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Russia

MSF Témoignages Recueillis fin décembre 99 à Duisi et ses environs, en Géorgie: Plusieurs hommes...

Interview réalisée le 25 décembre, dans la région d'Akhmeta, en Géorgie.
L'interview se déroule au milieu de plusieurs hommes. La majorité d'entre eux est arrivée le 24 décembre. Ils sont très nerveux et amers. Ils traînent dans la rue car ils n'ont pas encore trouvé de maison.

Le premier homme raconte :"Je suis originaire de Shallagi dans les environs de Urus Martan, mais je vivais à Grozny. Les forces russes bombardent Grozny de façon intensive et personne ne leur demande des comptes pour cela... La première attaque a été lancée le 6 septembre. Je me trouvais à ce moment-là dans le quartier de Katayama, dans le centre de la ville. Après cela, Grozny a été bombardée sans relâche avec des missiles, des roquettes, dont 95% n'ont affecté que les civils.

Je suis venu ici seul. Le 2 octobre, j'ai fait sortir toute ma famille vers Shallagi, dans la maison de mon frère aîné. Comme la route était bloquée je n'ai pas pu y retourner.

Mon beau-frère, médecin, a été tué sur la route d'Itum Kale, dans le sud de la Tchétchénie, lors d'un bombardement russe. La grande rue centrale de Itum Kale a été complétement détruite. Les militaires russes utilisent des missiles de destruction massive, interdits par les Conventions de Genève. Le 29 novembre, ils ont également pris pour cible une colonne de réfugiés qui se rendaient en Ingouchie. Il y a eu de très nombreux morts ainsi que beaucoup de blessés. A Grozny, seul l'hôpital n=B09 fonctionnait encore. Les autres sont détruits... Je pense que le but des forces russes est d'empêcher que les structures de soins fonctionnent...

Les gens ont donc essayé de transférer leurs blessés vers d'autres structures, vers Stare Atagi, par exemple. Aucun des blessés n'a été autorisé par les militaires russes à passer à Nazran, en Ingouchie, pour se faire soigner.

Je crois vraiment que le gouvernement russe a l'intention de détruire complètement la Tchétchénie.

Magomed, un jeune homme de 32 ans arrivé le 16 décembre continue. "En Tchétchénie, tout ce qui bouge est une cible : les vaches, les voitures... tout !

Je suis de la région de Gargoshi, dans la région de Shatoï. C'est un village qui compte une vingtaine de maisons, aujourd'hui essentiellement habitées par des vieux, pauvres. Cela n'a pas empêché les forces russes de lâcher sur Gargoshi cinq bombes ainsi que de multiples petites roquettes. Les vingt maisons, dont la mienne, ont été touchées : on pouvait voir des flammes dans certaines d'entre elles.

Chez moi vivaient plusieurs femmes et dix enfants. Lors de ce bombardement, trois personnes ont été blessées, dont une femme grièvement. Il était devenu très difficile de transporter les blessés. En raison des bombardements, la plupart des transferts se déroulaient la nuit. Ce jour-là, il était pratiquement impossible de sortir car les avions continuaient leur ronde au-dessus de nos têtes. Nous avons finalement réussi à transporter notre blessée jusqu'à Chatoy o=F9 le dernier chirurgien de la région a pu l'opérer. Elle est aujourd'hui près d'ici, à Djokolo, avec ses trois enfants.

Lors de cette attaque, Nichaloy, un village voisin, a lui aussi été directement touché. Trois enfants et deux femmes ont été tués sur le coup. Il ne restait plus rien d'eux qui aurait pu être enterré... Une autre femme est restée paralysée avec un éclat dans le dos.

Umar, un troisième homme intervient, il est arrivé le 24 décembre.

"Une femme et ses deux enfants ont été tués par un sniper russe sur la route vers la frontière géorgienne. Leurs corps sont toujours là. Personne ne peut aller les chercher. Cette route, c'était notre dernière possibilité de quitter la Tchétchénie. Elle est maitenant fermée : des snipers russes se sont positionnés le long de la route.

Je suis originaire de la région de Chelkovskoy, dans le nord de la République. Début septembre, quand j'ai entendu que la guerre allait arriver à Chelkovskoy, j'ai emmené toute ma famille à Itum Kale, dans l'extrême sud. J'ai pris ma voiture avec ma femme, mes deux filles et mes garçons. Nous avons voyagé de jour, sans drapeaux blancs. La route était constamment bombardée. Au bord de la route, nous avons vu un camion en feu avec les corps des passagers à l'intérieur. Nous n'avons pas pu les sortir. Nous avons également vu une voiture rouge avec cinq morts a l'intérieur.

Nous sommes arrivés à Itum Kale en une journée. Nous sommes restés dans ce village jusqu'à notre départ pour la Géorgie, fin décembre. Itum Kale et ses environs ont été bombardés sans répit. Tout ce qui bougeait était une cible potentielle : les civils, le bétail... Nos cimetières, nos vieilles tours, nos anciennes forteresses ont elles aussi été détruites. Pour nous protéger, nous avions construit un abri enterré au fond de notre jardin. Nous restions dedans tout le temps.

Quand nous avons décidé de partir vers la Géorgie, nous n'avons pas pris tout le monde avec nous. Tous les enfants -les miens et ceux de mes proches, sont restés car nous n'étions pas sûrs de la route ; nous ne savions pas s'il y avait des snipers dissimulés le long de celle-ci. De plus, nous ne savions pas si les Géorgiens allaient nous autoriser à passer la frontière. Mes enfants sont donc restés avec trois de mes frères et ma mère. Beaucoup de monde est encore en Tchétchénie et beaucoup de gens veulent encore sortir. Mais cela est devenu impossible.

Nous sommes arrivés à la frontière le 10 décembre. Nous étions 24 personnes, des hommes, des femmes et des enfants. Aucun de nous n'était combattant. Nous sommes restés bloqués là près de deux semaines car la frontière géorgienne était fermée. En réunissant tout notre argent, nous avons finalement réussi a passer en payant 200 dollars aux garde frontière. Sans cela, ils ne nous auraient pas laissés passer.

Une fois en Géorgie, nous avons été transportés par hélicoptère à Kasbegi, vers la frontière de l'Ossétie du Nord, en Fédération de Russie. Certains réfugiés ont d'ailleurs été forcés par des officiels russes de remonter à Nazran, en Ingouchie, également sur le territoire de la Fédération de Russie. Nous, nous ne voulions pas aller à Nazran. Nous voulions restés ici, proches de notre famille.

Nous étions un groupe de 120 personnes : 57 sont parties en Ingouchie, les autres vers Akhmeta, en Géorgie. Nous avons été emmenés ici grâce a l'aide du HCR et d'un parlementaire Géorgien".

Saïd Ibrahim, un autre homme du groupe, l'interrompt : "Quand, début septembre, la guerre au Daguestan a commencé, les régions d'Itum Kale, de Sharoy, de Galanchoy, de Cheberloy ont été bombardées". Saïd sort un calendrier de sa poche : "Le 6 septembre entre 10 heures et 16 heures, il y a eu 30 passages d'avions russes. Le 7 septembre, il y en a eu neuf entre 10 heures et 15 heures et deux entre 22 heures et 2 heures du matin. Le 8 septembre, entre 11 heures et 14 heures, les avions russes sont passés onze fois puis encore trois fois dans la nuit. Et ainsi de suite. J'ai tout noté..."

Saïd montre toutes les pages annotées de son petit calendrier. "J'ai calculé qu'en un mois, l'aviation russe avait fait 548 raids pour bombarder Itum Kale, Ceberloy, Galanchoy, etc. J'ai également enregistré au jour le jour, le nombre de morts et de blessés à Itum Kale : le 22 octobre, deux réfugiés de Grozny ont été tués ; un autre a été blessé. Le 26 octobre, il y a eu 5 morts et 3 blessés ; le 30, 7 morts et 4 blessés. Le premier novembre, 3 personnes sont mortes et quatre autres blessées... Je pourrais continuer comme cela longtemps encore".

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