"La grande majorité des Malgaches lutte pour sa survie quotidienne. Cela signifie retrouver un emploi, manger un plat de riz, se soigner et envoyer les enfants à l'école. Après trois années consécutives de sécheresse dans le sud du pays, deux récents cyclones qui ont inondé les rizicultures et des années de choix politiques erronés, la situation humanitaire est aggravée par les derniers développements politiques dans notre pays et les réactions internationales au changement. Bref, le robinet des aides au développement a été fermé ou, dans les meilleurs des cas, fonctionne au compte-gouttes". Tel est le cadre socio-humanitaire et économique de la grande île africaine décrit à la MISNA par Père Pedro Opeka, un missionnaire lazariste de Saint-Vincent-de-Paul, engagé depuis 36 ans au côté des Malgaches dans leur combat pour la pauvreté. Contacté au centre d'Akamasoa (qui en malgache signifie "Les bons amis") , en activité depuis 20 ans dans la banlieue de la capitale Antananarivo, le missionnaire évoque "les près de 10.000 bouches de bambins nourries quotidiennement, l'assistance aux personnes âgées et aux mères chefs de famille". Concrètement cela signifie au moins deux tonnes de riz consommées chaque jour, mais aussi la nécessité de porter secours à un nombre toujours plus important de personnes qui ont perdu leur emploi ces derniers mois en raison de la paralysie politique et économique du pays, embourbé dans une crise entre le président destitué le mois dernier, Marc Ravalomanana, et son rival, le jeune ex-maire de la capitale, Andry Rajoelina, depuis quelques semaines à la direction de la Haute autorité de transition (Hat). Des témoignages recueilllis par le centre d'information de l'Onu, Irin, font écho au récit du missionnaire, rapportant un nombre croissant d'enfants atteints de malnutrition grave et nourris avec une pâte d'arachides énergétique et riche en protéines, fournie aux centres de santé et de nutrition par l'Unicef (Fonds des Nations Unies pour l'Enfance). De même, le Système d'alerte précoce (Sap,gouvernemental) avait tiré la sonnette d'alarme il y a quelques mois, avertissant que quelque 400.000 personnes vivent dans des régions frappées par l'insécurité alimentaire ; un problème devenu chronique à Madagascar qualifié "d'urgence silencieuse" par l'Unicef, surtout dans la partie méridionale de l'île. "Au niveau national, après les années Ratsirika, en 2002 la population avait vraiment accordé sa confiance - et moi aussi - à Ravalomanana qui en réalité n'a fait que servir ses propres intérêts, ceux de sa famille, de son clan et s'est enrichi sur le dos des pauvres", déclare encore à la MISNA le missionnaire argentin d'origine slovène en évoquant les récents développements de la vie politique nationale. "C'est triste à dire mais ce qu'a fait Ravalomanana est à l'enseigne de la gestion du pouvoir exercée par nombre d'autres leaders africains qui, une fois au pouvoir, oublient les besoins du peuple. Sans parler du silence de nos dirigeants sur les migrants véritables êtres invisibles, qui meurent par milliers chaque année dans le désert ou en mer", ajoute Père Pedro, sans mâcher ses mots.
Interrogé sur la situation actuelle du pays et sur le fait que la communauté internationale ne reconnaît pas le pouvoir en place à Antananarivo, père Pedro Opeka souligne que "Rajoelina doit encore faire ses preuves, mais il a bien été choisi comme nouveau leader par la majorité de la population. La démocratie malgache est certes atypique, procédant depuis des années selon la modalité des protestations de rue pour éloigner du pouvoir des dirigeants considérés inadéquats. La communauté internationale devrait en prendre acte et penser avant tout au sort de la population qui dépend largement de ses aides; l'heure est venue d'en finir avec cet immobilisme et donner les moyens à la Hat de passer à l'action". "C'est comme si la population de Madagascar devait être punie pour les conséquences de la crise politique", selon Xavier Leus, coordinateur résident du Système des Nations Unies. Ces dernières semaines, plusieurs articles publiés par divers organes de presse africains évoquent le désengagement de la communauté internationale à Madagascar en réaction au changement de régime qualifié de "coup d'état" par nombre de pays du Sud comme du Nord du monde, ayant exclu Antananarivo d'organismes continentaux telles l'Union africaine (Ua) et la Communauté de développement d'Afrique australe (Sadc). La plupart des observateurs s'accordent à dire que ni les organisations internationales, ni les structures publiques fragiles et de moins en moins opérationnelles n'ont les moyens de faire face à cette urgence humanitaire. Face à un tel scénario et à des bailleurs de fonds peu enclins à la générosité, le 7 avril la communauté humanitaire malgache a lancé un appel d'urgence pour solliciter la somme de 36 millions de dollars, ayant récolté à ce jour seulement un million. En attendant, les besoins des Malgaches se multiplient dans l'urgence - à l'approche de la récolte de juin - mais aussi à plus long terme : logements, routes, adduction d'eau, soins, eau potable. Selon les derniers indicateurs de développement et de santé rapportés par les médias, 70 pour cent de la population (soit un peu plus de 20 millions d'habitants) vit avec moins d'un dollar par jour et près de 40 pour cent est sous-alimentée. "Le Nord du monde devrait comprendre une fois pour toutes que c'est seulement en permettant aux Africains d'avoir un espoir et un avenir dans leur pays qu'ils éviteront les flux de migrants qui mettent leur vie en péril pour rejoindre l'Europe", dit encore à la MISNA père Pedro, qui souligne aussi toutes les méandres bureaucratiques à affronter pour obtenir des aides humanitaires auprès d'institutions internationales qui font à grand voix du soutien au développement l'apanage de leur activité. "Depuis quelques semaines le calme est revenu dans tout le pays: en réalité les seuls groupuscules protestant sont les ouvriers des sociétés de l'ex-président qui ont reçu l'ordre de continuer à descendre dans la rue s'ils veulent percevoir leur salaire. La communauté internationale, bien représentée sur l'île, devrait savoir ces choses là. Et surtout que la grande majorité de population ne demande qu'à se remettre au travail: donnez-lui en les moyens !", poursuit le missionnaire lazariste, soulignant que Saint-Vincent-de-Paul, à son époque, avait bien compris l'importance humaine et sociale de la réhabilitation des Pauvres. Entouré de plus de 400 collaborateurs malgaches hautement qualifiés, le centre Akamasoa "prouve qu'ici, malgré tout, nous ne nous sommes pas résignés à la pauvreté. Nous continuons d'agir et croyons encore pouvoir changer l'avenir du pays", conclut père Pedro. [VV]