Carole Vann
GENEVE, 09.06.05 - Le Niger s'enfonce depuis des mois dans la famine : 3.6 millions de morts en sursis, dont 800'000 enfants. Mais l'ONU crie dans le désert et ne récolte pas un centime. Or le rôle des médias est capital pour obtenir des sous.
"La famine au Niger ? J'ai vu passer un mail de l'ONU, mais... vous savez, on en reçoit tellement !" C'était, lundi, la réflexion de responsables de rubriques internationales dans les médias en Suisse. Pourtant, depuis plusieurs mois, un drame silencieux - un de plus - ravage ce pays africain. La Faucheuse est en train d'accomplir à la chaîne sa sinistre besogne. Et si personne ne bouge, elle emportera bientôt 3.6 millions d'âmes - dont 800'000 enfants. L'invasion des criquets pèlerins et la sécheresse ont dévasté pâturages et bétail. L'ONU crie à l'aide, elle a besoin de 16, 2 millions de dollars pour endiguer cette crise. Mais personne n'entend, les sous n'arrivent pas, et les affamés continuent de tomber sans bruit.
Le relais des médias est capital
"Le relais des médias est capital, explique Elisabeth Byrs, responsable de la communication du Bureau pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) à Genève. Ce sont eux qui font pression sur les bailleurs de fonds." Or le message ne passe pas dans les rédactions. Pourquoi ? Les dépêches des agences tombent pourtant. Des communiqués de Swissaid, puis de l'EPER (Entraide protestante) - présentes sur place - sont aussi partis. Mais jusqu'à mardi, pas une ligne dans les journaux, pas un mot à la radio, pas une image à la télé. "Sans images, nous ne pouvons rien faire, explique Hubert Gay-Couttet, responsable de la rubrique internationale du TJ à la TSR. L'Afrique est mal couverte souvent à cause du manque d'infrastructures." En plus, il n'y pas de production propre sur place.
Et les exceptions ? On se souvient des petits Biafrais à la télé : "A l'époque, la culpabilité de l'homme blanc marchait encore", rappelle un journaliste. Et le Rwanda ? "L'horreur était telle que les TV se sont précipitées, poursuit-il. Au Darfour, on a quand même mis 6 mois pour en parler. En Côte d'Ivoire, il y avait des expatriés, donc les TV françaises se sont déplacées."
Au Niger...il n'y a ni touristes, ni conflit
Alors qu'au Niger... il n'y a ni touristes, ni conflit, ni enjeu économique. "C'est terrible à dire, mais les histoires répétitives sur des situations rampantes comme la famine ou le sida ont un effet anesthésiant, reconnaît Patrick Chaboudez, responsable de la rubrique internationale à la RSR. Une famine de plus là bas, c'est devenu une fatalité." Et l'immense identification émotionnelle aux victimes du tsunami - qui touchait des destinations très touristiques - n'a pas arrangé les choses. "Les financements des appels de l'ONU (1,7 milliards de dollars dont plus de 90% pour l'Afrique) sont passés de 42% en 2004 à 31% en 2005", déplore Elisabeth Byrs.
Pourtant, les Etats-Unis et la Grande Bretagne viennent d'accorder 900 millions de dollars supplémentaires au continent noir. "Ca nous permet d'être plus optimistes", se réjouit Elisabeth Byrs qui s'interroge sur la communication de son organisation. "Les gens en ont assez des discours pleurnichards. Il faut sortir des bons sentiments et plus parler des conséquences économiques", affirme-t-elle. Un autre fonctionnaire, qui veut rester anonyme, pousse plus loin : "Il faudrait dire crûment aux populations des pays riches que telle catastrophe va provoquer des déplacements de populations chez eux. Mais de tels discours ne sont pas politiquement corrects. Alors on en reste à la langue de bois. Mais ce n'est pas comme ça qu'on pourra toucher les gens."