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Niger

Déplacement au Niger - Point de presse conjoint du Ministre des Affaires Etrangères, Mr. Philippe Douste-Blazy, et de la Ministre des Affaires Etrangères de la Coopération et de l'Intégration Africaine, Mme Aichatou mindaoudou - Propos de Mr. Douste-Blazy

(Niamey, 30 juillet 2005) - Je voudrais d'abord, Madame la Ministre, vous dire combien je suis heureux d'être ici à vos côtés après avoir signé cette convention sur le fonds de sécurité alimentaire, tout en me rendant compte, bien sûr, que ce n'est pas assez et que ce n'est que la traduction d'une volonté farouche de la France d'être à vos côtés. La France est déjà bien sûr le premier contributeur bilatéral pour le Niger, la France travaille avec vous à la fois en bilatéral mais aussi dans le multilatéral et je voudrais ici vous redire combien nous sommes émus d'être à vos côtés dans cette crise qui touche votre pays. La relation de la France avec le continent africain, l'engagement qui est le nôtre aujourd'hui en faveur de l'aide au développement, est pour nous une priorité qui procède d'une conviction absolue.

Nous vivons dans le même monde, nous partageons la même planète, nous sommes dans la même barque, j'ai envie de dire. La mondialisation des échanges, c'est aussi la mondialisation des crises. Le Niger est touché aujourd'hui par une situation de malnutrition grave.

Il y a d'un côté, on le voit, beaucoup de prises de position, beaucoup de concerts, beaucoup de prises de parole, dans les pays riches et puis, de l'autre, une réalité. Il y a une sorte d'avarice maladive des pays riches, une indifférence morale aussi et puis j'ai envie de dire aussi une erreur stratégique, grave des pays les plus riches.

Tout à l'heure vous m'avez dit : j'ai écrit à la communauté internationale, j'ai dit, j'ai pris mes responsabilités, le Premier Ministre me l'a dit aussi, aux mois de septembre-octobre. Vous nous avez dit : à la fois il y aura un problème de sécheresse et de pâturage associé aux criquets, cela aboutit au drame que nous connaissons. La communauté internationale ne s'est pas mobilisée au moment o=F9 il le fallait. C'est vrai qu'il y a eu le tsunami et c'est vrai aussi qu'il y a une non-écoute de la communauté internationale.

Alors je voudrais ici dire qu'il nous faut combler, je le sais, un déficit céréalier de 25 500 tonnes, qu'il y a 3.250.000 personnes en situation d'extrême vulnérabilité alimentaire à prendre en charge, que les bateaux que vous avez commandés, qui partent d'Inde bourrés de maïs ou de sorgho, ont des difficultés mais qu'ils arriveront début août. Ce que je sais aussi, c'est que l'UNICEF a exprimé une demande et a fait des propositions, ainsi qu'un appel à contributions, de sorte que l'aide humanitaire vienne à bout de la malnutrition des enfants. D'abord 30.000 enfants qui sont en malnutrition sévère dont la vie est très en danger et qui ont besoin de traitements d'urgence. La France a décidé de relever, seule, en bilatéral, le problème de ces 35,7 tonnes de matériel, en particulier de lait, de riz, de produits caloriques qui arriveront dès ce soir par avion à 19h30 ou à 20h.

Il y a, à côté de ces enfants qui ont une malnutrition sévère, 160.000 enfants qui sont touchés par une malnutrition modérée. La caractéristique d'une malnutrition modérée, c'est de devenir une malnutrition sévère suivie d'effets. Après avoir parlé avec le responsable de l'UNICEF, que je salue ici, du Niger, il y a de manière plus claire la certitude aujourd'hui que les stocks existent en Belgique mais que le bateau met trop de temps et donc que si on prend le bateau alors, il y aura, au mois de septembre, une catastrophe.

La France sera leader, c'est ce que je vous ai annoncé, également sur le problème de l'acheminement des produits pour sauver ces 160.000 enfants qui ne basculeront pas dans l'horreur, c'est-à-dire dans la malnutrition sévère. Il faut 4 000 tonnes, ces 4 000 tonnes sont en Belgique, vous m'avez dit très clairement que c'est un problème d'avions, donc ces avions seront trouvés. Le président de la République a décidé de doubler les aides pour le Niger, le président de la République, au G8, a été le seul chef d'Etat, je le dis ici, à dire qu'il fallait immédiatement aider le Niger ; donc il est au rendez-vous de ses paroles et je l'en remercie.

Je voudrai juste dire une chose ici qui me paraît importante à la presse. Nous ne sommes pas dans une logique de compassion, nous ne sommes pas dans la logique de "la main qui donne au-dessus de la main qui reçoit". C'est une magnifique phrase d'Amadou Hampate Ba. Il est de notre intérêt commun de tout faire pour réduire les crises et conforter le développement des pays pauvres. Une chose doit être sûre : il n'y aura pas de croissance et de sécurité dans le monde occidental, et en particulier sur le continent européen, sans développement, sans stabilisation du continent africain. Et, sur le continent africain, il n'y aura pas de développement sans résolution des conflits ni réduction des crises, sans développement, il y a un lien indissociable entre sécurité et développement qui est particulièrement marqué dans la bande sahélienne.

C'est la raison pour laquelle nous accordons une aide publique au développement que je voudrais ici bien définir. D'abord un mot sur le plan assez général à ceux qui pourraient douter de l'importance de l'aide au développement parce qu'il se peut que dans notre pays riche on se pose la question. Quand l'être humain n'a plus d'espoir, il est immédiatement perméable aux discours de haine, d'intolérance, il voit que les grandes démocraties vantent à longueur de journée des valeurs humanistes, solidaires sans que cela change quoi que ce soit sur le cours de sa destinée. Et l'être humain, à ce moment là, rejette notre modèle et se dit que la démocratie, la liberté, l'égalité, la fraternité ne sont pas pour lui. Voilà ce qu'il se dit, voilà ce qu'il voit, c'est cette égalité. Mettre des caméras dans les métros pour lutter contre l'insécurité c'est bien, accroître le contrôle aux frontières, pourquoi pas, mais se mobiliser ici au Niger ou au Soudan, hier dans toutes les zones d'extrême pauvreté, c'est encore mieux et surtout plus efficace.

Aider les pays les plus pauvres doit être aujourd'hui la priorité du monde, et moi, je dis à mes compatriotes : vous voulez partir en vacances tranquilles, vous voulez faire du shopping tranquilles, vous voulez aller et venir tranquilles, alors n'ayez pas l'esprit tranquille ! Parce qu'aujourd'hui, grâce aux médias, nous savons o=F9 se trouve le malheur, tout le monde sait o=F9 se trouve le malheur. Il en va de l'avenir de millions d'enfants, de femmes et d'hommes qui ne veulent que survivre pour aspirer comme nous au bonheur. Il nous faut donc agir très vite.

La solution, je crois que nous l'avons chacun d'entre nous entre nos mains : c'est l'aide au développement. Or, notre pays doit définir son aide au développement. J'aurai l'occasion de le faire dans le courant du mois d'octobre. Mais je voudrais simplement vous dire qu'il y a des éléments : d'abord il y a - on en a beaucoup parlé avec le ministre à l'instant - les annulations de dettes, qui ont beaucoup augmenté ces dernières années. C'est une bonne chose. La France y contribue doublement, d'abord comme prêteur important et surtout comme force politique de l'annulation des dettes, vous savez que c'est le président de la République qui a été le premier, il y a dix ans, à proposer cela. Tony Blair, récemment au G8, le disait aussi. Donc nous nous sommes réjouis ici de voir l'initiative britannique au G8 mais en 2006 des annulations de dettes portent l'effort global, du fait de l'annulation de la dette multilatérale des pays les plus pauvres et de l'annulation de dettes bilatérales pour le Nigeria, à 1,8 milliards de dollars. Donc ça, c'est l'annulation des dettes.

Je me permets simplement de dire que pour l'annulation des dettes, il faut aussi pouvoir regarder la bonne gouvernance économique, politique et démocratique des pays. Je pense qu'il vaut mieux enlever la dette de quelqu'un qui a fait l'effort démocratique et l'effort de réformes économiques plutôt que celui qui ne l'a pas fait.

Deuxièmement, l'aide de la France qui passe par les institutions multilatérales et par les fonds multilatéraux. Cette aide résulte de l'action, d'une action très, très concrète mais l'origine française de ces fonds est évidemment moins visible ; lorsque la France paye dans une institution internationale, elle n'est pas, en tant que telle, la France. Parfois nos compatriotes peuvent penser qu'elle n'est pas visible. Mais la France a fait le choix du jeu collectif, plus facile à coordonner, plus facile aussi à gérer pour les pays bénéficiaires donc souvent plus efficace. J'en donnerai trois exemples : la France finance un quart du Fonds européen de développement, elle va verser par exemple l'an prochain au FED 800 millions d'euros contre 650 en 2005. Le FED finance des infrastructures en Afrique pour une nouvelle et meilleure initiative sur l'eau ; deuxième exemple, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont la France est le deuxième contributeur international avec 150 000 millions d'euros par an. Le président de la République vient de décider le doublement de la contribution française au Fonds mondial contre le sida passant de 150 millions à 300 millions d'ici deux ans. Mon troisième exemple en matière d'aide multilatérale est celui des institutions financières internationales. La France a annoncé très récemment une très importante augmentation de son financement de l'Initiative pour le développement, dont elle est l'un des trois premiers contributeurs, notamment pour l'instrument de la Banque Mondiale et aussi des initiatives de la Banque africaine de développement en particulier pour l'eau.

Il est vrai que, par rapport aux institutions des Nations unies, le PNUD, l'OMS, l'ONUSIDA, nos contributions ont pris beaucoup de retard dans les années 1990. Nous sommes loin derrière les pays comme la Norvège mais là aussi le président de la République a fait un effort important en annonçant une augmentation de ces contributions volontaires de la France.

Troisième composante de l'aide au développement, c'est l'aide bilatérale française au développement. C'était l'essentiel de notre aide à des niveaux très importants dans les années 80, dans les années 90 et jusqu'au début des années 2000, cette aide a constamment baissé, le nombre de nos assistants techniques est passé de 10.000 à 2.000, les aides projets ont beaucoup baissé, aujourd'hui nous voulons, je veux arrêter ce mouvement malgré la hausse forte des annulations de dettes, malgré le taux fort de l'aide multilatérale, je crois qu'il faut que nous arrêtions de remettre en cause les aides bilatérales.

Notre aide bilatérale doit, elle aussi, augmenter. Je donnerai la priorité aux domaines suivants : l'éducation : nos experts ont joué un grand rôle dans l'initiative multilatérale. J'ai discuté du Niger ce matin avec le président de la République. Si on veut régler le problème de ces pays, ce n'est certainement pas par de la compassion, en faisant de la bonne conscience ou en accordant une aide humanitaire, en arrivant comme cela en avion - mais enfin il le faut, cela s'appelle l'urgence.

Ce qu'il faut c'est sortir ces pays de la pauvreté. Comment sort-on ces pays de la pauvreté ? On sort ces pays de la pauvreté par un triangle qui s'appelle l'éducation, qui s'appelle la santé et qui s'appelle l'agriculture. Or quelqu'un qui ne mange pas, qui n'a pas une bonne santé, ne va pas à l'école. Et donc la première chose qu'il faut faire c'est bien sûr trouver des problèmes d'irrigation pour permettre la culture et pour ensuite fixer les familles, s'occuper des femmes, car quand on ne s'occupe pas des mères, les enfants iront chercher l'eau le matin et donc n'iront pas à l'école et donc vous avez un cercle vicieux. Il y a le problème de l'irrigation en agriculture, la production, deuxièmement s'occuper des mères, des mères de familles et ensuite donc s'occuper des enfants, amener les enfants à l'école et, bien évidemment, le problème de la santé, c'est le problème de nutrition, et le problème de nutrition, c'est un problème d'agriculture donc si on n'agit pas, on n'a rien compris. Nous allons travailler dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la santé, en particulier dans le domaine du sida, de la tuberculose, du paludisme, du Fonds mondial o=F9 j'aurai l'occasion d'aborder ces sujets très fortement dans les prochains mois, que ce soit avec mon collègue Xavier Bertrand, ministre de la Santé, que ce soit avec l'ancien président Clinton, qui travaille avec sa fondation, que ce soit en multilatéral avec d'autres pays pour créer les conditions d'une baisse du prix des antirétroviraux antisida, mais également le paludisme dont on parle trop peu. Et enfin l'eau et l'assainissement. Dans ces trois domaines nous donnerons les moyens supplémentaires dont a besoin l'Agence française de développement.

Je voudrais juste terminer sur un mot. Je pense que ce premier déplacement en Afrique, Madame la Ministre, vous qui êtes ministre depuis 2001, je voulais le faire bien sûr autour de deux secteurs : sur le secteur politique, c'était le passage au Tchad, au Soudan et au Darfour o=F9 l'on voit bien que la crise humanitaire vient du politique. Puis, il y a un second exemple qui est celui d'aujourd'hui. Là, ce n'est pas la politique mais tout simplement le manque de prévention face aux crises ; on le savait, la sécheresse on la voyait arriver, c'est vrai d'ailleurs pour le Niger, c'est vrai pour le Mali, c'est vrai pour la Mauritanie, c'est vrai pour le Bénin, donc je veux dire que c'est régional.

Il faut à la fois lutter pour les processus politiques de réconciliation nationale et de l'autre prévenir des crises naturelles : c'est cela que la communauté internationale doit faire si on veut tout simplement être face à nous-mêmes parce que sinon on continuera avec bonne conscience mais ce n'est pas la véritable aide au développement.

Voilà ce que je voulais vous dire Madame la Ministre, en m'excusant d'avoir été aussi long. Je crois que ce lien indissociable entre sécurité et développement est particulièrement marqué, comme vous le disiez tout à l'heure. C'est pourquoi dans ce deuxième pays la France a choisi d'être de loin ce premier bailleur, je crois que c'est comme cela que nous arriverons à réduire durablement le niveau insupportable, inadmissible de la crise que nous constatons aujourd'hui./.