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Mali

L'endettement des migrants de retour et l'impact sur la réintégration durable au Mali, octobre 2020

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RÉSUMÉ EXÉCUTIF

Depuis 2012, année marquée par la rébellion dans le Nord du pays et le renversement du régime en place, le Mali a vu sa situation sécuritaire se dégrader rapidement. Le pays demeure ainsi fortement marqué par l’instabilité, tandis que les populations continuent à souffrir de niveaux de pauvreté élevés, surtout dans les zones rurales où les conséquences des sécheresses sur l’agriculture se font durement ressentir. Dans ce contexte, l’émigration au Mali est valorisée au point que l’on peut y parler de « culture de migration » (MMC REACH, 2020). En octobre 2019, les Maliens faisaient partie des trois nationalités ouest-africaines les plus représentées le long des routes migratoires méditerranéennes vers l’Europe (OIM 2020d, UNHCR et Gouvernements Européens, 2019). Or, confrontés à un manque de ressources économiques, les candidats au départ ont tendance à s’endetter pour financer leur voyage.

La migration de retour est, quant à elle, un phénomène qui a pris de l’ampleur au Mali avec l’insécurité croissante de la région, la dangerosité des routes migratoires caractérisées par la traversée de la mer Méditerranée ou du désert du Sahara, le renforcement des contrôles aux frontières et par les risques grandissants de protection en Libye. De plus en plus de migrants optent donc pour des retours volontaires et sont en ce sens appuyés par des acteurs engagés dans la réintégration durable de ces migrants de retour au Mali. Ainsi, l’OIM a assisté au retour volontaire et à la réintégration de 19 317 Maliens depuis 2017 .

Cette étude effectuée auprès de 456 migrants de retour au Mali assistés par l’OIM, associée à 14 entretiens menés auprès d’informateurs clés eux-mêmes en lien avec des migrants de retour, a permis de :

  1. Dresser le profil des 68% de migrants de retour de migration de notre échantillon qui se sont endettés ;

  2. Comprendre le fonctionnement du système de prêt par lequel ils s’endettent, et ;

  3. Évaluer l’impact de l’endettement sur le processus de réintégration de ces migrants de retour dans leurs communautés d’origines au Mali.

Ainsi, les résultats révèlent que ce sont des hommes (97% des migrants endettés), plutôt jeunes (82% ont moins de 34 ans) qui s’endettent pour financer leur migration (83% des migrants endettés). En comparant avec les migrants de retour qui n’ont pas eu recours à l’emprunt, les migrants de retour endettés sont plutôt des chefs de ménage (31% des migrants endettés contre 19% des migrants non-endettés), mariés (43% des migrants endettés contre 23% des migrants non-endettés), et sont aussi plus nombreux à déclarer des personnes à charge (79% des migrants endettés contre 59% des migrants non-endettés). Ces derniers points tendent à montrer que les migrants de retour responsables de leur foyer sont plus enclins à contracter une dette pour migrer. Pour des individus sans revenu (53% des migrants endettés), la migration et la dette peuvent être considérées comme des mécanismes de dernier ressort dans une tentative d’amélioration de leurs conditions de vie. En effet, l’accumulation de dettes dans le contexte de la migration est perçue comme un choix rationnel, à partir duquel le migrant espère avoir un impact positif sur sa propre situation mais aussi sur celle de sa famille et des communautés soutenant le projet de migration.

Dans un contexte familial et communautaire qui valorise la migration, il est compréhensible que ce soit principalement auprès d’amis ou proches (58% des dettes) et de la famille (39%) que les migrants empruntent l’argent pour financer leur migration. Cette étude indique clairement que les réseaux familial et amical jouent un rôle clé dans la préparation du parcours migratoire, que ce soit pour des financements, des informations ou des conseils. Cela confirme une stratégie d’investissement de la famille ou de la communauté du migrant décrite par les informateurs clés. En incitant le migrant à partir, en lui prêtant l’argent nécessaire, la famille mise sur sa réussite et les retombées positives – économiques principalement mais pas seulement - qui en découleront.

Le contexte au Mali produit une migration comme meilleure alternative possible à la précarité : dans la région de Kayes, par exemple, 90% des infrastructures sont l’œuvre des maliens de l’étranger, selon le Groupe de Recherches et de Réalisation pour le Développement Rural (GRDR). Dans ce cadre, la dette ne constitue plus seulement le prêt d’une somme d’argent qui se devra d’être restituée, mais au-delà de ça, elle constitue dorénavant un engagement moral du migrant envers sa communauté et ceux qui lui ont prêté à réussir sa migration pour faciliter ensuite la réussite économique et sociale de toutes les personnes qui auront investis - argent et espoirs - en lui. Le migrant sera alors redevable, certes d’une dette économique mais aussi, et surtout, de cette dette morale.

Cette question de la redevabilité se pose dans le cadre d’une migration de retour car qu’il soit en mesure ou non de rembourser sa dette financière, le migrant n’est pas en mesure d’honorer sa dette morale, cet engagement pris de façon tacite lors de son départ en migration. Il ressort cependant des entretiens menés auprès des informateurs clés que la dette, fruit d’un contrat de confiance, se doit d’être remboursée, mais pas uniquement en termes financiers. L’engagement à rembourser est oral et moral, d’ailleurs, 99% des migrants endettés comptent rembourser leur dette. Pourtant, en cas « d’échec » de la migration, c’est-à-dire d’un retour de l’individu au Mali sans avoir atteint ses objectifs économiques et/ou professionnels, il n’est pas rare que la dette soit remboursée par la famille ou un proche ou que l’emprunteur renonce au remboursement. Reste cependant une dette morale qui pèsera sur les chances de réintégration du migrant de retour.

Les montants empruntés par les migrants de retour enquêtés varient largement, de 15 000 à 3 500 000 FCFA (27 à 6 318 USD). Spécifiquement, dans le cadre du financement de la migration, le montant médian des dettes contractées est de 100 000 FCFA (181 USD). Ainsi, les migrants endettés dans le cadre de la migration sont 95% à avoir contracté une dette dont le montant est supérieur à 50 001 FCFA (90 USD). Or, ils sont aussi 93% à vivre avec un revenu mensuel inférieur ou égal à 50 000 FCFA (90 USD). Cet écart entre les revenus et le montant des dettes laisse supposer des difficultés économiques pour le migrant de retour dans le cadre de sa réintégration. D’ailleurs, lorsque l’on questionne les migrants de retour endettés sur les impacts de l’endettement sur eux, leur famille ou leur communauté, on constate que l’impact de la dette sur leur situation économique ou sur la situation économique de leur famille, est plutôt perçue négativement par respectivement 60%, 77% et 48% des migrants endettés. Les migrants de retour évoquent principalement des difficultés économiques liées à une aide à la famille réduite, des revenus insuffisants, des réductions des dépenses, des difficultés d’autonomie financière et une détérioration de leur sécurité alimentaire, ainsi que de la honte, de la peur de ne pas réussir à rembourser et du stress. Les entretiens menés avec les informateurs clés ont aussi montré que la réintégration des migrants qui autofinancent leur projet migratoire est plus aisée que celle des migrants endettés car ces derniers peuvent être stigmatisés, exclus des prises de décision collégiales. À l’échec économique de la migration s’ajouterait donc un échec social.

Ainsi, l’endettement constitue une forme de vulnérabilité particulière pour les migrants de retour puisque cela influe négativement sur leur statut économique, socio-culturel ou psychologique eux-mêmes facteurs clés dans le processus de réintégration durable. Les migrants de retour au pays d’origine devront ajouter, au coût de leur réintégration économique, celui de rembourser la dette contractée diminuant ainsi leur capacité à investir dans leur avenir. Au-delà de l’effort économique supplémentaire que représente la dette, la réintégration du migrant dans sa communauté d’origine est négativement impactée par l’investissement que représente cette dette morale non-remboursée, symbole des espoirs associés à l’entreprise migratoire, qui va peser sur la capacité de réintégration du migrant pouvant potentiellement créer un cercle vicieux de la dette ou des ré-migrations.

Suite aux éléments d’analyse mis en perspective dans cette étude, les recommandations suivantes ont été avancées :

• Sensibiliser les acteurs gouvernementaux et nationaux à la question de la dette migratoire, en présentant clairement les ramifications économiques, sociales et psychosociales qui en découlent ;

• Renforcer les canaux d’information sur les dangers de la migration irrégulière et les diffuser de manière plus large afin qu’ils touchent les migrants potentiels, les migrants en cours de voyage et les candidats au retour ;

• Promouvoir le recours à ces mécanismes d’aide / emprunts informels au service de formations adaptées aux besoins locaux et de projets au bénéfice des jeunes et de la communauté ;

• Développer des formations professionnelles et créer des emplois dans les zones de départ et de retour des migrants ;

• Vulgariser les pratiques intelligentes du changement climatique à l’endroit des potentiels migrants et migrants de retour ;

• Multiplier les initiatives permettant aux migrants de retour d’accéder rapidement à des activités génératrices de revenu leur permettant de rembourser leur dette et de subvenir aux besoins de leur famille, voire de leur communauté ;

• Renforcer la capacité technique et financière des organisations locales qui viennent en aide aux migrants de retour conformément aux réalités de leurs milieux ;

• Impliquer les communautés et les associations locales dans la conception des programmes de réintégration des migrants de retour ;

• Promouvoir la création des coopératives de réinsertion des migrants de retour ;

• Favoriser la participation sociale des migrants de retour dans leur communauté et faciliter l’accès des migrants de retour à des activités à plus-value sociale, sociétale et culturelle au sein de la communauté leur permettant de restaurer les liens de confiance et de solidarité ;

• Renforcer l’accompagnement psychosocial des migrants de retour dans le processus de leur réinsertion ;

• Créer une synergie d’action entre les différents intervenants dans l’accompagnement des migrants de retour.