Synthèse
Depuis deux ans, le Niger est en guerre contre Boko Haram. Ce conflit armé pèse sur les équilibres fondamentaux, notamment financiers, de ce pays pauvre et déstabilise le Sud-Est, théâtre principal des affrontements. Dans cette région située à 1 350 kilomètres de la capitale, exsangue économiquement, la lutte contre Boko Haram suscite des tensions locales et exacerbe les violences intercommunautaires autour de l’accès aux ressources. Malgré l’appui direct des troupes tchadiennes depuis 2015 et une meilleure collaboration avec l’armée du Nigéria, les forces nigériennes n’ont pas mis un terme aux attaques des insurgés, dont certains sont liés à l’Etat islamique (EI).
L’option militaire a donné des résultats mais a également montré ses limites. Une approche permettant la démobilisation des militants du mouvement et le règlement politique des tensions qui nourrissent son implantation locale doit accompagner l’effort de guerre. La relance de l’économie et des services publics doit également devenir une priorité pour soulager des populations épuisées, dont la détresse alimente l’insurrection.
En dépit de scénarios alarmistes, Boko Haram n’a pas réussi à étendre son influence au-delà de la région de Diffa, au Sud-Est du pays. Ce territoire relativement riche entretient un rapport particulier avec l’état nigérian du Borno auquel il est intimement lié par l’histoire, la culture religieuse et l’économie. Ces liens étroits expliquent l’écho qu’y a rencontré Mohamed Yusuf, le fondateur nigérian de Boko Haram.
Il a trouvé de nombreux adeptes parmi les Nigériens, et tout particulièrement les jeunes, venus à Maiduguri, la capitale du Borno, à seulement 425 kilomètres de Diffa, en quête de formation religieuse ou de succès commercial. Lorsqu’en juillet 2009, les forces armées nigérianes ont massacré plus de 1 000 de ses partisans, de nombreux membres de Boko Haram ont trouvé refuge dans le Sud-Est du Niger. Le mouvement s’est longtemps gardé de mener des opérations militaires dans le pays pour mieux faire de Diffa une zone de financement, de ravitaillement, de repli et de recrutement.
Face à Boko Haram, les autorités nigériennes ont d’abord opté pour une stratégie de surveillance. A leurs yeux, le problème concernait essentiellement le Nigéria. En 2014, cette attitude a évolué alors que la menace devenait plus pressante : l’expansion territoriale de Boko Haram jusqu’aux frontières du Niger s’est accompagnée d’une intensification des recrutements de centaines de jeunes Nigériens. Incité par ses partenaires, régionaux et internationaux, à s’impliquer plus activement, le Niger s’est engagé militairement au sein de la Force multinationale mixte (FMM). Depuis, l’effort de guerre pèse sur le budget de l’Etat, met à mal le système judiciaire et attise les tensions entre le pouvoir politique et la hiérarchie militaire.
La région de Diffa souffre à la fois des offensives de Boko Haram et des mesures contre-insurrectionnelles prises par les autorités nigériennes, comme la prolongation de l’état d’urgence mis en place en février 2015 et qui introduit des interdictions sur certaines activités commerciales. Des centaines de milliers de réfugiés et de dé-placés internes survivent grâce à l’aide extérieure. Le recours aux comités de vigilance locaux et les représailles de Boko Haram contre ceux qui collaborent avec l’armée entretiennent une atmosphère pesante où vengeances locales, psychose collective et délations s’entremêlent dangereusement.
Dans le bassin du lac Tchad, à l’extrême est de la région de Diffa, la présence de Boko Haram a aggravé les tensions intercommunautaires qui ont dégénéré en conflits meurtriers à partir de mai 2016. La médiation entre communautés initiée par les autorités depuis juin 2016 constitue une initiative bienvenue mais elle n’a pas encore apaisé toutes ces tensions. Sur le lac, un groupe de combattants en rupture avec l’aile de Boko Haram menée par Aboubakar Shekau, le chef du mouvement et successeur de feu Mohamed Yusuf, exploite ces tensions locales. Ce groupe tente actuellement de s’implanter durablement et bénéficierait d’un lien privilégié avec l’EI.
Face à la résilience de Boko Haram sur son territoire, l’Etat nigérien ne peut se contenter d’une approche mêlant opérations militaire et blocus économique. En dé-cembre 2016, la création de sites de démobilisation a marqué une première inflexion dans la politique de répression qui prévalait depuis 2015. Un plan de sortie de crise pour la région de Diffa est également à l’étude à Niamey. Avec l’aide de ses partenaires régionaux et internationaux, l’Etat doit poursuivre dans cette direction et étoffer sa stratégie contre-insurrectionnelle pour qu’elle aille au-delà d’une réponse essentiellement militaire. Cela est d’autant plus important qu’une partie des insurgés, en rupture avec les excès d’Aboubakar Shekau, pourraient chercher à regagner le soutien des civils en évitant de prendre les musulmans pour cible. L’Etat doit en outre accentuer sa coopération avec ses voisins et anticiper un possible désengagement de partenaires internationaux dont les finances publiques se dégradent ou qui pourraient, dans les mois à venir, opter pour des politiques isolationnistes.