Le 8 décembre dernier ont démarré les audiences publiques de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR). 13 témoignages faisant cas de violations graves et abus des droits de l’homme, remontant pour certaines aux années soixante, ont été enregistrées en présence d’un public nombreux. Plusieurs personnalités, parmi lesquelles des membres du gouvernement et des responsables d’institutions de la République étaient présentes.
Redonner aux victimes leur dignité et leur voix… par des audiences publiques
À ce jour, plus de 15612 personnes ont enregistré leur témoignage auprès de la Commission Vérité Justice et réconciliation (CVJR), à travers ses antennes régionales de Bamako, Ségou, Mopti, Gao, Tombouctou, Kidal et ses équipes mobiles. Ces témoignages ont servi à documenter les cas de violations et d’abus des droits de l’homme ; à ouvrir des enquêtes en vue de l’établissement de la vérité sur certains évènements majeurs de la vie de la République. Elles ont également permis qu’une assistance psychosociale et médicale soit prodiguée à des victimes. Ces dépositions concernent des violations et abus des droits de l’homme commis de 1960 à nos jours sur toute l’étendue du territoire national.
Les audiences publiques de la CVJR ont pour vocation de redonner aux victimes leur dignité et leur voix, de faciliter un début de guérison, en reconnaissant publiquement ce qui leur est arrivé. Il s’agit aussi de promouvoir l’intégration de leurs récits à la mémoire et à l’histoire nationales.
Cinq autres audiences sont prévues pour 2020 et 2021 sur des questions telles que le droit à la vie et à l'intégrité physique, les disparitions forcées, ainsi que sur les violences à l'égard des femmes et des enfants.
Depuis la création de la CVJR en 2014, la MINUSMA lui apporte son soutien à travers sa Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) pour son opérationnalisation notamment à travers un appui technique, financier et logistique. Par exemple, elle participe à la formation et au déploiement du personnel de la CVJR sur le terrain, participe à tous les groupes techniques (audiences publiques, réparation) et aux sous-commissions soutien aux victimes et recherche de la vérité ou encore, elle soutient les audiences publiques, et les enquêtes.
Ces efforts s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale en son article 46, relatif à la réconciliation et à la justice tel que demandé à la MINUSMA par le paragraphe 28 de la résolution 2480 (2019) du Conseil de sécurité de l’ONU, donnant mandat à la MINUSMA pour agir.
« Le jour où la CVJR a écouté mon histoire, a peut-être marqué le début de ma guérison… » dixit l’une des victimes.
C’est cette vocation cathartique que revêtent les audiences publiques de la Commission Vérité Justice et Réconciliation qui ont débuté le dimanche 8 décembre 2019 au Centre International de Conférence de Bamako. Au cours de cette première audience publique, 13 victimes dont deux femmes, ont témoigné sur les préjudices qu'ils ont subis, notamment la détention arbitraire, les enlèvements et la séquestration.
Ces 13 témoignages tous plus émouvants les uns que les autres, ont replongé leurs auteurs, victimes de violations et d’abus, dans leurs souffrances et ont ravivé certaines blessures profondes. Ils dépeignent de sombres tableaux, d’époques différentes et qui ont fait d’autres victimes. Ces treize personnes sont des cas représentatifs. Leurs histoires venaient des années 1963, 1980, mais aussi de 2012 et 2019 et de lieux différents comme Kidal, Mopti, Ségou, Tombouctou, Ansongo et Ouélessebougou.
Chacune des interventions était porteuse du besoin d’assouvir leur droit à la vérité. Toutefois et malgré la douleur, chacune de ces interventions véhiculait des messages de pardon, de paix et de réconciliation.
« Il n’y a pas de paix sans justice » Kofi Annan
Une cérémonie d’ouverture a précédé ces témoignages. Elle a été marquée par les discours du Représentant des Organisations de victimes, du Président de la Commission Vérité, Justice, et Réconciliation et du Ministre de la Cohésion sociale, de la paix et de la Réconciliation Nationale, représentant le Président de la République du Mali.
Près de 650 personnes ont participé à cette première, dont l'ancien Président de la République Dioncounda Traoré, Haut Représentant du Chef de l'Etat pour le Centre, deux anciens Premiers ministres, le Haut Représentant du Président de la République pour la mise en œuvre de l'Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d'Alger, l'ancien Président de l'Assemblée nationale le Pr Ali Nouhoum Diallo, le Président du Haut Conseil pour la Réconciliation et l'Unité Nationale du Burkina Faso, les membres du corps diplomatique, le système des Nations Unies (MINUSMA, UNICEF et ONU Femmes), la coopération internationale allemande au développement GIZ, Avocats sans frontières-Canada, les médias nationaux et internationaux, les organisations de la société civile, y compris les associations de victimes.
Dans son discours, le représentant des Organisations de victimes, M. Oumar Sidi Traoré a adressé un appel au Président de la CVJR. « Ce que nous voulons, a-t-il dit, c’est l’établissement de la vérité ; savoir ce qui s’est passé, comment et qui en sont responsables ? Poursuivre les auteurs ; mettre en place un mécanisme de réparation des vies brisées. Enfin la transformation de la forme et le fonctionnement de l’Etat, afin que les violations graves appartiennent au passé et que le nouvel Etat garantisse effectivement aux citoyens, la non-répétition des violations des droits de l’homme ».
Le représentant des associations de victime a insisté sur le fait que le droit des victimes à saisir la justice est un droit inaliénable et comme l’a dit Kofi Annan « Il n’y a pas de paix sans justice ». Il n’y a pas non plus de réconciliation sans justice. Selon M. Traoré, « les victimes qui ont pris l’option d’ester en justice attendent que les dossiers pendants devant les tribunaux soient vidés. Elles attendent aussi que les choses changent et cela c’est le rôle de l’Etat ».
Ousmane Oumarou Sidibé, le Président de la CVJR, a appelé tous les acteurs sur le terrain : les mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, les forces armées et de sécurité, et tous les autres groupes armés, à faire preuve de la plus grande vigilance pour prévenir les atteintes au droit à la liberté.
Il a par ailleurs encouragé tous les acteurs à se solidariser avec les victimes de violations graves des droits de l’homme, qui méritent toute leur attention pour garantir leur droit à la justice. Il a aussi invité l’ensemble de ses concitoyens à œuvrer ensemble autour des victimes, pour les soutenir et les accompagner, afin de faciliter leur reconstruction.
Le Ministre de la Cohésion sociale, de la Paix et de la Réconciliation nationale, Lassine Bouaré, a renouvelé la reconnaissance du peuple et du gouvernement du Mali aux pays, organisations régionales et internationales membres du Comité de Suivi de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger et à tous les pays participant sur le terrain à la restauration de la paix et de la stabilité au Mali.
Il a salué le courage et l’abnégation des organisations de victimes et des organisations de défense des droits de l’homme, qui travaillent sans relâche pour faire triompher le droit et redonner dignité et espoir aux victimes.