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Perturbations de la scolarité liées à la pandémie et impacts sur les indicateurs de maîtrise des apprentissages : étude des petites classes

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Ce rapport a été rédigé par Martin Gustafsson

RÉSUMÉ

Lorsqu’il a parlé de « catastrophe générationnelle » en évoquant l’impact du COVID-19 sur la scolarisation, António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, s’est fait l’écho des inquiétudes d’individus et d’organisations du monde entier. Les jeunes et les enfants prennent du retard sur leur apprentissage, et l’impact de ce retard pourrait se faire sentir pendant des décennies, en particulier si l’on prend en compte ses effets sur le développement économique et les revenus futurs.

Ce rapport se concentre sur les impacts de la pandémie sur l’apprentissage, en particulier dans le cadre de l’indicateur 4.1.1 de l’Objectif de développement durable (ODD) 4. Au cours des deux dernières décennies, les compétences d’apprentissage se sont avérées cruciales pour le développement humain, en particulier pour les plus jeunes enfants. Il est désormais clair que l’amélioration de ces compétences est indispensable pour assurer le développement économique futur et la construction de sociétés plus solidaires et égalitaires. Les indicateurs qui concernent les compétences d’apprentissage sont parmi les plus débattus dans le cadre des ODD.

Plusieurs tentatives ont déjà eu lieu pour de comprendre et quantifier les pertes d’apprentissage causées par la pandémie, dans le but d’orienter les stratégies d’atténuation. Ce rapport est l’une de ces tentatives. Fin 2020, alors que la pandémie était loin d’être derrière nous, il est devenu clair que ses effets sur l’apprentissage et la scolarisation étaient importants, mais il était encore trop tôt pour les évaluer avec précision. En outre, si les acteurs de l’éducation du monde entier ont répondu présents face à la crise, souvent de manière héroïque et novatrice, les approches optimales d’atténuation des répercussions à long terme restent difficiles à définir. L’ampleur et la nature des menaces que représente la pandémie pour l’éducation sont sans précédent. Il existe beaucoup d’informations sur la manière dont s'effectue l’apprentissage, et sur ce qui améliore la qualité de l’éducation. Ces informations sont cruciales pour orienter les stratégies futures et mieux comprendre les spécificités de la pandémie et de la scolarisation.

Ce rapport met en évidence certaines spécificités notables. Il met l’accent sur les problèmes que les planificateurs de l’éducation connaissent et doivent gérer. Même si le modèle développé pour ce rapport s’appuie sur des données nationales, son but n’est pas d’offrir des lignes directrices aux différents pays. Au contraire, il vise à établir des projections d’ordre mondial et à identifier les dynamiques sur lesquelles les planificateurs doivent se concentrer. Il s’agit entre autres de l’ampleur et de la nature des perturbations entraînées par la pandémie, au niveau non seulement des écoles, mais également des institutions préscolaires, de la relation entre les perturbations du temps de contact des apprenants et les diminutions des compétences d’apprentissage, du mouvement des cohortes d’âge dans le système scolaire et de ses répercussions sur les niveaux de compétence futurs et les stratégies d’atténuation, de ce que la reprise signifie en termes d’accélération de l’apprentissage et du moment auquel un retour aux trajectoires envisagées avant la pandémie peut être espéré.

Le modèle utilisé pour obtenir ces projections, dans un fichier Excel, prend comme point de départ un modèle de projection publié par l’Institut de statistique (ISU) de l’UNESCO peu avant le début de la pandémie. L’une des données clés de ce nouveau modèle est le temps de contact avec les enseignants perdu par les enfants, par pays, entre février et novembre 2020, exprimé en pourcentage de l’année scolaire normale. Ces statistiques prennent en compte les fermetures partielles, y compris les cours en présentiel mais en demi-groupe selon un planning de rotations. En moyenne, au 11 novembre, l’enfant moyen avait perdu 54 % du temps de contact de l’année. Le temps perdu est ensuite converti en une fraction d’une année d’apprentissageperdue. Les données obtenues avant et pendant la pandémie mettent en évidence un effet important : les interruptions du temps de contact entraînent des pertes d’apprentissage plus importantes que ce que le temps réel perdu pourrait laisser supposer. C’est parce que les apprenants ont tendance à oublier les compétences acquises, même celles acquises avant l’interruption. Un « taux d’oubli » de 2,0 est utilisé dans ce modèle : pour chaque mois de temps de contact perdu, deux mois d’apprentissage sont considérés comme perdus. La valeur de 2,0 a été déterminée à partir des données limitées disponibles quant à l’ampleur de ce ratio. Si 54 % de l’année scolaire a été perdue en moyenne, c’est donc un peu plus d’un an d’apprentissage qui a été perdu. Ce modèle prend en compte le fait qu’un an d’apprentissage ne veut pas dire la même chose dans tous les pays du monde : pour les pays dont les performances sont relativement mauvaises dans les évaluations internationales, le volume d’apprentissage sur une année scolaire est plus faible. Le modèle présuppose que les pertes d’apprentissage de chaque pays vont de pair avec une augmentation des inégalités : les apprenants qui avaient auparavant de bons résultats et qui étaient souvent avantagés sur le plan socio-économique subissent une perte plus légère que ceux qui n’avaient pas de bons résultats.

Au-delà de 2020, le modèle présuppose que les apprenants qui rentrent par exemple en classe de niveau sixième resteront moins performants que ce que l’on aurait pu attendre sans la pandémie, car ces élèves auront perdu du temps d’apprentissage par le passé. En fait, sans mesure de rattrapage, les élèves de niveau sixième seront en retard jusqu’en 2025, car les élèves qui étaient au niveau CP en 2020 rentreront en sixième cette année-là. Cependant, le modèle présuppose que même au-delà de 2025, les élèves de niveau sixième subiront les répercussions des événements de 2020, car les perturbations engendrées par la pandémie affectent également les institutions préscolaires. Même si les données sur les perturbations subies par les institutions préscolaires en 2020 sont très limitées, il semble qu’elles sont similaires à celles subies par les classes de CP et au-delà. Le modèle se base sur les données de l’ISU sur la scolarisation préscolaire pour évaluer les effets probables des perturbations subies par élèves des établissements préscolaires de chaque pays.

Il prend également en compte la possibilité que les enfants à naître en 2020 pourraient également subir des difficultés de développement cognitif exceptionnelles. Cette hypothèse se base sur des preuves qu’un choc social et économique tel que cette pandémie peut avoir des répercussions durables et particulièrement importantes pour les enfants à naître au moment du choc. Pour de nombreux pays, ces effets pourraient ne pas durer plus de quelques années ; il semble néanmoins important de garder leur importance à l’esprit pour toutes les projections prenant en compte des cohortes d’enfants qui étaient à naître pendant la pandémie.

La trajectoire qui a été décrite est illustrée par la courbe rouge du graphique, qui se concentre sur le niveau CE2. La courbe rouge représente le nombre d’enfants de niveau CE2 dans le monde. Ces chiffres sont tirés des données de chaque pays et d’hypothèses telles que le taux d’oubli de 2,0 mentionné ci-dessus.

En 2019, environ 59 % des 132 millions d’enfants qui devraient être au niveau CE2 dans le monde savaient lire. En 2019, 54 millions d’enfants ne savaient donc pas aussi bien lire qu’ils le devraient. Parmi ces 54 millions, environ 12 millions n’étaient pas scolarisés du tout en 2019. Ils sont considérés comme n’ayant pas le niveau de connaissance requis dans le cadre de cette analyse. Les chiffres du niveau de compétences en mathématiques sont similaires. Il est estimé que les pertes d’apprentissage engendrées par la pandémie pourraient réduire le pourcentage d’enfants sachant lire au niveau CE2 à 49 %. Ceci signifie que le nombre d’enfants qui ne savent pas lire à cet âge augmenterait de 54 à 68 millions. La pandémie pousserait donc 14 millions d’enfants de niveau CE2 sous le niveau de compétence attendu.

La courbe rouge pointe vers un retour à la trajectoire de compétence originale pour le niveau CE2 uniquement en 2030. Les courbes grise et noire reflètent des scénarios de rattrapage ou d’atténuation réussis sous la forme d’une augmentation du volume d’apprentissage. Par exemple, la courbe grise représente une accélération de 10 % par an. Ceci signifie que les apprenants devraient apprendre chaque année 10 % de plus que pendant une année scolaire normale afin de retrouver le niveau qu’ils auraient eu sans la pandémie. Dans ce scénario, le retour à la trajectoire envisagée avant la pandémie aurait lieu plus tôt, en 2027. L’accélération de l’apprentissage est à l’ordre du jour depuis de nombreuses années, en particulier dans les pays en développement, et de nombreuses recherches étudient la manière de mettre en place des stratégies optimales. Cependant, il ne faut pas oublier que l’accélération pour permettre à un système d’apprentissage d’atteindre de nouveaux niveaux de compétence n’est pas la même chose que l’accélération pour récupérer d’une pertepar rapport aux niveaux de compétence historiques. La récupération sera probablement plus facile à réaliser, car les enseignants et les administrateurs connaissent le résultat final souhaité et le considèrent probablement comme souhaitable et réalisable.

La trajectoire initiale (en vert sur le graphique) envisage une amélioration graduelle, mais continue. Cette trajectoire se base sur des projections déjà publiées par l’ISU construites à partir des données qui montrent des gains en apprentissage dans le cadre de programmes de tests internationaux. Ce graphique est un rappel d’un point important. Les pays qui enregistraient des progrès avant la pandémie doivent déterminer quels étaient les facteurs qui permettaient ce progrès. Ces facteurs, qui ont probablement un lien avec la qualité de la formation des nouveaux enseignants, le soutien apporté aux enseignants et les systèmes de responsabilisation, doivent continuer à être au cœur des efforts. Les planificateurs doivent équilibrer l’attention portée aux programmes d’atténuation visant à combler les pertes d’apprentissage par rapport aux besoins continus de favoriser le développement à long terme. Pour le dire autrement, tout en corrigeant les pertes d’apprentissage engendrées par la pandémie, les pays doivent également assurer que les nouveaux apprenants qui entrent dans le système scolaire sans avoir subi les perturbations causées par la pandémie (même s’ils ont pu subir des perturbations préscolaires) atteignent des niveaux de compétence proches des niveaux enregistrés avant la pandémie, ou mieux encore, conformes aux trajectoires d’amélioration envisagées pour le pays avant la pandémie.

Ce rapport fournit également des projections pour la fin de l’école primaire et le collège. À ces niveaux, des dynamiques similaires se font sentir, mais le retour aux trajectoires pré-pandémie est atteint environ trois ans plus tard pour la fin du primaire et cinq ans plus tard pour la fin du collège. Ces retards peuvent être réduits grâce à l’accélération d’apprentissage adéquate.

Les projections des trois niveaux analysés (CE2, sixième et quatrième) permettent d’estimer combien d’enfants parmi le 1,06 milliard des huit cohortes d’âge, qui correspondent aux classes du CP à la quatrième, seraient en-dessous du seuil à cause de la pandémie. Le nombre d’enfants de ces âges qui tombent sous ce seuil passerait de 483 millions à 581 millions en 2020. La pandémie pousserait presque 100 millions d’enfants sous le seuil de compétences. Ce nombre ne prend pas en compte les enfants qui subiraient des baisses d’apprentissage au niveau préscolaire et qui continuerait à en subir les effets au niveau CP, ni les adolescents scolarisés à partir du niveau troisième qui souffriraient les effets de la pandémie sur l’éducation.

Certains défis clés ne sont pas représentés dans le graphique à la page 3. Le premier est que les budgets alloués à l’éducation devraient baisser à cause des effets économiques de la pandémie. Ceci va amplifier les problèmes, en particulier si les enseignants ont le sentiment qu’ils doivent supporter une trop grande part des coupes budgétaires et si le budget alloué aux salaires des enseignants force une réduction des dépenses sur le matériel éducatif. Les coupes budgétaires qui impacteraient les programmes de cantine scolaire pourraient avoir des répercussions négatives sévères sur le développement physique et cognitif des enfants des foyers pauvres. Le rapport aborde ces questions qui rentrent d’une manière ou d’une autre dans le champ de compétences des planificateurs de l’éducation.

Cependant, ceux-ci ont peu de contrôle sur les effets économiques de la pandémie sur les foyers, en particulier en ce qui concerne l’aggravation de la pauvreté. Ces effets économiques peuvent engendrer une augmentation du pourcentage d’enfants déscolarisés. À la date d’écriture de ce rapport, l’ampleur de ces effets sont peu connus. La pauvreté peut être un obstacle à la scolarisation des enfants des foyers les plus en difficulté. La réduction du travail des enfants, la gratuité de l’école dans de nombreux pays et la prise en charge des frais de cantine au cours des deux dernières décennies sont des facteurs importants qui peuvent limiter le taux de décrochage, y compris pour les apprenants les plus jeunes.

Malheureusement, une augmentation du décrochage ne devrait pas affecter de manière substantielle les indicateurs de compétence de l’ODD. C’est parce que les pays les plus à risque d’un décrochage massif sont également ceux où les enfants avaient des niveaux de compétences faibles, même avant la pandémie. En Afrique subsaharienne en particulier, seuls 20 % des enfants jusqu’au niveau CE2 savent lire, même si 81 % des enfants en âge d’aller à l’école primaire sont scolarisés. Étant donné les liens forts entre le contexte socio-économique et l’apprentissage, il est possible de dire que peu d’apprenants (sauf ceux issus de la classe moyenne) atteignent le niveau de compétences souhaitées. En outre, comme les pauvres sont plus à risque de quitter l’école, il y aurait plus d’enfants déscolarisés ne sachant pas lire et moins d’enfants ne sachant pas lire à l’école. Il est clair que même si une augmentation de la déscolarisation n’a pas un impact important sur les statistiques de compétences de l’ODD, c’est un problème grave, par exemple pour la nutrition et le bien-être psychologique des enfants. En outre, il existe plusieurs degrés de « non-compétence ». Les enfants doivent être aussi proches que possible du niveau de compétences souhaité pour leur âge.

Parmi les 100 millions d’enfants des huit cohortes d’âge qui passeraient sous le seuil de compétences, 34 millions viennent d’Asie centrale et du Sud, tandis que 29 millions viennent d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Ces deux régions seraient les plus touchées en termes absolus. En ce qui concerne l’évolution des pourcentages d’enfants ayant le niveau de compétences requis, la plus forte baisse se fait sentir en Amérique Latine et aux Caraïbes, de 70 % à 51 % au niveau CE2 par exemple. Les baisses en Afrique subsaharienne sont relativement faibles. Ceci est dû au fait que même en 2019, le pourcentage d’enfants ayant le niveau de compétences requis était bas, par exemple 20 % au niveau CE2. La plupart des pertes d’apprentissage subies dans la région concerneraient des enfants déjà en-dessous du seuil de compétence. Pour le dire autrement, les indicateurs de l’ODD sur les compétences en termes d’apprentissage donnent une impression tronquée des impacts de la pandémie sur l’apprentissage en Afrique subsaharienne.

Les pays dont les programmes de suivi des progrès sont efficaces, par exemple pour la lecture au début de l’école primaire, seront bien placés pour comparer les tendances futures probables sans la pandémie aux résultats réels avec la pandémie, comme présenté dans ce rapport. De telles comparaisons permettront de déterminer les effets de la pandémie sur les résultats de l’apprentissage et quelles mesures d’atténuation sont les plus adaptées. Les pays qui ne disposent pas de tels programmes de suivi auront plus de mal à interpréter les causes des tendances inhabituelles auxquelles nous pouvons nous attendre dans les années à venir. Surtout, ces pays auront probablement du mal à déterminer le volume exact des pertes d’apprentissage initiales de 2020. Le choc infligé à l’apprentissage par la pandémie doit être une incitation à mieux reconstruire, en particulier à améliorer le suivi de l’apprentissage ainsi que la formation des enseignants, le soutien apporté aux écoles et les systèmes de responsabilisation des écoles.