RESUME
Depuis 2015, la situation sécuritaire au Niger s’est dégradée, du fait notamment de l’activité de groupes armés non étatiques dans les zones frontalières du pays, et se superpose à des faiblesses structurelles globales en matière de développement. Le Niger est caractérisé, en effet, par un faible taux de développement humain, un fort taux de pauvreté et des lacunes en termes de provision des services de base. L’augmentation continue du nombre de déplacés internes et de réfugiés mais aussi la croissance démographique rapide et le processus de désertification lié au changement climatique sont autant de pressions exercées sur les ressources et les infrastructures disponibles pour les populations. Outre la crise sécuritaire, des chocs particuliers semblent avoir accru l’impact de ces facteurs en 2020 : les mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19 ont perturbé les déplacements et les flux commerciaux, limitant l’approvisionnement alimentaire et l’accès aux revenus d’une partie de la population. De plus, entre juillet et septembre 2020, les inondations liées à la saison des pluies ont provoqué le sinistre de 516 000 ménages, un nombre particulièrement élevé par rapport aux années précédentes.
La communauté humanitaire tente d’apporter une assistance aux populations directement affectées par ces différents chocs, tout en intégrant cette réponse dans une logique de renforcement des faiblesses structurelles du pays. Elle se heurte toutefois à un manque de données multisectorielles fiables et actualisées dans ses efforts de coordination. Afin de répondre à ces lacunes, REACH, sous l’égide de l’Inter-Cluster Coordination Group (ICCG), a conduit une évaluation multisectorielle des besoins (MSNA) au Niger sur l’ensemble du territoire et auprès de quatre groupes de population définis en fonction du statut de déplacement : les personnes déplacées internes (PDI), réfugiées, retournées et non déplacées. En garantissant une couverture nationale et multisectorielle, cette évaluation vient compléter les systèmes de collecte et d’analyse de données existants pour améliorer la compréhension générale de la nature et de la sévérité des besoins multisectoriels des populations au Niger.
La méthodologie et les outils de collecte de données de la MSNA ont été élaborés en collaboration étroite avec tous les clusters sectoriels et les mécanismes d’évaluation existants et validés au niveau de l’ICCG. La collecte de données s’est déroulée du 25 juin au 8 août 2020. Au total, 7 133 entretiens ont été menés dans 1 308 localités, réparties sur l’ensemble du territoire. La MSNA a ainsi permis d’obtenir des données statistiquement représentatives avec un niveau de confiance de 95% et une marge d’erreur maximale de 10% dans les huit régions du Niger, pour chacun des groupes de population qui y étaient présents. L’évaluation a par ailleurs permis d’obtenir des données représentatives au niveau départemental dans les régions de Diffa, Maradi, Tahoua et Tillabéri, indifféremment des groupes de population. En raison de contraintes liées à l’insécurité et aux inondations, il n’a toutefois pas été possible de collecter des données représentatives dans les départements de Banibangou et Bankilaré (région de Tillabéri) et de Bosso et N’Gourti (région de Diffa).
Résultats clés
Les données collectées dans le cadre de la MSNA ont été utilisées pour faciliter l’analyse des besoins sectoriels et intersectoriels afin d’informer l’aperçu des besoins humanitaire au Niger (HNO) et le plan de réponse humanitaire (HRP) en 2021. Ces données ont par ailleurs été utilisées dans le processus d’analyse des zones d’insécurité alimentaire du Cadre Harmonisé. Le présent rapport vise à compléter les efforts fournis dans le cadre de ces différents processus à travers une analyse à partir des données de la MSNA. Elle se fonde sur l’attribution pour chaque ménage d’un score de sévérité exprimé sur une échelle de 1 à 4+ par secteur, permettant de déterminer si le ménage a un manque en termes de niveau de vie (LSG) dans ce secteur, et l’attribution d’un score de sévérité en fonction de l’usage de stratégies d’adaptation négatives non viables (démontrant un manque de capacité (CG) au niveau des ménages). L’agrégation des scores LSG permet la détermination d’un indice des besoins multisectoriels (MSNI) par ménage selon la même échelle de sévérité. Les ménages ayant un score de sévérité MSNI de 3 ou plus sont ainsi considérés comme ayant des besoins multisectoriels. L’analyse s’intéresse finalement à l’influence des vulnérabilités préexistantes des ménages sur la sévérité de leurs besoins multisectoriels.
Résultats clés
Les résultats de la MSNA montrent que 97% des ménages au niveau national ont été identifiés comme ayant des besoins multisectoriels, répartis de manière homogène sur l’ensemble du territoire et entre les groupes de population. Ce résultat signifie que la majorité des ménages n’étaient pas en mesure de répondre à leurs besoins de base dans un ou plusieurs des secteurs pris en compte lors de l’évaluation. Une proportion significative de ménages (63%) a été identifiée comme ayant des besoins (ou LSG) dans 2 ou 3 secteurs simultanément.
Au niveau national, les secteurs de l’eau, hygiène et assainissement (EHA) et de l’éducation sont apparus comme les principaux déterminants des besoins multisectoriels pour les populations non déplacées. En effet, 91% des ménages non déplacés ayant des besoins multisectoriels ont été identifiés comme ayant un LSG en EHA et 65% comme ayant un LSG en éducation. Conséquences des chocs dans une certaine mesure, ces besoins sont principalement tributaires d’enjeux structurels, notamment le manque d’infrastructures de base, ainsi que de normes sociales. Ces deux LSG sectoriels coexistaient souvent chez les ménages, se conjuguant, pour une partie d’entre eux, avec des besoins en sécurité alimentaire. Le secteur de la santé est quant à lui le troisième besoin prioritaire le plus fréquemment cité par les ménages qui mentionnent l’argent pour payer les frais médicaux et les médicaments parmi les interventions qui leur semblaient préférables.
L’évaluation a montré que les besoins des populations déplacées (réfugiés, retournés et déplacés internes) étaient d’une nature relativement différente de ceux des populations non déplacées. Si l’éducation et la sécurité alimentaire sont apparus comme des secteurs déterminants des besoins pour l’ensemble des groupes de population, le secteur des abris et biens non alimentaires (ABNA) est aussi apparu comme un déterminant essentiel des besoins multisectoriels des ménages déplacés. En effet, 82% des ménages PDI, 86% des ménages réfugiés et 78% des ménages retournés ayant des besoins multisectoriels ont été identifiés comme ayant un LSG en ABNA. Cette prévalence des besoins en ABNA est corrélée à l’occupation par ces groupes d’abris non durables, présentant des faiblesses structurelles souvent liées aux intempéries. Sur l’ensemble du territoire, la proportion de ménages déplacés qui ont été identifiés comme ayant des besoins en EHA était inférieure à celle de ménages non déplacés, suggérant que l’accès à l’assistance humanitaire vient combler certaines lacunes dans ce secteur.
Certaines caractéristiques semblent exacerber les difficultés rencontrées par les ménages pour satisfaire leurs besoins de base et affecter leur capacité à absorber les chocs. Dix-huit pour cent (18%) des ménages au niveau national ont été identifiés comme vulnérables et ayant des besoins multisectoriels, sur un total de 19% de ménages vulnérables. Des besoins accrus en sécurité alimentaire ont été identifiés pour les ménages dirigés par des femmes (50% contre 42% des ménages dirigés par des hommes ayant des besoins multisectoriels) et des besoins en protection élevés pour les ménages comportant un membre atteint de maladie chronique ou en situation de handicap. L’absence de membre adulte sachant lire et écrire au sein des ménages semble par ailleurs associée à de besoins accrus dans les secteurs de l’éducation, de la sécurité alimentaire et de l’EHA. Cette dynamique peut être corrélée à une prévalence de l’analphabétisme dans les zones rurales, où l’accès aux services et infrastructures de base représentent des défis particulièrement importants.
Parallèlement aux besoins sectoriels et multisectoriels des ménages, la MSNA a montré la prévalence de CG pour une grande partie des ménages au Niger, matérialisée par le recours à des stratégies d’adaptation négatives non viables pour pallier au manque de ressources. Au niveau national, 1% des ménages n’ont pas de besoins multisectoriels mais un CG, soit un tiers des ménages n’ayant pas de besoins multisectoriels. Il importe de noter que 71% des ménages ayant des besoins multisectoriels ont aussi été identifiés comme présentant un CG. Cette proportion élevée suggère que les besoins multisectoriels des ménages pourraient augmenter si des chocs devaient les affecter dans le futur, mais aussi que le recours à ces stratégies ne permet pas aux ménages de surmonter les barrières rencontrées pour satisfaire leurs besoins de base.
Au niveau national, une proportion plus restreinte de ménages (9%) peut être considérée comme ayant des besoins multisectoriels très extrêmes (score de sévérité du MSNI de 4+). L’évaluation a montré que les proportions de ménages concernés par des besoins multisectoriels très extrêmes étaient particulièrement élevées dans certaines zones ou pour certains groupes de population, invitant à une analyse approfondie des dynamiques contribuant à la sévérité des besoins de ces sous-ensembles. Trois sous-ensembles ont été mis en exergue dans le cadre de ce rapport : les ménages résidant dans les départements frontaliers du Mali et du Burkina Faso au nord-ouest de la région de Tillabéri (tous groupes de population confondus), les populations réfugiées de la région de Tahoua, qui concentrent les proportions les plus élevées de ménages avec des besoins très extrêmes et les populations non déplacées dans la région de Zinder.
Quarante-quatre pour cent (44%) des ménages réfugiés dans la région de Tahoua, plus précisément dans le département de Tillia où se concentre ce groupe de population, font face à des besoins multisectoriels très extrêmes. Ce niveau de sévérité peut être corrélé à la recrudescence de l’insécurité dans la zone en 2020, et résulter en une perte de ressources et d’accès aux infrastructures de base pour la population amenée à effectuer de nouveaux déplacements. Si la conjugaison de besoins en ABNA, sécurité alimentaire, éducation et EHA apparait comme le profil de besoin le plus commun pour ce groupe (10% des ménages), une proportion préoccupante (52%) de ménages réfugiés ayant des besoins multisectoriels a été identifiée comme ayant des besoins en protection.
La proportion de ménages résidant dans les départements au nord-ouest de Tillabéri, au cœur de la zone des trois Frontières, et ayant des besoins multisectoriels très extrêmes apparaît aussi préoccupante. En effet, 79% des ménages à Bankilaré, 69% des ménages à Ayerou, 49% des ménages à Téra et 48% des ménages à Gotheye ont des besoins multisectoriels très extrêmes. L’insécurité, les difficultés accrues d’accès pour les acteurs humanitaires à la zone, et l’impact indirect de la COVID-19 semblent être catalyseurs de cette sévérité, notamment déterminée par un niveau d’insécurité alimentaire critique et des besoins importants en EHA.
La concentration de ménages avec des besoins multisectoriels très extrêmes dans des régions épargnées par l’insécurité et les déplacements, notamment Niamey, Dosso et plus particulièrement Zinder, témoigne de l’impact simultané des faiblesses structurelles en termes d’accès aux services et ressources de base au Niger et des chocs ayant affecté l’ensemble du pays en 2020 (épidémies, chocs climatiques). L’acuité des besoins à Zinder, où 14% des ménages ont été identifiés comme ayant des besoins multisectoriels très extrêmes est particulièrement tributaire de LSG en EHA et en sécurité alimentaire.
Les résultats de la MSNA montrent par ailleurs que 22% des ménages ont accédé à une forme d’assistance humanitaire au cours des 30 jours précédant la collecte de données.17 Parmi eux, plus d’un ménages sur cinq a indiqué ne pas être satisfait de l’assistance reçue, principalement car elle n’était pas en quantité suffisante mais aussi parce qu’elle ne correspondait pas aux besoins des ménages. La modalité d’assistance sous forme de transferts monétaires semble être privilégiée au niveau global, notamment en sécurité alimentaire et ABNA à l’exception des régions de Tillabéri et Tahoua où prévaut une préférence pour la provision directe d’assistance, selon ce qui a été rapporté par les ménages.
En conclusion, les différents chocs qui ont affecté le Niger en 2020 ont contribué à exacerber des vulnérabilités structurelles, résultant dans des besoins multisectoriels pour la quasi-totalité des ménages. Cette combinaison de facteurs explique aussi l’acuité des besoins pour certains sous-ensembles au sein desquels a été identifiée une proportion élevée de ménages avec des besoins multisectoriels très extrêmes – à la fois dans des zones particulièrement difficiles d’accès que dans des zones qui ne sont pas systématiquement prioritaires pour la réponse humanitaire. Cela souligne l’importance de compléter la présente évaluation avec des analyses approfondies, aussi bien en termes sectoriels qu’au niveau de certaines zones, en 2021.