Suite à la Journée mondiale de la santé (7 avril), un appel à l’amélioration du financement de la santé publique
- De nouvelles données de l’Organisation mondiale de la Santé révèlent que dans de nombreux pays, le financement public des soins de santé n’est pas à la hauteur des obligations en matière de droits humains.
- La grande majorité de la population vit dans des pays où le faible financement public compromet l’accès aux soins de santé. Parfois, cela s’explique par des contraintes majeures, telles que la guerre et la dette, mais souvent, les gouvernements n’en font tout simplement pas une priorité.
- Les gouvernements devraient veiller à ce que chacun puisse jouir de son droit à la santé en réduisant la dépendance à l’égard de sources de financement régressives. Les gouvernements plus riches devraient soutenir les réformes fiscales appropriées et procéder à une restructuration ou à un allègement de la dette si nécessaire.
(Genève) - De nouvelles données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) révèlent que dans de nombreux pays, le financement public des soins de santé n’est pas à la hauteur des obligations en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
La plupart des personnes ont un accès limité aux services de soins de santé, même ceux que les Nations Unies considèrent comme les plus « essentiels ». Alors que partout dans le monde, les systèmes de santé sont sous le choc suite au retrait soudain d’une grande partie l’aide étrangère des États-Unis, les gouvernements plus riches devraient envisager de restructurer ou d’alléger leur dette. Cette mesure, associée à des réformes fiscales adaptées, peut contribuer à améliorer le financement des soins de santé publics.
« La grande majorité des gens dans le monde vivent dans des pays où leur accès aux soins de santé est compromis en partie par un faible financement public », a déclaré Matt McConnell, chercheur auprès de la division Justice et droits économiques de Human Rights Watch. « Parfois, cela s’explique par des contraintes majeures telles que la guerre et la dette, mais souvent, les gouvernements n’en font tout simplement pas une priorité. Dans tous les cas, les gens souffrent ».
Human Rights Watch a analysé la dernière Base de données mondiale des dépenses de santé de l’OMS en date, qui comprend des données sur les dépenses de santé de l’année 2022 pour plus de 190 pays dans le monde. Ces données montrent que le financement public des soins de santé s’est affaibli à mesure que la pandémie de Covid-19 se résorbait et que l’inflation mondiale augmentait.
Le droit international dicte aux gouvernements l’obligation de respecter, de protéger et de garantir tous les droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit à la santé, qui nécessite l’accès à des établissements, des produits et des services de santé de qualité. Les pays doivent consacrer autant de ressources que possible à la promotion du droit à la santé et éviter tout retour en arrière, ce qui peut se produire lorsque les gouvernements réduisent le financement des systèmes de santé ou ne parviennent pas à répondre aux besoins croissants de leur population.
La plupart des gouvernements ne dépensent pas suffisamment pour que les systèmes de santé puissent garantir le droit à la santé. En 2022, 141 gouvernements ont consacré moins de 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la fourniture de soins de santé par des moyens publics. Ce pourcentage représente une référence internationale en matière de dépenses qui est largement acceptée pour évaluer les dépenses de santé. Cette année-là, environ 84 % de la population mondiale, soit 6,6 milliards de personnes, vivaient dans un pays où le financement des soins de santé publics n’atteignait pas ce seuil.
Les pays riches s’appuient généralement davantage sur des sources publiques pour financer les soins de santé que les pays pauvres. Mais le niveau de soutien financier public varie considérablement tant dans les pays riches que dans les pays pauvres, ce qui indique qu’il s’agit, au moins en partie, du résultat de choix politiques.
De nombreux facteurs viennent brouiller la relation entre les dépenses publiques de santé et l’amélioration des résultats en matière de santé, notamment les déterminants sociaux et commerciaux de la santé. Mais ces données montrent également que des niveaux plus élevés de financement public sont généralement en corrélation avec un meilleur accès aux soins de santé.
Les réductions du financement public des soins de santé doivent être examinées au regard du respect des droits de l’homme et, à moins d’être pleinement justifiées par les gouvernements, comme souligné par le Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, elles peuvent constituer des violations des droits de l’homme.
En raison de l’insuffisance du financement public, la charge du financement des soins de santé est transférée aux individus et aux ménages, ce qui peut considérablement compromettre leur accès aux soins, en particulier pour les personnes à revenus faibles ou irréguliers. Dans de nombreux pays, y compris certains des plus pauvres du monde, de larges segments de la population n’ont pas d’autre choix que d’assumer eux-mêmes leurs frais de santé s’ils veulent être soignés.
Ces obstacles à l’accès au soin fondés sur les coûts sont incompatibles avec les soins de santé en tant que droit humain pour tous. Ils peuvent aussi miner la capacité des gens à payer les biens et services essentiels à la réalisation d’autres droits humains, notamment le logement, l’alimentation et l’éducation.
Les ressources financières sont limitées et inégalement réparties, mais les données de l’OMS montrent que de nombreux gouvernements pourraient faire mieux. Si 17 gouvernements à faible taux d’imposition avaient porté leurs recettes fiscales à 15 % du PIB en 2022 — le « seuil de basculement » identifié par la Banque mondiale, qui est bien inférieur à la moyenne mondiale de 23 % du PIB — ils auraient pu collecter plus d’argent que nécessaire pour consacrer au moins 5 % de leur PIB aux soins de santé.
De nombreux pays, en particulier dans le Sud mondial, sont confrontés à d’importantes contraintes financières et pratiques qui entravent le financement adéquat des soins de santé par des moyens publics. Certains pays riches peuvent avoir contribué à bon nombre de ces contraintes, notamment par l’expropriation forcée de ressources, et devraient envisager d’assumer une responsabilité particulière pour contribuer à les atténuer.
En 2022, au moins 48 gouvernements à revenu faible ou intermédiaire ont payé plus pour le service de la dette à des créanciers étrangers que ce qu’ils ont dépensé pour les soins de santé de leur population. Toujours en 2022, les fonds provenant de gouvernements étrangers ou d’organismes intergouvernementaux tels que la Banque mondiale couvraient plus de 20 % des dépenses de santé dans 49 pays et constituaient le principal mécanisme de financement dans 16 pays, dont beaucoup connaissent aujourd’hui des déficits financiers suite à la suspension de l’aide et de l’assistance étrangères des États-Unis et à d’autres réductions potentielles de financement.
En janvier 2025, le président américain Donald Trump a signé un décret suspendant environ 44 milliards de dollars d’aide et d’assistance à l’étranger, ce qui a engendré des perturbations dans l’allocation d’une somme estimée à 12,4 milliards de dollars à la résolution des crises sanitaires urgentes dans le monde. Bien que l’administration ait ensuite accordé des dérogations limitées pour permettre à certains de ces fonds de continuer à soutenir des programmes vitaux de protection et de promotion des droits humains, les effets de cette suspension se font toujours sentir et risquent de compromettre encore davantage le droit à la santé dans de nombreux pays.
Les gouvernements s’appuient à des degrés divers sur les impôts pour financer les dépenses sociales. Pourtant, l’augmentation des recettes fiscales permet à la fois d’accroître les ressources financières disponibles pour les services sociaux tels que les soins de santé, de rétablir un équilibre dans la jouissance des droits et éventuellement d’améliorer la redevabilité des pouvoirs publics.
Les gouvernements devraient garantir le droit à la santé. À cet effet, ils devraient réduire le recours à des sources de financement régressives telles que les frais à la charge des patients. Ils devraient également augmenter les recettes publiques destinées aux soins de santé en mettant en place un impôt progressif et en luttant contre la fraude fiscale, a déclaré Human Rights Watch.
Ils devraient enfin garantir la transparence et la redevabilité du gouvernement en fixant des objectifs spécifiques pour leurs dépenses de santé, par exemple un seuil minimum de 5 % du PIB ou de 15 % des dépenses publiques, et en améliorant la collecte et la publication de données fiables sur les dépenses de santé qui permettent de suivre les progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs.
Les gouvernements les plus riches devraient respecter leurs obligations de coopération et d’aide internationales. Les gouvernements créanciers devraient évaluer les conséquences que les paiements de la dette engendrent pour les capacités des gouvernements débiteurs à respecter leurs obligations en matière de droits humains ; ils devraient également proposer une restructuration ou un allègement de la dette lorsque cela est nécessaire pour permettre aux gouvernements débiteurs de financer de manière adéquate les soins de santé. Ces gouvernements devraient également soutenir les réformes des règles fiscales internationales axées sur les droits au cours des négociations en cours sur la convention fiscale de l’ONU, et apporter un soutien financier aux initiatives multilatérales en matière de santé mondiale, en particulier dans le contexte de la récente forte réduction de l’aide financière apportée par les Etats-Unis.
Les prochains mois offriront aux gouvernements de multiples occasions de progresser vers la réalisation du droit à la santé, notamment lors de la 78e Assemblée mondiale de la santé, qui se tiendra en mai, de la 4e Conférence internationale sur le financement du développement, en juin, et du 2e Sommet social mondial, en novembre.
« Le fait de savoir qui paie et comment est un facteur clé qui rend les systèmes de santé plus ou moins résistants face aux types de chocs subis ces dernières années », a conclu Matt McConnell. « La réduction des inégalités dans le financement des soins de santé entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci est essentielle pour mettre en place des systèmes de santé qui fonctionnent pour tous et pour faire en sorte que nous ne laissons plus des milliards de personnes de côté.
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