Les trois pays baltes, ainsi que la Finlande et la Pologne, exposent les civils à des risques à long terme
(New York, 1er juillet 2025) – Le retrait de cinq pays européens du traité international qui interdit les mines antipersonnel de manière efficace depuis plusieurs années met inutilement la vie de civils en danger, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Le 27 juin, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont déposé auprès du siège des Nations Unies leurs instruments de retrait de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel de 1997 ; ces retraits devraient prendre effet dans six mois. Début juin, les parlements de deux autres pays – la Finlande et la Pologne – ont officiellement approuvé des propositions relatives à leurs propres retraits de la Convention ; leur notification de l’ONU devrait suivre prochainement.
« Les cinq pays européens ayant choisi de se retirer de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel mettent en danger leurs propres civils, et effacent des années de progrès accomplis pour éradiquer ces armes indiscriminées », a déclaré Mary Wareham, directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Ces pays ont pourtant une expérience directe du danger à long terme que représentent les mines antipersonnel, ce qui rend leur acceptation de ces armes largement discréditées difficile à comprendre. »
Les mines antipersonnel sont conçues pour exploser en réponse à la présence, à la proximité ou au contact d'une personne. Elles sont généralement posées à la main, mais peuvent également être dispersées par des avions, des roquettes et de l'artillerie, ou encore par des drones et des véhicules spécialisés. Ce sont des armes intrinsèquement indiscriminées qui ne font pas la distinction entre soldats et civils. Les mines terrestres non explosées représentent un danger à long terme, jusqu'à leur déminage et leur destruction.
La Convention sur l'interdiction des mines, entrée en vigueur le 1er mars 1999, interdit totalement les mines antipersonnel et oblige les pays à détruire leurs stocks, à déminer les zones minées et à venir en aide aux victimes. Au total, 166 pays ont ratifié cette Convention, les plus récents étant les Îles Marshall le 12 mars et le royaume des Tonga le 25 juin.
La Russie n'a pas adhéré à la Convention, et ses forces ont largement utilisé des mines antipersonnel en Ukraine depuis l'invasion russe à grande échelle en 2022, faisant des victimes civiles et contaminant des terres agricoles. L'Ukraine, bien que ce soit un État partie à la Convention sur l'interdiction des mines, a aussi utilisé des mines antipersonnel depuis 2022 ; l’Ukraine a reçu ce type d’armes de la part des États-Unis en 2024, en violation du traité.
Le 29 juin, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé avoir signé un décret proposant le retrait de ce pays de la Convention sur l'interdiction des mines. Cette mesure sera désormais examinée par le Parlement ukrainien. En vertu de l'article 20 de la Convention sur l'interdiction des mines, un retrait ne prend effet que six mois après la notification officielle de l'ONU par un État. Toutefois, l’article 20 inclut aussi cette clause qui pourrait s’appliquer à l’Ukraine : « Cependant, si à l’expiration de ces six mois, l’État partie qui se retire est engagé dans un conflit armé, le retrait ne prendra pas effet avant la fin de ce conflit armé ».
Par ailleurs, les articles de cette Convention « ne peuvent faire l’objet de réserves » (article 19).
« L'Ukraine étant en guerre, sa proposition de retrait de la Convention constitue de fait une manœuvre symbolique visant à se couvrir politiquement alors que ce pays bafoue l’interdiction formelle de développer, produire ou utiliser des mines antipersonnel », a déclaré Mary Wareham. « Mais le recours accru aux mines antipersonnel risque de faire de nouvelles victimes civiles et d’engendrer des souffrances, à court terme et à long terme. »
L'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie a fait plus de 13 300 morts et plus de 32 700 blessés parmi les civils. Selon la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations Unies en Ukraine, le nombre de victimes civiles au cours des cinq premiers mois de 2025 a augmenté de 47 % par rapport à la même période en 2024.
Les cinq États membres de l'Union européenne ont fait valoir que les préoccupations sécuritaires suscitées par l'invasion continue de l'Ukraine par la Russie étaient la principale raison de leur retrait du traité. Chacun des cinq pays a suivi une procédure d'approbation parlementaire formelle, mais précipitée.
Lors de réunions intersessions tenues à Genève du 17 au 20 juin (avant la 22ème Assemblée des États parties à la Convention prévue en décembre), les États parties, y compris ceux ayant annoncé leurs retraits, ont passé cinq heures à discuter des implications de ces retraits. Un groupe de pays africains mené par l'Afrique du Sud a exhorté ces États à « revoir leur position »et à« revenir à la table des négociations », car « les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui exigent davantage de coopération, et non moins ». Ce groupe a ajouté : « Nous devons collectivement préserver l'intégrité et l'universalité du traité d'interdiction des mines. »
Le 16 juin, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a déclaré qu’il était « profondément préoccupé » par les retraits du Traité d'interdiction des mines, qualifiant cette action de « particulièrement inquiétante, car elle risque d'affaiblir la protection des civils et de compromettre deux décennies d'un cadre normatif qui a sauvé d'innombrables vies ». António Guterres a annoncé le lancement d’une nouvelle campagne mondiale visant à renforcer le soutien aux instruments de désarmement humanitaire tels que le traité d'interdiction des mines et aux efforts de déminage.
Le 17 juin, 101 lauréats du prix Nobel ont publié une déclaration conjointe (datée du 30 mai), mettant en garde contre les retraits en raison du risque de dommages civils et pour éviter de porter atteinte aux normes juridiques et humanitaires établies de longue date. Les lauréats ont spécifiquement critiqué la Russie et les États-Unis, deux pays qui n'ont pas interdit ces armes, pour avoir porté atteinte aux normes du Traité d'interdiction des mines et mis en danger les civils.
Parmi les lauréats du prix Nobel de la paix qui ont soutenu cet appel figurent le Dalaï-Lama et les anciens présidents Lech Walesa (Pologne), Juan Manuel Santos (Colombie), Oscar Arias Sánchez (Costa Rica) et José Ramos-Horta (Timor-Leste), ainsi que les membres de l'Initiative Nobel des femmes Jody Williams, Shirin Ebadi, Leymah Gbowee, Tawakkol Karman, Narges Mohammadi et Oleksandra Matviichuk.
Human Rights Watch, qui a cofondé la Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres (ICBL), colauréate du prix Nobel de la paix 1997, a également soutenu cette déclaration.
Le 17 juin, Tun Channereth, ambassadeur de l'ICBL et survivant cambodgien de mines antipersonnel, a remis cette déclaration des 101 lauréats du prix Nobel à la Présidente de la 22ème Assemblée des États parties à la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel. Il lui a également remis une autre déclaration conjointe signée par 21 personnalités éminentes, dont l'ancien ministre canadien des Affaires étrangères Lloyd Axworthy, qui a dirigé le « processus d'Ottawa » ayant abouti à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel. Les signataires ont exhorté les États qui se sont retirés à reconsidérer leur position, affirmant que « le respect du traité d'interdiction des mines n'est pas seulement une obligation juridique et morale, mais aussi un impératif stratégique pour tous ceux qui cherchent à limiter les souffrances en temps de guerre ».
Tous les États membres de l'UE avaient jusqu’à présent adhéré à la Convention sur l’interdiction des mines ; en avril 2025, l'UE a réaffirmé sa position commune de longue date, favorable « à l’universalisation et à la mise en œuvre » de la Convention.
La Finlande et la Pologne, qui ont produit des mines antipersonnel par le passé, ont indiqué qu'elles pourraient reprendre leur production. En 2015, la Finlande avait achevé la destruction de son stock d'un million de mines ; en 2016, la Pologne avait détruit son propre stock de plus d'un million de mines antipersonnel. Des civils finlandais et polonais ont été blessés par des mines terrestres et des munitions non explosées pendant la Seconde Guerre mondiale et d'autres conflits. Plus de 80 ans plus tard, les autorités locales reçoivent toujours des demandes de dépollution des résidus de mines terrestres et de restes explosifs de guerre.
« Les pays qui se retirent de la Convention sur l'interdiction des mines seront surveillés de près, car il existe désormais un risque réel qu'ils se mettent à produire, transférer et utiliser des mines antipersonnel », a conclu Mary Wareham. « Ces gouvernements devraient plutôt investir dans des mesures visant à éloigner les civils des zones minées, à prendre en charge les victimes des mines terrestres et à promouvoir le déminage. »
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