CS/15922
4 décembre 2024
Le Conseil de sécurité se réunit ce matin, sur convocation des Etats-Unis, qui président l’organe en décembre, pour discuter des effets de la guerre sur les enfants en Ukraine. La Directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), Mme Catherine Russell, doit faire un exposé, de même que deux représentants de la société civile.
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MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ DE L’UKRAINE
Exposés
Mme CATHERINE RUSSELL, Directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), a tout d’abord souligné que, depuis février 2022, deux enfants, en moyenne, ont été tués ou blessés chaque jour en Ukraine. « Derrière ces chiffres, on trouve des enfants qui ont tous un nom, des êtres chers, des rêves brisés », a-t-elle ajouté, notant que, durant les neuf premiers mois de 2024, il y a eu plus d’enfants victimes que pendant toute l’année 2023, ce qui révèle une intensification de la violence, tandis que le conflit a désormais dépassé le cap des 1 000 jours.
Mme Russell a ensuite décrit les conditions de vie effroyables auxquelles font face de nombreux enfants, contraints de se cacher dans des abris souterrains sombres et humides pendant six heures par jour en moyenne, pour échapper aux attaques incessantes. Ces abris, souvent improvisés, deviennent insupportables avec l’arrivée de l’hiver. Elle a également rapporté que plus de 20% des établissements scolaires et 660 hôpitaux ont été détruits, forçant parfois les enfants à suivre des cours dans des stations de métro.
La haute fonctionnaire a insisté sur les conséquences psychologiques graves pour les enfants, affirmant qu’un tiers des parents observent des signes de traumatisme psychologique chez leurs enfants dont les effets risquent de persister tout au long de leur vie. Malgré cette situation, a expliqué Mme Russell, l’UNICEF et ses partenaires continuent de travailler sans relâche pour répondre aux besoins immédiats. En 2024, 5,1 millions de personnes ont eu accès à l’eau potable grâce à leurs efforts, tandis que des services psychosociaux ont été fournis à de nombreux enfants et tuteurs. En outre, plus de 450 000 enfants ont été soutenus dans leur scolarisation.
Mme Russell a toutefois précisé que les efforts humanitaires ne suffisent pas à eux seuls et doivent être complétés par des mesures politiques. Elle a exhorté les parties au conflit, ainsi que les membres du Conseil de sécurité, à prendre des mesures immédiates pour protéger les enfants. Elle a demandé un respect strict du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, notamment en mettant fin aux attaques contre les infrastructures vitales telles que les écoles et les réseaux d’énergie. Elle a également appelé à l’interdiction des armes explosives dans les zones densément peuplées, des mines antipersonnel et des bombes à sous-munitions, qui causent des souffrances disproportionnées aux enfants.
La Directrice générale s’est également inquiétée du nombre élevé d’enfants séparés de leur famille, exhortant les parties à favoriser la réunification familiale et à s’abstenir de modifier la nationalité des enfants, conformément à la Convention des droits de l’enfant. Enfin, elle a insisté sur la nécessité d’un accès humanitaire sans entrave pour permettre à l’ONU et à ses partenaires de venir en aide aux enfants et aux familles dans toutes les régions, y compris celles hors du contrôle du Gouvernement ukrainien.
M. NATHANIEL RAYMOND, Directeur exécutif du laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de l’Université de Yale, a évoqué le rapport publié hier par son institution sur le programme russe d’adoption et de placement forcés d’enfants ukrainiens. L’enquête, fruit de 20 mois de collecte et d’analyse de données open source et d’images satellite disponibles dans le commerce, a permis d’identifier 314 enfants d’Ukraine qui, à la suite de l’invasion de leur pays par la Russie en février 2022, ont été pris en charge dans le cadre de ce programme systématique dirigé par le Kremlin. Les dossiers de chaque enfant identifié dans ce rapport ont été transférés au Gouvernement ukrainien, y compris aux forces de l’ordre, et au Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a-t-il indiqué. M. Raymond a précisé que les enfants identifiés provenaient exclusivement des oblasts de Donetsk et de Louhansk, même si des informations laissent croire que des enfants des oblasts de Zaporizhzhia, Kherson et Kharkiv sont aussi probablement inclus dans le programme.
Le nombre total d’enfants ukrainiens que la Russie a placés dans son « pipeline » d’adoption et de placement familial n’est pas connu et ne peut être déterminé à partir des données analysées pour ce rapport, a expliqué M. Raymond. Selon lui, la naturalisation d’enfants originaires d’Ukraine en tant que citoyens russes est un aspect essentiel de toute l’opération. Il a ajouté que le programme s’est appuyé sur des « manœuvres juridiques » menées par le Président Putin lui-même, ainsi que par Mme Maria Lvova-Belova, Commissaire russe aux droits de l’enfant, Mme Anna Kuznetsova, membre de la Douma et l’une des responsables du parti Russie unie, et d’autres responsables, pour s’assurer que ces activités soient conformes à la loi fédérale russe régissant l’adoption des enfants russes. Il a rappelé, à cet égard, que lors du procès de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale, des Nazis et leurs collaborateurs avaient été jugés pour le transfert forcé d’enfants polonais en Allemagne pour une soi-disant germanisation. « Le même crime présumé se produit aujourd’hui, au XXIe siècle, et c’est la Russie qui le commet cette fois-ci », a-t-il lancé.
Dans les bases de données du programme, les enfants sont présentés sans aucune mention de leur origine d’Ukraine, a constaté le Directeur exécutif. De plus, certains dossiers d’enfants ont été modifiés, et des preuves potentielles pertinentes de crimes présumés ont été supprimées d’Internet. Au regard de ces agissements, il a appelé la Russie à fournir à l’Ukraine, au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), à l’UNICEF et aux autres autorités compétentes une liste complète des enfants qu’elle a emmenés, liste devant préciser d’où ils viennent et où ils se trouvent actuellement, et documenter toute modification des informations personnelles identifiables des enfants effectuée par les responsables russes. Tant que la Russie ne fournira pas ces informations, ce qu’elle est légalement et moralement tenue de faire, il sera impossible d’évaluer pleinement le nombre exact d’enfants qui attendent de rentrer chez eux, a-t-il conclu.
Mme KATERYNA RASHEVSKA, experte juridique au Centre régional pour les droits humains à Kyïv, a rappelé que les enfants n’ont aucun rôle à jouer dans les conflits armés, déplorant le fait que 593 petits Ukrainiens ont été tués et 1 707 blessés, tandis qu’environ 15 000 ont perdu leurs parents ou sont devenus orphelins à cause de la guerre dans leur pays. En Ukraine, a-t-elle ajouté, près de 3 millions d’enfants vivent aujourd’hui dans une extrême vulnérabilité, confrontés à ce qui pourrait être le pire hiver depuis le début de l’invasion russe à grande échelle.
Elle a relevé que des actes de violence, notamment des viols, des tortures et des détentions arbitraires perpétrés par des soldats russes contre des enfants ukrainiens, sont confirmés par le rapport de la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la question des enfants et des conflits armés. Les forces armées russes figurent à deux reprises sur la « liste de la honte » pour ces violations graves, a-t-elle précisé.
Mme Rashevska a ensuite souligné que plus de 19 000 enfants ukrainiens ont été illégalement déportés en Russie sous prétexte d’évacuation, et que certains d’entre eux ont été transférés à parfois plus de 8 000 kilomètres de leur domicile, placés dans des orphelinats ou des familles d’accueil russes. Ces actes ont conduit la Cour pénale internationale (CPI) à émettre des mandats d’arrêt contre le Président Vladimir Putin et Mme Maria Lvova-Belova, Commissaire russe aux droits de l’enfant. Malgré les initiatives de médiation internationales, notamment celles du Vatican, du Qatar et d’autres parties, environ 90% de ces enfants restent sous contrôle russe, a indiqué l’intervenante.
La juriste a également dénoncé l’imposition forcée de la citoyenneté russe aux enfants ukrainiens dans les territoires occupés. Chaque année, plus de 40 000 enfants ukrainiens sont déplacés vers des camps de rééducation en Russie et au Bélarus, où ils subissent un endoctrinement militariste, s’est-elle indignée. Elle a cité l’exemple du camp « Avangard », dans la région de Volgograd, où 300 enfants ont reçu une formation militaire comprenant des exercices tactiques et des sauts en parachute. Elle a également fait savoir que la Russie a remplacé illégalement l’éducation ukrainienne par un système d’enseignement russe dans les territoires occupés, politisant et militarisant les écoles, tentant d’éradiquer ainsi l’identité ukrainienne. Le manque d’accès à l’enseignement en langue ukrainienne en Crimée occupée a déjà été reconnu comme une violation de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale par la Cour internationale de Justice (CIJ), jugement que la Russie continue d’ignorer.
Mme Rashevska a conclu son intervention en appelant le Conseil de sécurité de l’ONU à utiliser ses leviers pour contraindre la Russie à respecter le droit international, notamment en assurant le retour des enfants déportés et la protection de leurs droits. « Si nous voulons une véritable paix en Ukraine et dans le monde, nous devons commencer par protéger nos enfants », a-t-elle affirmé.
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