Conférence "Moving the Middle East
Peace Process forward: Humanitarian Chanllenges"
Jérusalem, le 27 avril 2007
Mesdames et Messieurs, distingués participants,
Je suis très honoré de participer à cette Conférence et de pouvoir partager avec vous mes réflexions sur la dimension humanitaire du conflit qui déchire cette région du monde depuis si longtemps.
Je réalise bien que beaucoup a déjà été dit et écrit sur ce conflit et sur le processus de paix qui vise à le résoudre. Et ce n'est pas à vous qui êtes un public averti, que j'aurais la prétention d'apprendre quelque chose sur le sujet. Mais permettez-moi d'apporter humblement ma contribution en exposant devant vous ma conviction profonde, qui est aussi mon message principal aujourd'hui : le succès ou l'échec du processus de paix tient et tiendra pour une grande part à la manière dont la dimension humanitaire est et sera prise en compte par les protagonistes de ce conflit.
Toutes les rencontres que j'ai eues au cours de ces trois derniers jours qu'elles soient avec des dirigeants politiques, des officiels, des représentants d'organisations humanitaires et de la société civile, mais aussi avec des citoyens, ont renforcé cette conviction. La sortie du cercle infernal de la violence et de la rétorsion n'aura de réalité durable que si les droits humanitaires fondamentaux sont respectés.
Les peuples palestinien et israélien aspirent profondément à la paix. Ils ont tous deux les mêmes droits à vivre dans leur Etat, sur un territoire qui leur appartient, pour développer leur pays et donner un futur à leur enfants.
Cette perspective est à la fois lointaine et proche. Lointaine parce que les sentiments de désespoir, d'humiliation et de révolte se sont gravés dans beaucoup de cœurs et d'esprits. Cela fera bientôt quarante (40) ans que ce conflit existe ; cela fera bientôt sept (7) ans que la seconde Intifada s'est déclenchée. Mais cette perspective est également proche parce que tout le monde sent bien que cette situation ne peut pas durer ainsi : la situation dans les Territoires Palestiniens est plus dangereuse que jamais ; la situation régionale est plus dangereuse que jamais. Quand on est au bord du précipice, il faut un acte de lucidité et de volonté pour se ressaisir et éviter la chute. C'est la responsabilité énorme et le courage politique qui sont attendus aujourd'hui des dirigeants de la région.
Il y a urgence. La situation humanitaire dans les Territoires Palestiniens n'a sans doute jamais été aussi mauvaise. Près de soixante pour cent (60%) de la population palestinienne vit désormais sous le seuil de pauvreté de deux Euros (2 €) par jour alors qu'avant le début du Second Intifada elle avait un des index de développement humain les plus élevés dans le monde arabe. Depuis l'année dernière, la situation de pauvreté s'est fortement aggravée avec une augmentation de trente pour cent (30%). On a même recours à des catégorisations de la pauvreté puisqu'on parle désormais d'extrême pauvreté pour ceux qui vivent avec moins de un Euro par jour (1€). Cette situation est documentée par toute une série d'indicateurs dont la froide précision ne doit pas occulter la détresse humaine quotidienne qu'ils reflètent. Ainsi, trente-cinq pour cent (35%) de la population, soit 1,3 millions de Palestiniens sont victimes d'insécurité alimentaire permanente. Un million supplémentaire risque d'y tomber si la situation reste ainsi. Près de la moitié des enfants souffrent d'anémie. La mortalité infantile a augmenté de quinze pour cent (15%) au cours de ces dernières années. Près d'un quart (25%) de la population n'a pas d'accès régulier à l'eau.
Face à cette situation, l'aide humanitaire internationale a été largement mobilisée particulièrement par l'Union européenne qui est le plus grand donateur pour les Territoires Palestiniens. La Commission européenne, pour le compte de l'UE, a fourni en 2006 à elle seule 350 millions d'Euros d'assistance humanitaire. Ce montant en très forte augmentation par rapport aux années précédentes fait des Territoires Palestiniens l'une des plus grosses opérations humanitaires de la Commission européenne dans le monde. Dans son ensemble, il est estimé que l'aide internationale - humanitaire et non humanitaire - a également augmenté en 2006 se portant à plus de 1,2 milliards de dollars.
Mesdames et messieurs,
Ces chiffres globaux donnent la mesure de la crise et des besoins. Mais malgré tous ces efforts, l'augmentation de l'aide n'a pas pu enrayer l'augmentation des besoins. Car au-delà de la crise humanitaire qui touche les plus vulnérables, c'est toute la population palestinienne qui souffre d'une grave crise socio-économique. Les perspectives de développement et de croissance ont quasiment disparu ; l'économie dans les Territoires est devenue largement une économie de subsistance, voire de survie au quotidien. Et plus la crise économique se prolonge, plus les filets traditionnels de sécurité et de solidarité se déchirent, grossissant les rangs des populations qui ne peuvent plus compter que sur l'assistance extérieure pour subsister.
Cette crise économique est exacerbée par la grave crise fiscale que traverse l'Autorité Palestinienne. Contrairement à ce qui est parfois dit, la cause de cette crise n'est pas la suspension de l'aide budgétaire directe internationale. Les effets de cette suspension liée aux conditions politiques fixées par le Quartet à l'égard du parti du Hamas, ont été en très grande partie compensés par la poursuite de l'aide via le TIM, le Mécanisme Temporaire International.
La raison principale tient à la suspension des transferts vers l'Autorité Palestinienne des revenus sur les taxes et frais de douane perçus par Israël pour le compte de l'Autorité et qui représente pour une très large partie des recettes budgétaires de cette dernière. L'Union européenne a appelé le Gouvernement à libérer ces revenus. Une tranche de 100 millions de dollars a été allouée en décembre dernier. C'est bien mais ce n'est pas assez. Nous sommes loin du compte. L'UE a invité le Gouvernement Israélien à utiliser le TIM pour transférer ces revenus palestiniens sans remettre en cause les conditions politiques fixées à l'égard du Hamas. Nous espérons, nous attendons que le gouvernement israélien saisisse cette possibilité.
Mais quand bien même l'aide internationale serait fortement augmentée pour faire face à cette superposition de crises, il n'est pas sûr qu'elle permettrait d'améliorer durablement la situation. En effet, ce n'est pas seulement une crise en termes de besoins humains à laquelle nous sommes confrontés ; mais c'est aussi une crise en termes de droit humanitaire non respecté.
Le conflit israélo-palestinien est caractérisé par le non- respect systématique et répétée du droit international humanitaire. Ce non-respect prend plusieurs formes.
La plus visible et la plus condamnable concerne les actes de guerre et les violences armées à l'encontre des populations civiles. La prise pour cible de populations civiles ne peut être justifiée en aucune manière dès lors que ces dernières ne participent pas directement à des combats. Nous condamnons les tirs de roquette sur les populations civiles israéliennes comme nous condamnons les actions militaires qui prennent pour cible les populations palestiniennes et leurs biens. De ce point de vue, Israël en tant que Puissance Occupante au regard du Droit International humanitaire a la responsabilité d'assurer la protection des civils et de leur porter assistance.
La situation de conflit impose également aux belligérants le principe de proportion dans l'usage de la force. Or, il faut bien le dire, ce conflit a aussi été marqué et aggravé dans bien des cas par l'usage disproportionné de la force alors que rien ne le justifiait.
L'autre dimension du non-respect du Droit International Humanitaire concerne les restrictions en termes d'accès et les mouvements. Le système de fermeture et de contrôle mis en place par Israël dans les Territoires Palestiniens, combiné avec la mise en place d'un système routier exclusif au bénéfice des implantations, est certainement la cause unique la plus décisive dans la crise humanitaire actuelle. En morcelant le territoire, en le discontinuant, en bloquant ou limitant les mouvements de manière imprévisible et arbitraire au travers de plus 800 points de contrôle mobiles et 80 fixes, ce système annihile toute chance de développement économique dans les Territoires. Combien de cargaisons agricoles ou commerciales périmées à cause de ce système ? Combien d'heures de travail perdues par les ouvriers et les employés Palestiniens à cause de ce système ? Cette réalité perdure malgré l'Accord sur les Mouvements et l'Accès (AMA) signé en novembre 2006 entre l'Etat d'Israël et l'Autorité Palestinienne. Ainsi le point de passage commercial de Karni dans la Bande de Gaza n'a vu passer en mars dernier qu'à peine 40 camions sur les 400 pourtant prévus selon les termes de l'Accord. Le point de passage international de Rafah n'a pu ouvrir que pendant 11 % des heures de fonctionnement. Je me réjouis bien évidemment que la situation, ces derniers jours, s'est fortement améliorée à Karni. Mais il n'y a pas besoin de longues explications pour mesurer l'impact de ce système de contrôle sur les potentialités de développement économique dans les Territoires.
Ces obstacles en termes d'accès, les Organisations humanitaires y sont également confrontées. Les mouvements du personnel et des biens humanitaires sont sévèrement limités. Pour ne prendre que les chiffres de février et mars dernier, 71 ambulances ont eu à subir soit un refus d'accès soit de longues attentes. Ces entraves sécuritaires posées à l'action humanitaire entraînent des retards et des surcoûts dans l'assistance. L'Office humanitaire de la Commission européenne, ECHO a fait une estimation que ces surcoûts s'élevaient à 15 à 20% pour notre assistance. Rien ne peut justifier les entraves à l'action humanitaire : faut-il le rappeler, notre action est neutre, impartiale et ne vise qu'à améliorer le sort quotidien des plus vulnérables, notamment les femmes, les enfants et les personnes âgées.
Mesdames et Messieurs,
Je ne peux bien évidemment pas finir d'évoquer les violations du Droit International humanitaire sans parler de celles qui ont les conséquences politiques les plus déterminantes. La construction de la Barrière en tant que telle peut paraître choquante. Mais après tout, c'est le droit plein et entier d'Israël de choisir le meilleur mode de défense de sa sécurité. Le tracé actuel de la Barrière peut constituer un obstacle dans le cadre de la résolution de la question des frontières. Mais admettons que cela aussi peut faire l'objet d'une solution négociée. Non, ce qui pose problème, c'est quand le tracé de la Barrière concrètement sur le terrain en vient à suivre des lignes dont on a du mal à voir la justification sécuritaire.
J'ai visité une famille palestinienne près du village de Mash'a dont la maison est entourée sur 3 côtés par la Barrière et qui pour sortir de chez elle doit passer par une grille équipée de détecteurs. Cette famille vit dans un état de siège et de terreur permanent. Ma question est simplement celle-ci : est-ce que la sécurité d'un pays justifie pareille mesure ? N'y a-t'il pas le risque qu'en allant si loin dans le contrôle, s'ancre plus profondément encore dans la mémoire collective, un sentiment d'humiliation et de révolte ?
L'autre réalité condamnée par le Droit international à de nombreuses reprises concerne les implantations. Ce fut un acte difficile et courageux du Gouvernement Israélien d'ordonner le démantèlement des implantations dans la Bande de Gaza. Malheureusement, en Cisjordanie, les implantations sont toujours là, formant très souvent de véritables enclaves au cœur du territoire palestinien. Le gouvernement israélien s'est engagé à ne plus poursuivre l'extension de ces implantations ce dont nous nous félicitons. Cependant, certains colons ignorent ces décisions et poursuivent l'occupation illégale du terrain. Mais comme dit tantôt, la construction d'un système de routes exclusif reliant les implantations à Israël et entre elles, a de facto aggravé le morcellement du territoire et aggravé les conditions de mouvement pour les populations palestiniennes.
Le danger qui guette ici est que partant d'une logique sécuritaire légitime, la protection des populations israéliennes y compris dans les implantations se transforme de facto en une logique de fragmentation territoriale qui mine toute perspective de développement.
Le devoir de respecter et faire respecter le Droit International Humanitaire s'impose exactement de la même manière aux forces politiques et aux autorités palestiniennes. Aucune cause politique ne peut justifier le recours à des actes terroristes contre des populations civiles. Faire passer une logique terroriste pour un mouvement de résistance politique est une imposture. L'endoctrinement des enfants à la guerre voire même au martyr est criminel. Toutes ces réalités constituent des violations flagrantes du Droit International Humanitaire.
Il ne faut pas se méprendre sur ce que je dis. Ce n'est pas un jugement moral que je porte. Le Droit International Humanitaire est l'autre nom du Droit de la guerre. Il ne contient en lui-même aucun jugement moral. Il ne cherche à donner aucune caution à l'une ou l'autre cause et s'applique en égale mesure à chacun. Toute violation d'où qu'elle vienne doit être condamnée. Mais le respect du Droit relève d'une logique de justice et d'humanité inscrite dans les Conventions de Genève. Le Droit International Humanitaire n'oblige pas à faire un choix entre la Sécurité d'état et la sécurité humaine. Au contraire, il permet de concilier ces deux exigences. Et à ce titre, c'est un impératif qui est dans l'intérêt de toutes les parties. Car si la pauvreté nourrit le désespoir, l'injustice et l'humiliation nourrissent la violence.
En aucune manière, la guerre ne peut être une circonstance d'exception qui permettrait de se soustraire à ces obligations. Le Droit International Humanitaire est précisément là pour éviter le prétexte de l'exception.
Je dois dire ici que la communauté internationale et d'une certaine manière, les acteurs de l'humanitaire, portent également leur part de responsabilité dans cette dérive qui a conduit à des violations de plus en plus répétées du Droit International Humanitaire. En effet, dans notre volonté d'agir à tout prix pour alléger les souffrances, parce qu'une vie n'a pas de prix, nous avons fini par 'faire avec', 'vivre avec' toutes les entraves. Notre seuil de tolérance s'est considérablement élevé. Nous avons déployé des trésors de créativité pour nous adapter. C'est aussi un terrible dilemme. Car fournir de l'assistance sans garantir le droit revient à une sorte d'acceptation de la situation de fait. Or l'assistance et le droit humanitaire sont indissociablement liés.
Mesdames et Messieurs,
Au terme de cet exposé, vous pourriez considérer que je porte un regard très pessimiste sur la situation. Permettez-moi de vous détromper. Je crois, au contraire, que nous nous trouvons à un moment décisif qui peut obliger à faire évoluer les choses dans le bon sens.
De fait, le statu quo n'est pas tenable. Il y a un risque d'explosion et de chaos dans les Territoires où les liens d'autorité et de solidarité se délitent du fait de la crise économique et du système de fermeture. La forte recrudescence de la violence et du banditisme fait craindre le pire, avec en toile de fond une situation régionale plus tendue que jamais.
La multiplication des initiatives politiques et diplomatiques en vue d'un règlement définitif du conflit est la preuve d'une prise de conscience générale qu'il faut agir avant qu'il ne soit trop tard. Les esprits doivent se préparer désormais au compromis. L'intérêt des pays et des populations le demande. De ce point de vue, le dialogue direct entre les sociétés civiles représente une chance. Les représentants de la société civile israélienne et palestinienne que j'ai rencontrés souhaitent ce dialogue et cette coopération. Quand le politique est dans l'impasse, le citoyen peut montrer la voie.
Dans ce contexte, il est plus important que jamais de travailler pour renforcer également la dimension humanitaire du processus de paix. L'amélioration de la situation humanitaire et économique sur le terrain, au plus près des gens et de leur vie quotidienne, est un puissant dissuasif pour empêcher les gens d'accepter le discours des extrémistes et des terroristes qui se nourrissent de l'état de violence. Il faut diminuer leurs rangs, affaiblir leur capacité à utiliser la misère et le désespoir des gens et des jeunes en particulier, pour recruter des futurs candidats aux attentats-suicide.
Les améliorations concrètes du système humanitaire sont possibles : les récents entretiens directs entre le Président Olmert et le Président Abbas ont porté sur les conditions d'accès et des éléments humanitaires. Cet engagement politique au plus haut niveau sur de telles questions doit se traduire en une véritable dynamique continue et aller du sommet à la base des appareils d'Etat et de sécurité et être relayés en instructions claires, permettant de favoriser l'accès et le mouvement.
Il est essentiel de renforcer le dialogue aussi avec les humanitaires pour améliorer la prévisibilité des mesures de contrôle et sécurité à leur égard et éviter ainsi les blocages inutiles. J'ai senti chez mes interlocuteurs israéliens la volonté de coopérer pour trouver des solutions. C'est une évolution dont je me réjouis. Il convient de mieux rapporter les incidents et cas d'abus de manière objective et incontestée, établir les faits pour pouvoir prendre les mesures correctrices.
Les Forces militaires et de sécurité régulières doivent être davantage sensibilisées au respect du Droit International Humanitaire. La sécurité commence par la retenue et la conduite exemplaire des hommes d'arme sur le terrain.
L'amélioration de la situation passe également par des avancées sur le plan économique et financier pour prévenir l'effondrement institutionnel et fiscal de l'Autorité Palestinienne. L'aide humanitaire est évidemment essentielle et nous continuerons pour notre part à répondre aux besoins des plus vulnérables. Mais l'aide au développement économique est tout aussi urgente.
Pour revenir finalement sur les questions qui sont à la frontière du Droit International Humanitaire et du processus politique, telles que les implantations ou Jérusalem-Est, leur résolution ne pourra se faire que dans le cadre des négociations sur l'Accord final. Mais à tout le moins, il est essentiel d'enrayer toute politique du fait accompli sur le terrain qui ne fait que compliquer la recherche d'un accord.
En guise de conclusion, laissez-moi exprimer ma foi d'homme de bonne volonté. Le respect des droits humanitaires essentiels comme du droit international est une étape importante sur la route de la paix. C'est une raison solide de croire qu'il existe encore une place pour l'humanité. Quand il y a humanité, il y a la possibilité de construire une relation, un dialogue qui ouvre la porte aux compromis dans le respect des intérêts mutuels.
« En donnant aux autres des droits qui leur appartiennent, nous nous donnons des droits à nous-mêmes ». Cette phrase de John Fitzgeral Kennedy a aujourd'hui, plus que jamais, une résonance profonde en cette partie du monde.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.