Les frappes indiscriminées de février ont alourdi le bilan des crimes de guerre
- Les Forces armées soudanaises ont tué de nombreux civils lors d'attaques employant des bombes aériennes non guidées contre des quartiers résidentiels et commerciaux de Nyala, au Darfour-Sud, début février 2025.
- Ces attaques étaient indiscriminées, car les bombes utilisées agissent sur un large rayon d’impact et ont une précision limitée ; dans la plupart des cas, elles ne peuvent pas être dirigées vers une cible militaire spécifique dans une zone peuplée. Mener des attaques indiscriminées, délibérément ou par imprudence, constitue un crime de guerre.
- Les Forces armées soudanaises devraient immédiatement mettre fin à toutes les attaques indiscriminées. Les autres pays devraient sanctionner les dirigeants de l'Armée de l'air soudanaise pour de telles attaques.
(Nairobi, le 4 juin 2025) – Les Forces armées soudanaises (FAS) ont utilisé des bombes aériennes non guidées pour mener des attaques dans des quartiers résidentiels et commerciaux de Nyala, au Darfour-Sud, début février 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Ces attaques indiscriminées – des crimes de guerre apparents – ont tué et blessé de nombreux civils.
Les FAS ont mené des attaques répétées contre Nyala, la capitale du Darfour-Sud, depuis que les Forces de soutien rapide (FSR, ou RSF en anglais) qu’elles combattent ont pris le contrôle de cette ville fin octobre 2023. Nyala, qui comptait plus de 800 000 habitants avant l’actuel conflit, est la plus grande ville de la région du Darfour, et l'une des principales villes du Soudan.
« L'armée soudanaise a frappé des quartiers résidentiels et commerciaux densément peuplés de Nyala en utilisant des bombes imprécises », a déclaré Jean-Baptiste Gallopin, chercheur senior auprès de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Ces attaques ont tué des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants, détruit des familles et provoqué la peur et des déplacements. »
Human Rights Watch a reçu des informations crédibles faisant état de nombreuses frappes entre novembre 2024 et février 2025, et a mené des enquêtes détaillées sur cinq frappes aériennes du 3 février, particulièrement meurtrières pour les civils. Les chercheurs ont mené des entretiens avec 11 victimes survivantes et témoins, ainsi que trois membres du personnel médical ayant soigné les victimes. Les chercheurs ont aussi analysé des images satellite, ainsi que des vidéos et des photos – dont certaines montraient des fragments de munitions utilisées lors de trois frappes – publiées sur les réseaux sociaux ou fournies par des témoins.
Les cinq frappes du 3 février ont touché successivement des zones résidentielles et commerciales animées des quartiers d'Al-Jumhuriya et d'Al-Cinema situés dans le centre de Nyala, ainsi que Congo Road, une artère principale de la ville, selon des témoins. Médecins Sans Frontières (MSF) a signalé que 32 personnes auraient été tuées et des dizaines blessées. Une frappe qui a touché une épicerie près de l'Hôpital ophtalmologique de La Mecque, dans une rue très fréquentée et où circulaient de nombreux véhicules, a été particulièrement meurtrière, selon des témoins.
« Cet endroit a été complètement détruit et endommagé par la frappe aérienne », a déclaré un homme arrivé sur les lieux peu après. « De nombreuses personnes ont été tuées. Parmi les victimes figurait une dame âgée… ainsi que les passagers d'un véhicule Toyota, et des passants. » Cet homme a ajouté que plus de 35 personnes avaient été tuées.
L’organisation ACLED, qui collecte des données sur les conflits dans le monde, estime qu'entre 51 et 74 civils ont été tués et de nombreux autres blessés à Nyala, entre le 2 et le 4 février. MSF a signalé qu'au moins 25 personnes avaient été tuées lors des frappes du 4 février, et que 21 personnes blessées lors d'une frappe contre une usine d'huile d'arachide avaient été transportées à l'Hôpital universitaire de Nyala, soutenu par MSF.
Human Rights Watch a examiné des photographies de restes de munitions afin de déterminer quelles armes avaient été utilisées lors de trois frappes le 3 février, et a pu le faire pour deux d'entre elles. Human Rights Watch a déterminé que la munition employée lors de la frappe menée juste à l'extérieur de l'Hôpital ophtalmologique de La Mecque était une bombe OFAB-250, une bombe à fragmentation larguée par voie aérienne, non guidée et dotée d’une ogive hautement explosive. La munition employée lors d'une autre frappe qui a touché une route à environ 140 mètres au nord-ouest de l'hôpital a été identifiée par Human Rights Watch comme une bombe aérienne non guidée à usage général de la série FAB.
Cinq témoins ont dit avoir vu un seul avion, qui visiblement n’était pas un chasseur à réaction, survoler la ville au moment des frappes. « J'ai vu l'avion tourner autour de la ville », a déclaré un homme. « C'était un gros avion, comme un avion-cargo… Il a frappé lors de son deuxième tour autour de la ville. »
« [L’avion] volait très, très haut », a déclaré un travailleur journalier ayant survécu à une frappe qui a tué sa sœur et son neveu le 3 février. « L'intervalle entre les deux frappes n'était pas long, peut-être une ou deux minutes : l'avion frappe, effectue un virage, puis frappe à nouveau, après un très court intervalle. »
Les bombes OFAB-250 et les autres bombes non guidées des séries OFAB ou FAB agissent sur un large rayon d’impact et ont une précision limitée ; dans la plupart des cas, elles ne peuvent donc pas être dirigées vers une cible militaire spécifique. Lorsqu'elles sont utilisées dans une zone peuplée, comme les quartiers résidentiels denses de Nyala, elles sont susceptibles de frapper sans distinction des cibles militaires et des civils ou des biens civils, rendant l'attaque indiscriminée. Les frappes du 3 février étaient apparemment indiscriminées et constituaient une violation du droit international humanitaire, a déclaré Human Rights Watch. Les attaques indiscriminées, menées délibérément ou par imprudence, constituent des crimes de guerre.
Les frappes menées début février 2025 s'inscrivaient dans une vague plus large de bombardements aériens de Nyala par l'armée soudanaise. Sur une période de trois mois, entre décembre 2024 et février 2025, l'ACLED a recensé 41 jours marqués par des frappes aériennes ; dans certains cas, plusieurs frappes ont été menées le même jour. De nombreuses frappes ont touché des quartiers de la zone est de Nyala, qui abrite une forte concentration de combattants FSR, y compris à l'aéroport de Nyala et aux alentours.
Lorsque des forces sont déployées dans des zones peuplées, comme c’est le cas des FSR à Nyala, elles doivent éviter de placer des objectifs militaires à proximité de zones densément peuplées et s'efforcer d'éloigner les civils des zones d'activités militaires. Les combattants FSR restreignent sévèrement l'accès des civils à certaines zones de l'est de Nyala.
Les frappes aériennes sur des quartiers résidentiels du centre de Nyala ont été particulièrement dures pour les civils. « Les frappes aériennes sont les pires, car elles détruisent tout », a expliqué le travailleur journalier. « Les gens peuvent éviter des balles et se mettre à l'abri, mais nous ne pouvons pas nous mettre à l'abri des frappes aériennes. Elles sont trop puissantes. »
Les victimes blessées par des frappes n’ont qu’un accès minime à des soins médicaux. Parmi elles, quatre personnes ont indiqué à Human Rights Watch qu’elles n’avaient pas pu bénéficier de soins professionnels pour retirer des fragments de munitions logés dans leur chair, faute de moyens financiers ou en raison du manque de médecins qualifiés à Nyala.
Les FAS devraient immédiatement cesser toutes les attaques indiscriminées, y compris celles impliquant l'utilisation de bombes aériennes non guidées sur des zones peuplées, a déclaré Human Rights Watch.
D'autres pays devraient suivre l'exemple de l'Union européenne et sanctionner les dirigeants de l'Armée de l'air soudanaise pour de telles attaques. Le Soudan devrait garantir l'accès aux observateurs, notamment ceux de la Cour pénale internationale et de la Mission internationale indépendante d'établissement des faits des Nations Unies sur le Soudan, afin qu'ils puissent enquêter sur les violations commises par toutes les parties au conflit. Les gouvernements étrangers devraient garantir le soutien politique et financier nécessaire aux enquêtes en cours.
« Malgré les inquiétudes exprimées au niveau international, les civils continuent de subir les conséquences les plus graves de la guerre dévastatrice qui ravage le Soudan depuis deux ans », a conclu Jean-Baptiste Gallopin. « D'autres pays devraient prendre des mesures concertées pour protéger les civils, et prévenir de nouvelles attaques indiscriminées en enquêtant et en sanctionnant les responsables de tous les camps. »
Suite en anglais, comprenant des informations détaillées sur les attaques.
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