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Le Secrétaire général de la Fédération internationale à l’ONU : le "réajustement" humanitaire exige que le secteur soit « aussi local que possible, et aussi international que nécessaire »

Le 18 juin 2025, le Secrétaire général de la Fédération internationale, Jagan Chapagain, a prononcé une allocution lors de la séance d’ouverture du Segment des affaires humanitaires du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations Unies, tenu au Palais des Nations à Genève, en Suisse.

La discussion a porté sur ce que le secteur humanitaire devrait faire pour se réformer à un moment où les fonds humanitaires sont fortement réduits et où les besoins sont de plus en plus importants. (Une vidéo de la session est disponible ici, les remarques du secrétaire général de l'IFRC apparaissant à environ 1 heure 30 minutes de la vidéo.]

"Merci, Madame la vice-présidente. Merci à Tom [Fletcher, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordinateur des secours d'urgence au Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies) pour cette excellente introduction et ce merveilleux discours plus tôt.

En ce qui concerne votre question [du modérateur : "Quels seront, selon vous, les éléments clés de l'approche du travail humanitaire après la réinitialisation ?], vous avez bien sûr beaucoup entendu parler de la sorte de réinitialisation collective dont Tom a parlé dans la matinée et à l'instant. J'aimerais vous faire part du point de vue de l'IFRC.

L'écoute

Dès la fin de l’année dernière, nous avions déjà lancé un processus d’écoute, bien avant que la crise de financement actuelle ne prenne une telle ampleur. Car nous estimons qu’il est extrêmement important pour les organisations de faire preuve d’humilité de manière régulière — de se remettre en question, de vérifier si nous sommes encore en phase avec la réalité ou non. Il ne s’agit pas de savoir si nous faisons bien ou mal les choses.

En tant que Croix-Rouge, je crois que nous avons toujours bien travaillé, mais il existe toujours des opportunités pour améliorer notre efficacité, réduire les coûts et élargir la portée de nos programmes.

Dans le cadre de ce processus, nous avons écouté plus de 2 000 voix — dont plus de la moitié provenaient des communautés locales. Et certaines idées fortes en ont émergé, qui sont d’ailleurs parfaitement en phase avec le processus de réajustement ("Reset") que nous discutons actuellement de manière plus large au sein du secteur humanitaire.

1.Renforcer la localisation et la responsabilité

L’un des premiers enseignements tirés de ce processus, c’est que le système humanitaire, après le réajustement, devra être très local — mais un local ancré dans la redevabilité. Une redevabilité non pas dans le sens de transférer les risques vers les acteurs locaux, mais de partager les risques et d’agir de manière responsable.

Il s’agit réellement de redonner la prise de décision au niveau local. Et je pense à la collègue d’Afghanistan [qui est intervenue plus tôt] : ce qu’elle a dit, c’est que vous n’avez pas besoin de nous pousser depuis l’étranger. Nous sommes déjà là. Et d’une certaine manière, nous avons cette idée qu’il faut "mettre" les acteurs locaux en première ligne. Non, ils y sont déjà. Ce qu’il faut, c’est les suivre. Et je pense que nous devons avoir le courage de suivre les acteurs locaux qui sont déjà sur le terrain.

En tant que l'IFRC, nous avons toujours défendu le principe de la localisation, mais nous croyons aussi que la solidarité mondiale reste nécessaire dans de nombreux contextes. Et lorsqu’on parle de solidarité mondiale, il est essentiel, aujourd’hui, de mettre nos paroles en actes — aussi bien du côté des donateurs que de nous, en tant qu’organisation internationale

Nous, les donateurs et les agences engagées dans le Grand Bargain, nous étions engagés à ce que 25 % des financements internationaux mobilisés soient destinés aux acteurs locaux.

Mais nous n’en avons collectivement reçu que 2 %.

Cela ne peut pas nous suffire. Sinon, nous continuerons simplement à parler sans agir. Pourtant, nous avons le pouvoir de changer cela, personne ne nous en empêche. Alors, faisons-le.

Et pour partager cela avec vous, chers collègues : à l'IFRC, nous avons décidé d’augmenter cet objectif à 75 %. Nous ne nous contenterons pas de 25 %. C’est ce changement d’ambition que nous voulons porter.

2. Renforcer la focalisation humanitaire et la collaboration

Maintenant, le deuxième message qui ressort, selon moi, c’est que le système humanitaire, en tant qu’ensemble, et nous en tant qu’organisations, devons renforcer la collaboration.

Comme tu l’as dit, Tom : pas de silos, pas d’ego.

Mais en parallèle, nous devons aussi être beaucoup plus conscients de nos propres dérives de mandat (mission creep).

Parfois, nous mettons en place des mécanismes de coordination complexes? qui, peut-être, n’auraient pas été nécessaires si nous ne nous éloignions pas nous-mêmes de notre mandat initial.

Nous nous engageons dans des dérives de mission, ce qui complique tout. Nous nous chevauchons les uns les autres, et ensuite, nous créons un mécanisme compliqué pour constater : « Ah, en fait, nous n’aurions pas dû sortir de notre mandat ».

C’est pourquoi nous devons renforcer la focalisation humanitaire. Revenir à l’essentiel, faire preuve de discipline, nous-mêmes, afin que la vie de Tom soit plus facile… voire que Tom ne soit plus nécessaire !

Je pense que si nous arrivons à rendre le poste de Tom superflu, ce serait un vrai succès !

Et oui, nous devons aussi diversifier nos approches et modèles de financement.
À l'IFRC, nous développons des modalités de financement innovantes, mais il nous faut désormais les déployer à grande échelle.

3. Redoubler d’efforts en diplomatie humanitaire pour faire avancer les causes humanitaires

Le troisième point concerne un véritable enjeu de diplomatie de gestion: comment préserver notre espace humanitaire, protéger les travailleurs humanitaires, faire respecter nos principes et les normes internationales ? Et je pense qu’à nouveau, nous devons agir collectivement pour faire avancer cela. Notre appel aux gouvernements, aux États, est le suivant : vous devez tenir vos alliés responsables avec autant de rigueur que vos adversaires.

Dans le système actuel, on a tendance à condamner rapidement ses ennemis, mais à fermer les yeux sur les agissements de ses amis. Et pour moi, tant que nous n’aurons pas le courage de demander des comptes à nos alliés, nous ne surmonterons pas le sentiment d’impunité qui règne à travers le monde. Il nous faut également, en tant qu’acteurs humanitaires, faire preuve de discipline: nous ne devons pas prétendre nous substituer aux responsabilités des États.

La plupart des crises actuelles, et la pression croissante sur les organisations humanitaires, proviennent du fait qu’il n’y a pas eu de solutions politiques durables. Et tant qu’il n’y aura pas de solutions politiques, les humanitaires, même avec 200 milliards, ne pourront pas résoudre ces problèmes. Des solutions politiques sont indispensables.

4. Accélérer la transformation numérique et l’adoption éthique de l’intelligence artificielle

Quatrièmement, nous vivons aussi à l’ère du numérique. Je pense donc que nous, en tant qu’organisation et en tant que système humanitaire, devons nous adapter à la digitalisation et à une adoption éthique de l’intelligence artificielle. Et cela, c’est mon fils qui m’a demandé de le mentionner , il étudie l’intelligence artificielle.

5. Une organisation qui agit avec plus d’efficacité et d’efficience, portée par une culture du changement

Et enfin… enfin, je pense qu’il est extrêmement important que nous, en tant qu’organisation, disposions à la fois de la capacité et de la culture de la transformation. L’époque des plans à 5 ou 10 ans est révolue. Le monde évolue si rapidement que même les plans annuels deviennent obsolètes. Il faut déjà les actualiser au bout de moins de six mois. Et nous ne pourrons y faire face que si le système humanitaire réajusté est porté par une véritable culture et une réelle capacité de transformation, ainsi que par l’humilité dont j’ai parlé plus tôt. Reconnaître ses faiblesses ou accepter le changement n’est pas une faiblesse — c’est une force. Seules les personnes fortes, seules les organisations solides, sont capables de faire cela.

Vrai réajustement = Localement

Chers collègues, nous sommes ici avec des règles, des expériences et des perspectives différentes — mais un seul intérêt commun.

Tom, je te cite : comment pouvons-nous mieux travailler ensemble pour servir l’humanité.

Si nous sommes vraiment sérieux au sujet de la transformation de la réponse humanitaire, alors nous devons l’être tout autant en ce qui concerne le transfert du pouvoir, des ressources et des responsabilités — vers celles et ceux que nous cherchons à aider.

Cela signifie : le niveau local.

Local. Local et encore local.

Mais un local soutenu par la solidarité mondiale. Aussi local que possible, aussi international que nécessaire. Ainsi, un véritable réajustement humanitaire, du point de vue de l'IFRC, repose sur trois piliers : agir avec humanité, anticiper avec clairvoyance, et intervenir avec redevabilité. Et tout cela fonctionne au mieux lorsque le local est au cœur.

Merci infiniment.