Résumé
La période couverte par le présent rapport (13 novembre 2023-15 février 2024) a été marquée par une nouvelle détérioration de la situation en Haïti. L’enlisement de la transition politique, les effets visibles limités du régime de sanctions à ce jour et le retard pris dans le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité contribuent à donner aux gangs toute latitude pour étendre leur territoire et créent un terrain fertile pour les troubles civils.
La violence des gangs a atteint un degré et une envergure géographique sans précédent, et les chefs de gangs visés par des sanctions continuent de se livrer à des violences armées intenses en dépit de leur désignation. Dans le département de l’Ouest, les combats au sein des gangs et entre eux ont marqué non seulement l’éclatement de la coalition du G9, mais aussi l’expansion agressive du G-Pèp, qui a renforcé sa présence aux principaux points d’accès à la capitale, tout en consolidant ses alliances avec des gangs du département de l’Artibonite.
L’expansion territoriale des gangs continue d’asphyxier l’économie et les autres activités du pays en raison du renforcement du contrôle des principaux axes routiers menant à la capitale, qui constituent une artère stratégique pour la population et l’une des principales sources de revenus des gangs. Par exemple, les heurts récents et les blocus imposés par plusieurs acteurs à Mariani ont eu des conséquences dévastatrices sur toute la partie sud du pays, les itinéraires de ravitaillement ayant été coupés et la liberté de circulation restreinte davantage.
Les gangs continuent de commettre des violations atroces des droits humains, notamment des attaques menées sans discernement contre la population, des meurtres, des viols, des actes de torture et des enlèvements, en particulier dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite. Depuis novembre 2023, la violence des gangs a entraîné le déplacement de 100 000 personnes de plus à l’intérieur du pays, et des dizaines de milliers d’autres ont fui à l’étranger. Les enfants souffrent tout particulièrement de la crise en raison des déplacements, de la malnutrition, de la privation d’accès à l’éducation et des actes de violence auxquels se livrent les gangs, y compris des actes de violence sexuelle et le recrutement forcé.
Malgré ses efforts, la Police nationale d’Haïti a du mal à reprendre et à conserver le contrôle du territoire et à contenir l’expansion des gangs. Le nombre de policiers continue de diminuer, principalement en raison des démissions, mais aussi du fait des suspensions disciplinaires et des assassinats, et les installations de la Police nationale d’Haïti ont été prises pour cible par des gangs à plusieurs reprises au cours des dernières semaines. L’urgence du déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité est désormais critique.
En dépit de l’imposition d’un embargo territorial sur les armes en octobre 2023, conformément à la résolution 2699 (2023) du Conseil de sécurité, des gangs et d’autres acteurs non étatiques continuent de se procurer des armes et des munitions de manière illicite. Le Groupe d’experts examine actuellement plusieurs cas de violation de l’embargo sur les armes concernant des armes légères et des munitions. La mise en œuvre de cet embargo est également entravée par la méconnaissance de ses dispositions par les institutions haïtiennes chargées de les faire respecter.
Au cours de la période considérée, divers acteurs ont été impliqués dans des manifestations et dans la fomentation de troubles civils, exigeant notamment le départ du Premier Ministre, certains ayant appelé à une révolution et ouvertement affiché le concours d’hommes armés tels que des membres de la Brigade de surveillance des aires protégées. Ces acteurs ont également trouvé un élan accru à l’approche du 7 février 2024, date limite fixée par l’Accord du 21 décembre 2022 pour l’entrée en fonction d’un gouvernement nouvellement élu. Depuis le début de 2024, de nombreuses manifestations de taille ont éclaté dans différentes parties du pays ; cependant, à l’heure où le présent rapport est établi, les niveaux de mobilisation à Port-au-Prince sont restés relativement limités.
Outre les chefs de gangs, le chaos qui règne actuellement dans le pays est exploité par toute une série d’acteurs désireux d’accroître leur richesse et leur influence, notamment des acteurs du secteur privé, des hommes politiques et d’anciens fonctionnaires, ces rôles ne s’excluant en rien mutuellement. Le Groupe d’experts continue d’enquêter sur les flux financiers illicites qui contribuent à l’instabilité d’Haïti.