Les États et Territoires insulaires océaniens sont aux avant-postes du changement climatique : l’élévation du niveau de la mer, l’intensification des cyclones et les inondations côtières menacent leur existence même. Leur vulnérabilité et leur isolement géographique, et en particulier la faible altitude des atolls, exacerbent les effets dévastateurs du dérèglement climatique, ce qui montre bien l’importance de la lutte contre les répercussions irréversibles des pertes et préjudices, autrement dit les dégâts causés par le changement climatique qui dépassent toutes les mesures faisables d’adaptation.
En dépit des engagements pris à l’échelle internationale pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, l’inadéquation des mesures laisse de nombreuses îles du Pacifique face à une réalité de plus en plus dure : leur territoire devient inhabitable. Les populations doivent envisager des décisions difficiles concernant leur adaptation, leur réinstallation et la préservation de leur identité culturelle.La question des pertes et préjudices va bien au-delà des coûts économiques directement mesurables et des efforts classiques d’atténuation et d’adaptation. Elle intègre en effet la prise en compte d’effets immatériels mais à l’impact profond, par exemple la perte des liens ancestraux, des savoirs traditionnels et du patrimoine culturel qui définissent l’essence de ces nations insulaires.
Le double impact des pertes et préjudices
Aux Fidji et en Nouvelle-Calédonie, la dégradation de l’environnement transforme les paysages physiques, mais bouleverse également les pratiques culturelles qui définissent les communautés depuis des générations.
Aux Fidji, ce sont ainsi des villages entiers, à l’image de Vunidogoloa et de Tukuraki, qui ont dû être déplacés du fait des graves bouleversements de l’environnement, tels qu’inondations côtières, intrusions salines, érosion du littoral ou encore glissements de terrain. Mosese Nabulivou, Chargé de l’adaptation au changement climatique au sein du ministère fidjien de l’Environnement et du Changement climatique, souligne que ces déplacements ne sont pas de simples mouvements physiques, mais constituent une rupture profonde pour les liens ancestraux, les coutumes traditionnelles et les pratiques culturelles des communautés.
« Un exemple concret des répercussions du changement climatique sur les communautés traditionnelles des Fidji est le déplacement du village de Vunidogoloa à cause des graves inondations côtières, des intrusions salines et de l’érosion du littoral. Un autre exemple est le déplacement du village de Tukuraki, dans la province de Ba, du fait des glissements de terrain catastrophiques causés par de fortes précipitations. »Mosese Nabulivou, Climate Adaptation Officer with Fiji’s Ministry of Environment and Climate Change
Si les Fidji sont aux prises avec la question des déplacements, la Nouvelle-Calédonie doit faire face à des menaces pour ses écosystèmes marins, sa sécurité alimentaire et les pratiques culturelles qui leur sont associées. Yolène Koteureu, engagée en faveur de la préservation des cultures et des droits des populations autochtones, souligne la profondeur des liens culturels et spirituels dans le domaine agricole :
« Le réchauffement et l’acidification des océans affectent les migrations et les zones de reproduction des baleines, et perturbent leur chaîne et leurs cycles alimentaires. Pour les Kanak, cela menace les traditions culturelles, car les baleines jouent un rôle essentiel dans la mythologie, les rituels et les marqueurs agricoles, tels que la plantation des ignames. »Yolene Koteureu, Indigenous Rights and Cultural Preservation Advocate
Intégrer les savoirs traditionnels aux stratégies de résilience à la CPS
La CPS soutient les pays dans la mise en œuvre de différentes stratégies permettant de prendre en compte les pertes et préjudices tout en préservant les savoirs traditionnels :
Le Projet de renforcement de la sécurité et de la résilience dans le Pacifique – phase II (BSRP II),financé par l’Union européenne et mis en œuvre par la CPS, consiste notamment à construire des logements résistant aux cyclones et des centres d’évacuation dans les communautés vulnérables, telles que le village de Tukuraki, ce qui permet de limiter les pertes et préjudices susceptibles d’être causés par des phénomènes météorologiques extrêmes.
La CPS a également lancé une "base de données sur les savoirs traditionnels relatifs au climat et à la météorologie dans le Pacifique". Cette initiative vise à consigner les pratiques et savoirs autochtones transmis de génération en génération. En intégrant ces méthodes ancestrales aux données scientifiques modernes, elle permet non seulement de préserver tout un patrimoine culturel, mais aussi de doter les communautés d’outils innovants afin de composer avec les répercussions du changement climatique.
En s’attaquant à la question des pertes et préjudices potentiels pour les systèmes alimentaires, la Communauté océanienne pour l’agriculture biologique et le commerce éthique (POETCom) joue un rôle de premier plan pour donner aux communautés les moyens de protéger les écosystèmes et de préserver les savoirs traditionnels. Cette association est à l’œuvre partout dans le Pacifique, pour améliorer la formation, renforcer les capacités et élaborer des outils dans l’objectif de promouvoir les pratiques agricoles biologiques.
Le Centre d’étude des cultures et des arbres du Pacifique (CePaCT), joue également un rôle essentiel aux côtés des communautés, en consignant des variétés de cultures climato-résilientes et culturellement importantes, en préservant leur patrimoine génétique et en les diffusant, ce qui aide les populations océaniennes à remettre en place des cultures alimentaires importantes à l’issue de catastrophes, ainsi qu’à limiter la perte d’espèces.
Enfin, la CPS travaille avec les populations du Pacifique afin d’évaluer les répercussions du changement climatique sur les pêches côtières et la pêche hauturière, avec, notamment, une grande étude sur la migration des thons et la reconstitution des stocks à l’ère du dérèglement climatique, ainsi que le risque important de pertes et préjudices socioéconomiques qui y est associé.
Cette démarche plurisectorielle atteste de l’engagement de l’Océanie en faveur de l’alliance des savoirs traditionnels, de la science moderne et des pratiques durables, dans le but de renforcer la résilience face au changement climatique.
Patrimoine culturel et financements climatiques:
une interaction essentielle
À l’heure où les pays du Pacifique relèvent les défis du dérèglement climatique, les financements climatiques jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans l’équilibre entre la résilience environnementale et la préservation du patrimoine culturel. Yolène Koteureu explique ainsi que
« l’accès aux financements climatiques est essentiel pour que les pays océaniens puissent traiter efficacement la question des pertes et préjudices, mais il subsiste des obstacles de taille. En effet, les communautés coutumières ont souvent du mal à composer avec la lourdeur administrative des fonds internationaux pour le climat, car elles n’ont pas les compétences techniques nécessaires pour respecter leurs exigences strictes. »
Nabulivou souligne pour sa part l’importance que peuvent revêtir des mécanismes de financements climatiques sur mesure :
« Nous devons accorder la priorité aux financements de projets pilotés par les communautés, qui intègrent les savoirs traditionnels et les pratiques culturelles aux stratégies d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à ses effets. »
La CPS a donc conclu des partenariats cruciaux avec la Nouvelle-Zélande et le Danemark afin de renforcer les démarches fondées sur des éléments factuels dans le domaine des pertes et préjudices. Le soutien du ministère néo-zélandais des Affaires étrangères et du Commerce (MFAT) a ainsi facilité la mise sur pied d’initiatives de renforcement des capacités propres aux pertes et préjudices. Quant à l’accord conclu entre le Danemark et la CPS, il met l’accent sur la collecte de données exhaustives auprès des ménages et des communautés, dans le but d’orienter la planification, les politiques et la préparation à l’échelle régionale. Espen Ronneberg, Conseiller en changement climatique à la CPS, évoque ainsi les futures stratégies :
« Au cours des années à venir, la CPS entend procéder à une cartographie systématique des capacités en matière de pertes et préjudices ainsi qu’à une évaluation des besoins de la région, afin d’optimiser la pertinence et l’efficacité de ses réponses. Par ce travail exhaustif de cartographie, elle mettra sur pied, en coopération avec d’autres organisations, des solutions fondées sur des éléments factuels permettant de renforcer les capacités locales et régionales pour surmonter les difficultés dans le domaine des pertes et préjudices. Cette action apportera une contribution essentielle au soutien des demandes de justice climatique formulées par les pays insulaires océaniens. »Espen Ronneberg, Climate Change adviser at SPC
Le traitement de la question des pertes et préjudices dans le Pacifique nécessite d’allier les savoirs traditionnels et les sciences modernes, ainsi que d’améliorer l’accès à des financements climatiques équitables. L’action de la CPS apporte des solutions pratiques à ces défis urgents. La survie des populations du Pacifique et de leur identité unique est une responsabilité mondiale commune.