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Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti - Rapport du Secrétaire général (S/2019/563)

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I. Introduction

  1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2466 (2019) du Conseil de sécurité, par laquelle le Conseil a décidé de proroger le mandat de la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH) jusqu’au 15 octobre 2019 et m’a demandé de lui rendre compte, tous les 90 jours à partir du 12 avril 2019, de l’application de ladite résolution, y compris des éventuels cas de non-exécution du mandat et des mesures prises pour y remédier. Il retrace les principaux faits nouveaux survenus depuis la parution de mon précédent rapport (S/2019/198), le 1 er mars 2019, ainsi que les progrès accomplis dans l’exécution de la stratégie de sortie assortie d’objectifs, et fait le point sur le retrait graduel et échelonné du personnel de la MINUJUSTH entrepris à l’approche du 15 octobre 2019, afin d’assurer une transition sans heurt vers une mission politique spéciale qui prendra le relais à compter du 16 octobre 2019, comme prévu dans la résolution 2466 (2019).

II. Principaux faits nouveaux

A. Situation politique et faits connexes dans le domaine de la sécurité

  1. Au cours de la période considérée, la situation en matière de sécurité est devenue plus instable en raison de la persistance de la crise politique, de l’intensification connexe des activités des gangs et des groupes criminels, et de la dégradation continue de la situation économique conjuguée à une nouvelle dépréciation de la gourde haïtienne.

  2. Sur le plan politique, les dissensions croissantes au plus haut niveau de l’exécutif n’ont pas permis de dégager une position commune sur les moyens de sortir de la crise et sur la tenue d’un dialogue politique global et sans exclusive. Les tensions entre le Président, Jovenel Moïse, et le Premier Ministre, Jean-Henry Céant, se sont aggravées à la suite des manifestations violentes qui ont paralysé le pays en février, conduisant à l’adoption d’une motion de censure par la Chambre des députés du Parlement, le 18 mars, suite à quoi M. Céant a démissionné le 21 mars et Jean-Michel Lapin a été nommé Premier Ministre par intérim.

  3. Le 9 avril, M. Lapin, fonctionnaire chevronné et ancien Ministre de la culture et de la communication, a officiellement pris ses fonctions de Premier Ministre et immédiatement entamé des consultations avec le Parlement sur la formation de son gouvernement. Pour la formation de son troisième gouvernement depuis sa prise de fonctions en 2017, le Président a, par une série de décrets pris à partir du 8 mai, proposé un cabinet de 18 ministres, dont 3 femmes, que les deux chambres du Parlement doivent encore approuver. Parallèlement, il a continué d’engager un dialogue direct avec les représentants de huit partis d’opposition modérée.

  4. Le Sénat a tenu deux sessions, le 12 et le 14 mai, marquées par de longues délibérations sur des questions de procédure et des débats houleux et violents, qui ont retardé la présentation de la déclaration de politique générale du Premier Ministre. Le 30 mai, en début de matinée, avant une nouvelle tentative de reprise de la session d’approbation de la déclaration de politique générale, quatre sénateurs de l’opposition ont saccagé le Sénat. Dans une déclaration publiée le même jour, le Groupe restreint concernant Haïti a dénoncé les actes de vandalisme commis dans la salle du Sénat et appelé à la tenue d’un dialogue national ouvert et sans exclusive.

  5. L’impasse dans laquelle s’est trouvée la procédure d’approbation du nouveau gouvernement a paralysé les activités du Parlement et bloqué la promulgation d’importantes lois, dont celles portant budget 2018/2019 et code électoral, toutes deux étant essentielles à l’organisation d’élections législatives, et d’élections municipales éventuellement, dans les délais prévus par la Constitution. En l’absence d’un gouvernement pleinement opérationnel, plusieurs donateurs bilatéraux et multilatéraux, dont le Fonds monétaire international et la Banque interaméricaine de développement, ont suspendu leur appui financier à Haïti.

  6. L’opposition radicale a continué d’appeler à manifester dans tout le pays pour exiger la démission du Président. Le 29 mars, jour du trente-deuxième anniversaire de l’adoption de la Constitution haïtienne, de petites manifestations ont été signalées à Cap-Haïtien (département du Nord), Port-au-Prince (département de l’Ouest) et Saint-Marc (département de l’Artibonite). Les 9 et 10 juin, en revanche, des manifestations plus importantes ont rassemblé des foules de plusieurs milliers de personnes dans 9 des 10 départements (à l’exception de celui du Nord-Ouest), notamment à Port-au-Prince et dans les départements de l’Artibonite, du Nord et du Sud. La MINUJUSTH a confirmé qu’un civil avait été tué et que cinq autres avaient été blessés au cours des manifestations. En outre, des biens privés et publics avaient été endommagés et d’importants réseaux routiers avaient été bloqués avec des barricades enflammées.

  7. Un véritable dialogue national approfondi et sans exclusive, largement considéré comme la solution pour sortir le pays de la crise, doit encore être instauré. À la demande du Gouvernement haïtien, le Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix a dépêché un membre de son Équipe de médiateurs de réserve pour dispenser une formation au comité créé le 22 février par le Président pour faciliter un dialogue national entre les Haïtiens, dans le cadre d ’une troisième initiative de ce type qu’il a engagée. Mais, faute de capacités de mobilisation et de moyens financiers et logistiques, le comité n’a pu organiser de consultations entre les principales parties prenantes dans tout le pays. Dans son rapport final publié le 4 juin, le comité a souligné qu’il était nécessaire de continuer à œuvrer en faveur du dialogue national, tout en appelant l’attention sur la déconnexion croissante entre la majorité de la population haïtienne et les élites.

  8. Dans l’intervalle, un rapport final issu des États généraux sectoriels de la nation lancés en mars 2018 par le Président a été publié le 12 avril. Le rapport, qui donne une vue d’ensemble des obstacles que le pays doit surmonter pour parvenir à se moderniser, a été établi sur la base d’informations recueillies auprès de plus de 600 groupes organisés et examinées dans le cadre de cinq forums départementaux (tenus dans les départements des Nippes, du Nord, du Nord-Est, du Nord-Ouest et du Sud-Est), de deux forums nationaux préparatoires et de deux forums internationaux, auxquels ont pris part des milliers de personnes, y compris des membres de la diaspora haïtienne. L’analyse présentée et nombre des propositions formulées dans le rapport cadrent avec certaines des recommandations de la commission spéciale de la Chambre des députés relatives à la révision de la Constitution, y compris à la suppression du Sénat et du poste de Premier Ministre. Dans le rapport, d’autres obstacles au développement du pays sont également mis en exergue : le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et l’ingérence des pouvoirs exécutif et législatif dans les affaires judiciaires, la faiblesse des partis politiques, les situations de monopole dans l’économie, la dépendance vis-à-vis des importations, le manque d’accès au crédit des petites entreprises et les défaillances du système éducatif.

  9. La population a continué d’exiger que les responsables de la mauvaise gestion présumée fonds PetroCaribe soient amenés à répondre de leurs actes. D’après le rapport de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, la valeur totale de l’accord relatif à PetroCaribe sur la période 2008-2018 s’élèverait à 4,2 milliards de dollars, sur lesquels Haïti aurait remboursé 1,98 milliard de dollars à la République bolivarienne du Venezuela et utilisé 2,26 milliards, dont 1,6 milliard aux fins de l’exécution de projets. Le 13 mars, le procureur de Port-au-Prince a annoncé avoir demandé à un juge d’instruction d’ouvrir une enquête sur les allégations de mauvaise gestion du fonds PetroCaribe. Le 21 mars, le juge d’instruction a ordonné le gel des avoirs de plusieurs personnes et sociétés visées par l’enquête. Parallèlement, la Cour a élargi son enquête aux projets menés par le Parlement et financés par le fonds PetroCaribe. En réponse, plusieurs parlementaires ont menacé d’engager des poursuites judiciaires contre des membres de la Cour, qui a remis son rapport final au Sénat le 31 mai.

  10. Le rapport d’audit de 612 pages, qui fait suite à un rapport préliminaire publié le 31 janvier, comprend une analyse de la gestion de fonds destinés à des projets, d’un montant total de 6,75 millions de dollars, approuvés par 14 résolutions gouvernementales adoptées entre 2008 et 2016 et gérés par 11 organes étatiques différents, dont le Sénat, la Chambre des députés et cinq ministères. Des médias nationaux et internationaux, ainsi que d’autres acteurs, tels que les groupes de « petrochallengers », ont largement relayé les allégations de la Cour selon lesquelles des sociétés liées au Président, avant sa prise de fonctions en 2017, seraient impliquées dans un système de double facturation avec le Ministère des travaux publics, des transports et des communications. Ils ont également signalé que la Chambre des députés avait utilisé plus de 200 millions de gourdes (qui équivalaient alors à 4,4 millions de dollars) pour couvrir ses frais de fonctionnement (salaires), au lieu de les consacrer à des dépenses d’investissement.

  11. L’absence de réformes sociopolitiques, la dépréciation continue de la gourde, le mécontentement de la population envers la gouvernance, les scandales de corruption et les troubles civils entraînant le blocage de certaines agglomérations pendant plusieurs jours ont contribué à la grave détérioration de la situation économique. Ces 12 derniers mois, la dégradation de la conjoncture s’est intensifiée et la gourde a perdu sa valeur de 38 %. Le Gouverneur de la Banque centrale, des membres du Parlement et des économistes ont proposé diverses solutions visant à maîtriser les dépenses de l’État pour freiner l’inflation, dont le taux d’une année sur l’autre a été estimé à 17,7 % en avril.

  12. La crise politique persistante et la détérioration de la situation économique ont contribué à l’intensification de l’activité des gangs depuis février, la violence entre gangs ayant fortement augmenté dans les quartiers les plus pauvres et les plus densément peuplés de Port-au-Prince. Cette situation a suscité de graves préoccupations au sein du Conseil supérieur de la Police nationale et conduit à la multiplication des opérations de lutte contre la criminalité dans plusieurs zones contrôlées par des gangs, dans un contexte de ressources limitées. Alors que l’on relève une augmentation de la criminalité avec de vieux gangs qui cherchent à accroître leurs activités illicites, la recrudescence des activités criminelles de deux célèbres gangs du département de l’Artibonite pose des défis particuliers aux autorités.

  13. Si ses opérations se sont intensifiées, la Police nationale s’est souvent retrouvée mal équipée et incapable d’intervenir dans les zones où sévissaient les gangs. Le quartier de La Saline à Port-au-Prince et la commune de Cité-Soleil ont sombré de nouveau dans un cycle de violence durable après trois années de paix relative. Le 8 et le 13 mars, cinq à neuf membres de gangs seraient morts dans des affrontements entre gangs pour le contrôle du marché de la Croix-des-Bossales, dans le quartier de La Saline. Des confrontations parallèles se sont également produites dans le quartier de Delmas 2 et des combats entre gangs rivaux ont eu lieu à Cité-Soleil en mars et avril. On dénombrerait entre 10 et 20 morts.

  14. Le 27 mars, une délégation conduite par l’Ambassadeur du Chili en Haïti, qui visitait le site d’un projet soutenu par une organisation non gouvernementale chilienne, a été attaquée par des individus armés non identifiés dans la commune de Croix-des-Bouquets (département de l’Ouest). Un chauffeur de l’organisation a été tué et le chauffeur de l’Ambassadeur blessé. Le personnel de sécurité de l’ambassade est parvenu à repousser les assaillants, qui ont fui vers un site proche, où une dizaine de collaborateurs haïtiens de l’organisation ont été pris en otage, avant d’être libérés par la suite sains et saufs. Le lendemain, la Police nationale a ouvert une enquête pénale et mené une opération dans la zone de l’attaque, où deux suspects ont été arrêtés.

  15. Les 6 et 7 avril, la MINUJUSTH a reçu des images d’habitations et de commerces incendiés dans le quartier de Tokyo à Port-au-Prince, où 14 personnes touchées par des coups de feu ont été hospitalisées. Le 16 avril, un véhicule blindé avec à son bord une unité de police constituée a été la cible de coups de feu à La Saline. Les actes criminels commis de plus en plus ouvertement par les gangs ont continué d’alimenter le sentiment accru d’insécurité à Port-au-Prince, provoquant une vive indignation générale.

  16. Le 4 avril, avec l’appui de la MINUJUSTH, la Police nationale a lancé une opération contre un célèbre gang du département de l’Artibonite. Pendant l’opération, les forces de police ont été visées par des tirs nourris d’individus armés et ont dû évacuer deux postes de police et se replier aux Gonaïves pour éviter que des civils ne soient touchés. Alors qu’ils se retiraient, ils ont été pris en embuscade sur la route nationale no 1. L’un d’eux a été tué et cinq autres ont été blessés. Le même jour, un autre membre de la police a été blessé par balle par des individus armés pendant une patrouille sur la route nationale no 1, entre Saint-Marc et les Gonaïves (département de l’Artibonite). Depuis, des activités criminelles accrues ont été signalées dans la région, où plusieurs véhicules personnels ou utilitaires ont été détournés et volés, dont l’un des cinq camions que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) avait loués pour transporter des articles non alimentaires entre Port-au-Prince et les Gonaïves avant la saison des ouragans. Le préjudice financier s’élève à 20 220 dollars.