurelles entre les genres ont encore plus exposé les femmes et les filles aux violences sexuelles liées aux conflits. L’affaiblissement ou l’effondrement des institutions de l’état de droit ont créé un risque de basculement dans le non-droit, en érodant ce qui devait être la première ligne de défense contre les crimes atroces. Par ailleurs, l’impunité dont jouissent ceux qui se rendent coupables de violences sexuelles liées aux conflits a des effets délétères et montre à quel point il est important d’exploiter le pouvoir de l’état de droit en matière de prévention, ce qui est un principe central de Notre Programme commun (A/75/982). Il n’y a pas de meilleure garantie de prévention que le respect par les États des responsabilités qui leur incombent en matière de droits humains, comme je l’ai souligné dans mon appel à l’action en faveur des droits humains. Pour les populations vulnérables, cela signifie qu’il faut renforcer la résilience individuelle et institutionnelle face aux chocs économiques, aux problèmes de sécurité et aux chocs climatiques, notamment en favorisant un environnement propice à une participation réelle des femmes et des communautés à risque aux processus politiques et processus de consolidation de la paix. L’État a notamment pour obligation de garantir l’accès des personnes ayant survécu à des violences sexuelles liées à un conflit à des services multisectoriels, à la justice et à des réparations.
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Dans le présent rapport, l’expression « violences sexuelles liées aux conflits » recouvre des actes tels que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, les grossesses forcées, l’avortement forcé, la stérilisation forcée, le mariage forcé, ainsi que toute autre forme de violence sexuelle d’une gravité comparable, perpétrés contre des femmes, des hommes, des filles ou des garçons, et ayant un lien direct ou indirect avec un conflit. Ce lien peut tenir à plusieurs éléments : le profil des auteurs, qui sont souvent rattachés à des groupes armés, étatiques ou non, y compris des groupes désignés comme terroristes par l’Organisation des Nations Unies ; le profil de la victime, qui souvent appartient ou est soupçonnée d’appartenir à une minorité politique, ethnique ou religieuse persécutée, ou est prise pour cible en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre, réelle ou supposée ; l’existence d’un climat d’impunité, généralement associé à l’effondrement de l’État ; la présence de phénomènes transfrontaliers (déplacement, traite) ; la violation de dispositions d’un accord de cessez-le-feu. Le terme renvoie également à la traite des personnes à des fins de violences ou d’exploitation sexuelles lorsqu’elle s’inscrit dans des situations de conflit.
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De nombreuses populations sont exposées à la menace des violences sexuelles liées aux conflits, en sont les témoins ou en subissent les retombées, cependant le présent rapport ne porte que sur les pays pour lesquels l’Organisation dispose d’informations vérifiées. Il convient de le lire en conjonction avec les 13 rapports précédents, dans lesquels figure l’ensemble des raisons qui ont présidé à l’inscription sur la liste de 49 parties (voir annexe). Ces parties sont pour la plupart des acteurs non étatiques, dont plusieurs ont été désignés comme groupes terroristes et inscrits sur la liste du Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999), 1989 (2011) et 2253 (2015) concernant l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech), Al-Qaida et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associées. Les forces militaires et forces de police nationales qui figurent sur la liste sont tenues de prendre des engagements et d’adopter des plans d’action spécifiques assortis de délais pour lutter contre les violations, et il leur est interdit de participer aux opérations de paix des Nations Unies. Le respect effectif des engagements pris, y compris la cessation des violations, est l’un des principaux éléments pris en compte pour déterminer si une radiation de la liste est envisageable. Les parties aux conflits, y compris les groupes armés non étatiques sont également tenus de mettre en place des plans d’action visant à prévenir et combattre la violence sexuelle, conformément aux obligations qui sont les leur au regard du droit international human itaire et des résolutions du Conseil de sécurité sur la question.
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Le déploiement de conseillères et conseillers pour la protection des femmes, qui sont chargé(e)s de réunir sur le terrain les dispositifs de suivi, d’analyse et d’établissement de rapports sur les violences sexuelles liées aux conflits, a permis à l’Organisation d’obtenir plus rapidement des informations plus précises et plus fiables, ce qui a pallié le manque de données qui sert souvent de prétexte à l’inaction. L’approfondissement de la base factuelle nécessite une volonté politique et des ressources soutenues. À ce jour, le Conseil de sécurité a explicitement demandé le déploiement de conseillères et de conseillers dans les autorisations et renouvellements de mandat de 10 opérations de paix. En tout, quatre missions de maintien de la paix et quatre missions politiques spéciales ont mis en place un dispositif de suivi spécial et intégré dans leur structure de protection des indicateurs relatifs aux violences sexuelles établis à des fins d’alerte rapide. Le déploiement rapide de conseillères et conseillers est une priorité qui fait largement consensus, cependant le niveau des ressources humaines et budgétaires n’est pas du tout à la hauteur du défi. À ce jour, les conseillères et conseillers pour la protection des femmes n’ont été déployés que dans 8 des plus de 20 couverts par le présent rapport. En novembre, le Groupe informel d’experts chargé de la question des femmes et de la paix et de la sécurité a tenu sa réunion annuelle avec ma Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit et quatre conseillères et conseillers hors classe pour la protection des femmes afin d’examiner les stratégies qui permettraient de faire progresser l’exécution du mandat consistant à prévenir et combattre les violences sexuelles liées aux conflits (S/2022/1005). Lors de cette réunion, ma Représentante spéciale a recommandé notamment que ces postes soient intégrés dans les budgets ordinaires des opérations de paix des Nations Unies, en particulier pendant les processus de transition, et a demandé que des contributions soient réservées au déploiement de conseillères et conseillers pour la protection des femmes dans toutes les situations préoccupantes, y compris dans les centres régionaux en réponse aux dynamiques transfrontalières, et dans les bureaux des coordonnatrices et coordonnateurs résidents et humanitaires des Nations Unies, conformément à la résolution 2467 (2019) du Conseil de sécurité.
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En 2022, le réseau interinstitutions Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit, a continué d’orchestrer les efforts déployés par plus de 20 entités du système des Nations Unies pour prévenir et combattre les violences sexuelles liées aux conflits. Ce réseau est le principal forum de coordination par lequel ma Représentante spéciale encourage les efforts déployés pour être unis dans l’action. Il apporte également un soutien stratégique au niveau national par l’intermédiaire du fonds d’affectation spéciale pluripartenaires pour les violences sexuelles liées aux conflits. Ce mode de financement commun des programmes favorise l’approche axée sur les personnes rescapées présentée dans la résolution 2467 (2019) du Conseil de sécurité. Entre 2009 et 2021, 54 projets ont été appuyés dans 17 pays touchés par des conflits, ainsi qu’une série d’initiatives régionales et mondiales. En 2022, la Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit a vu le financement d’un projet novateur en République démocratique du Congo, mis en œuvre par des coopératives locales de femmes dans 13 sites miniers qui n’étaient pas touché par le conflit. Grâce à ce projet, des centaines de personnes ayant survécu à des violences sexuelles liées au conflit et travaillant dans le secteur de l’exploitation minière artisanale ont pu bénéficier d’une aide sur les plans médical, psychosocial et juridique et aux fins de leur réintégration socioéconomique. Pour renforcer la prévention sur les plans structurel et opérationnel, le réseau a lancé en septembre un cadre pour la prévention des violences sexuelles liées aux conflits, qui articule une démarche à deux volets visant à prévenir la violence sexuelle, d’abord en s’attaquant à ses causes profondes systémiques, et ensuite en atténuant les répercussions secondaires qu’elle a sur les personnes et les communautés touchées, telles que la stigmatisation et les représailles auxquelles elle donne lieu. En outre, le réseau a publié un livre blanc sur les possibilités de mobilisation du secteur privé à l’appui des efforts déployés pour lutter contre ce fléau.
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En 2022, conformément au mandat dont elle avait été investie au titre de la résolution 1888 (2009) du Conseil de sécurité, l’Équipe d’experts de l’état de droit et des questions touchant les violences sexuelles commises en période de conflit a continué d’aider les autorités nationales de plus d’une dizaine de pays à renforcer les institutions chargées d’assurer l’état de droit afin que les violences sexuelles liées aux conflits soient davantage réprimées. En Guinée, le tribunal spécial chargé de juger Moussa Dadis Camara, l’ancien Président, et 10 autres hommes accusés d’être responsables du massacre et des viols massifs commis le 28 septembre 2009 en Guinée, a ouvert ses portes pour la première fois en septembre 2022, en présence de ma Représentante spéciale. L’Équipe avait appuyé le processus de détermination des responsabilités depuis plus d’une décennie en apportant une assistance technique soutenue aux autorités guinéennes, y compris un appui à un panel national de juges pendant la phase de l’investigation, de 2012 à 2017, et, à la demande du Ministère de la justice en 2022, des conseils sur la législation relative aux réparations et à la protection des victimes et des témoins. En Ukraine, l’Équipe a appuyé la mise en œuvre du cadre de coopération, notamment en ce qui concerne le renforcement de l’état de droit et la détermination des responsabilités pour les crimes de violences sexuelles, en apportant un appui au secteur de la justice et en concevant des programmes de réparations pour les victimes ainsi qu’en prenant des mesures d’atténuation des risques face au phénomène de la traite des personnes liées au conflit à des fins d’exploitation sexuelle et de prostitution ; elle a procédé à un examen juridique complet des dispositions du droit pénal ukrainien concernant les violences sexuelles liées aux conflits ; et elle a contribué à l’élaboration d’une stratégie en vue de l’adoption d’une approche de la gestion des affaires centrée sur les personnes survivantes et les témoins, sous la conduite du Bureau du Procureur général. En République centrafricaine, l’Équipe a collaboré avec d’autres entités des Nations Unies pour aider la police nationale et les autorités judiciaires à élaborer un plan d’investigation, qui a permis de recueillir plus de 120 témoignages relatifs à des violences sexuelles. En République démocratique du Congo, l’Équipe a fourni un soutien technique sur les réparations pour les victimes de crimes internationaux, conformément aux plans du Gouvernement visant à établir un fonds national pour l’offre de réparations aux victimes de violences sexuelles. Au Soudan, l’Équipe a mené une évaluation technique collaborative de la réponse de la justice pénale aux violences sexuelles liées au conflit, sur la base de laquelle elle a co-organisé six sessions de formation sur mesure à l’intention des autorités. En outre, elle a soutenu le rétablissement du Forum de justice pénale Nord-Darfour, qui joue un rôle clé dans la coordination de la réponse à ces crimes dans la région. L’Équipe a continué à mettre en œuvre les dispositions législatives types et orientations sur les enquêtes et les poursuites en matière de violences sexuelles liées aux conflits et à diffuser les enseignements tirés en matière de lutte contre le terrorisme, de répression de la traite des êtres humains et de maintien de l’ordre, ainsi qu’en ce qui concerne la justice réparatrice.
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Conscient qu’il convient de distinguer les violences sexuelles liées aux conflits imputables à des parties belligérantes des actes d’exploitation et des atteintes sexuelles qui continuent d’être commis par des membres du personnel des Nations Unies dans des environnements opérationnels complexes, je réaffirme que je suis déterminé à améliorer la façon dont l’Organisation s’emploie à empêcher de tels comportements et à renforcer les mesures qu’elle prend pour y répondre. Dans mon rapport sur les dispositions spéciales visant à prévenir l’exploitation et les atteintes sexuelles (A/77/748), j’ai fourni des informations sur les efforts faits, à l’échelle du système, pour lutter plus efficacement contre ce phénomène et faire pleinement respecter la politique de tolérance zéro.