Médecins du Monde, seule ONG présente en Ingouchie, témoigne du manque de moyens sur place. (Par PHILIPPE ROMAIN
- Libération 29/12/99)
Maîtresses de la plus grande partie du territoire tchétchène, les forces russes commencent à organiser le retour des réfugiés dans les zones sécurisées, au nord et tout autour de Grozny. "Le président ingouche, Rouslan Aouchev, clame partout que les Tchétchènes doivent rentrer chez eux, alors les Russes en ont profité pour prendre les choses en main", lance Joseph Dato, chef de la mission de Médecins du Monde en Ingouchie et en Tchétchénie, qui, avec Frédérique Drogoul, psychiatre, vient de passer quinze jours dans ces deux républiques caucasiennes. Dans le camp ingouche de Severni, 36 wagons, abritant 800 à 1 000 personnes, ont déjà été détachés pour être rapatriés sur Cernovosk (10 km à l'ouest de Grozny).
"Certains rentrent spontanément, mais nombreux sont ceux qui craignent de ne pas disposer là-bas de vrais secours. Ils ne font pas confiance aux Russes et ils préfèrent attendre", explique Frédérique Drogoul. Les Russes, en effet, ne sont pas prêts à tolérer la moindre immixtion humanitaire dans leurs affaires, bien que l'essentiel des structures de santé soit détruit. Joseph Dato s'est rendu à Goudermes ainsi qu'à Argoun. A Goudermes, il a trouvé l'hôpital psychiatrique rasé aux quatre cinquièmes. "Il ne restait plus que 20 patients, 5 sont morts de faim avant d'être secourus et les 140 restants sont dans la nature." A Argoun, l'hôpital et l'école sont par terre. Les civils, qui ont subi des bombardements massifs, sont les principales victimes. "Les gens meurent de blessures dont on ne meurt pas. Il n'y a nulle part des secours pour les cas lourds", se désole Frédérique Drogoul. Médecins du Monde dispose de 9 médecins autochtones en Tchétchénie: "Nous avions perdu le contact depuis plus d'un mois et demi mais ils ont continué le travail. Début novembre, à Argoun, la tente de Médecins du Monde, avec deux docteurs, était même le seul dispositif de santé", s'exclame Joseph Dato, précisant que son organisation est la seule présente là-bas, "si l'on excepte quelques véhicules de la Croix-Rouge internationale".
Ville de Goudermes
En dépit d'une surveillance étroite, les médecins ont pu recueillir des témoignages de Tchétchènes. A Goudermes, o=F9 le couvre-feu est en vigueur de 18 heures à 8 heures du matin, les habitants acceptent plutôt bien la domination russe. "Ici, ils ne sont pas indépendantistes à outrance. Ils sont las et veulent simplement que tout s'arrête pour retrouver une vie normale", affirme Joseph Dato. De fait, Goudermes a passé une sorte de contrat d'allégeance avec les Russes. Les Tchétchènes ont gardé leurs postes dans l'administration, sous contrôle russe, le gaz et l'électricité ont été rétablis et la ville n'est plus bombardée, en échange de la docilité des habitants. Surtout, les Tchétchènes sont nombreux à être déçus par l'action de leur président Aslan Maskhadov: "Ceux que nous avons rencontrés lui en veulent de s'être montré incapable de reconstruire le pays et d'édifier un vrai Etat o=F9 régneraient l'ordre et la sécurité."