Suite au séisme du 12 janvier 2010, la Croix-Rouge britannique (CRB) a lancé à Port-au-Prince un programme de rétablissement intégré comprenant des activités dites de « moyens d’existence », d’abris et d’eau/assainissement/hygiène. Cet article se concentre sur les leçons apprises de la mise en œuvre de la composante « moyens d’existence ». Il est extrait d’une étude plus vaste réalisée sur ce même sujet, axée sur les questions relatives au diagnostic initial, à la prise de décision et à la gestion. Celle-ci aboutit à six points clés d’apprentissage pour les membres et partenaires de la CRB, mais aussi d’autres organisations humanitaires et de développement [...]
Suite au séisme du 12 janvier 2010, la Croix-Rouge britannique (CRB) a commencé en 2010 à mettre en œuvre à Port-au-Prince un programme de rétablissement intégré comprenant des activités de moyens d’existence, d’abris et d’eau/assainissement/hygiène. La composante « Moyens d’existence » du programme impliquait deux phases principales : 1) subventions en espèces ainsi que formations professionnelles et commerciales, et 2) mise en place, formation et octroi de prêts à des groupes de microfinance, ainsi qu’octrois de prêts et formation à des petites et moyennes entreprises pour soutenir leur croissance et, par conséquent, la création d’emplois.
Cet article se concentre sur les leçons apprises de la mise en œuvre de la composante « Moyens d’existence » du programme de rétablissement urbain de la CRB (avril 2010 à décembre 2013). C’est une version réduite d’une étude interne plus vaste réalisée sur le même sujet qui se concentre sur les questions relatives au diagnostic initial, à la prise de décision et à la gestion. Les résultats de cette étude aboutissent à six points clés d’apprentissage qui devront être pris en compte lorsque le personnel de la CRB et les partenaires du Mouvement conduiront des diagnostics initiaux pour concevoir et mettre en œuvre de futures programmes de rétablissement des moyens d’existence dans les zones urbaines affectées par une catastrophe. Ces points d’apprentissage devraient également être utiles à d’autres organisations humanitaires et de développement qui mettent en œuvre des programmes de rétablissement des moyens d’existence dans des zones urbaines affectées par une catastrophe.
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Comprendre les besoins : biens et services de base vs. promotion des moyens d’existence en zone urbaine Les diagnostics initiaux d’urgence relatifs aux moyens d’existence doivent déterminer les besoins en biens et services de base de la communauté urbaine affectée qui compte en général sur le marché pour satisfaire ses besoins. En ce qui concerne les interventions de transfert d’espèces, comprendre les besoins de la population affectée est crucial pour adapter le montant et s’assurer que le ciblage atteint les plus vulnérables. Prédéterminer les valeurs des transferts et le nombre de foyers à couvrir n’est pas approprié.
Un diagnostic plus détaillé, s’appuyant sur de la coordination et du partage d’information avec d’autres organisations, doit être réalisé peu de temps après afin de mieux comprendre le rétablissement des moyens d’existence et les besoins de promotion de la communauté affectée. L’importance d’utiliser des cadres et des outils propres aux moyens d’existence qui soient adaptés au milieu urbain est également cruciale. Les cadres d’analyse des moyens d’existence comme le Cadre de moyens d’existence durable (Sustainable Livelihood Framework - SLF) ou l’approche de l’économie des ménages (Household Economy Approach - HEA) peuvent aider à développer une meilleure compréhension des besoins de base et des profils des moyens d’existence de la population affectée. De plus, divers outils adaptés au contexte urbain sont à présent disponibles et d’autres sont en cours de développement. Les outils les plus utiles sont le CaLP Cash Transfer Programmes in Urban Emergencies Toolkit (Cross et Johnston, 2011) ; identifier les vulnérables urbains – Évaluer les moyens d’existence durables et les vulnérabilités urbaines d’ACF (Levron, 2010) ainsi que the RAM and Market Analysis Guidance (MAG) [1] développé par la CRB, la Croix-Rouge américaine, la Fédération internationale de la Croix-Rouge et le Comité International de la Croix-Rouge [2]. Le défi n’est toutefois pas simplement de collectionner les outils mais de les utiliser efficacement. La réponse au séisme de Port-au-Prince démontre que nombre de choses restent à faire pour éveiller les consciences en matière d’outils et former le personnel à une utilisation efficace de ceux-ci.
Pour réaliser des diagnostics pertinents en milieu urbain et de haute qualité, un recrutement efficace et une mobilisation en interne de la capacité d’intervention rapide sont également essentiels. -
Transformer les diagnostics en programmes urbains pertinents lancés au moment opportun Les programmes pertinents et opportuns dépendent de ce que les diagnostics eux-mêmes réalisés au moment opportun mais aussi les compétences et l’expertise nécessaires transforment les résultats des diagnostics en des options de réponses, en de la conception de programme et, au final, en un programme bien mis en œuvre, bien géré et flexible. En milieu urbain, cela est d’autant plus important en raison de la propension à des changements rapides issus des mouvements de population et des fluctuations des marchés provoqués par les impacts de la catastrophe et ce qu’apporte l’aide. Alors que les transferts d’espèces peuvent être vitaux pour répondre aux besoins immédiats des marchés urbains après la catastrophe, une stratégie claire de la manière dont ils vont contribuer à la promotion des moyens d’existence ou à un autre objectif sectoriel (par exemple : abri, santé ou eau et assainissement) doit rapidement suivre. Pour que la CRB soit en mesure de répondre efficacement à de tels besoins dans les futurs programmes urbains, il faut renforcer le développement de compétences en rétablissement des moyens d’existence et en gestion de programmes au-delà de la focalisation actuelle du CRB sur le développement des compétences et l’expertise en matière de transfert d’espèces (via son appartenance au CaLP).
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Choisir le bon mode opératoire/partenariat en environnement urbain Différentes approches opérationnelles et de partenariat (enregistrement volontaire des bénéficiaires, travail via des organisations communautaires locales ou des petits groupes de ménages, travail via des comités ou des plateformes, travail via les autorités locales) [3] ont leurs avantages et inconvénients respectifs par rapport à différentes zones urbaines et il n’existe pas une approche standard de bonnes pratiques. Deux points particulièrement importants sont à prendre en compte dans la recherche des bonnes pratiques : la légitimité et le fait d’atteindre les résidents urbains les plus vulnérables. Pour la CRB, les partenariats avec les sociétés nationales au niveau local peuvent s’avérer particulièrement utiles dans le but de faciliter une mise en œuvre opportune du programme et d’améliorer la compréhension de l’environnement opérationnel. En outre, il est capital de développer une relation forte avec le gouvernement et les autorités municipales pour s’assurer que ceux-ci sont informés et impliqués dans les décisions importantes.
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Gérer les risques dans les programmes urbains de transferts d’espèces Les programmes de transfert d’espèces en milieu urbain impliquent certains risques qui doivent être gérés. Des villes comme Port-au-Prince avec de forts taux de crime, de violence et de gangs présentent des défis particuliers. Les critères de sélection doivent être définis strictement et bien communiqués, de même que les bénéficiaires vérifiés, même si cela est assez chronophage. Les listes de bénéficiaires doivent être autorisées et contrôlées avec soin pour éviter des manipulations. L’implication du gouvernement et des autorités locales est également importante dans ce cas même si cela peut aussi présenter des risques à gérer avec attention.
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Gérer les relations et la communication avec la communauté affectée L’expérience de la CRB en Haïti a montré l’importance de maintenir une bonne communication avec la population affectée pour construire de la confiance et aboutir à une relation de travail positive. L’une des principales difficultés liée au fait de passer de transferts d’espèces à des initiatives de microfinances a été la communication insuffisante à propos des différentes phases du programme de rétablissement des moyens d’existence et des critères de sélection des bénéficiaires. Depuis la mise en place de l’équipe de mobilisation communautaire (Community Mobilisation Team - CMT), la communication s’est considérablement améliorée.
Gérer de façon efficace la relation avec la communauté affectée est importante non seulement pour le bon déroulement du programme, la participation et la redevabilité mais aussi pour la gestion des retours et de la sécurité. Le réseau de volontaires de la société nationale locale est de grande valeur et devrait être utilisée comme premier choix. Là où cela n’est pas possible pour des raisons de capacités ou d’accès, l’utilisation d’agents de mobilisation communautaire et d’une suite d’outils présentiels et à distance constitue une bonne pratique. De plus, il est vital de ne pas négliger l’importance de compétences plus sociales, culturelles et linguistiques, au sein des délégués dans le but de développer une chaîne de communication robuste depuis la direction générale jusqu’à la population affectée. -
Lier urgence, réhabilitation et développement en milieu urbain Les défis et les opportunités concernant le lien entre urgence, réhabilitation et développement ne sont pas propres aux zones urbaines. Néanmoins, ils représentent un élément critique en matière de rétablissement des moyens d’existence dans quelque environnement que ce soit. Par conséquent, il est essentiel de s’assurer que les conditions préalables nécessaires sont mises en place avant de s’engager dans des activités de réhabilitation.
L’expérience de la CRB en Haïti a mis en exergue certains défis liés à la transition entre transferts d’espèces (vus comme des activités d’urgence) et des initiatives de microcrédit (vues comme des activités de réhabilitation). Selon l’expérience de la CRB en Haïti, les éléments suivants sont nécessaires pour améliorer le lien entre les différents types d’activités :
Un diagnostic précoce des besoins pour des activités de réhabilitation ;
Une meilleure coordination entre les équipes de réponse aux catastrophes et de réhabilitation ainsi que de façon multilatérale entre les ERU (équipes de réponses aux urgences humanitaires) et les délégations bilatérales pour s’assurer de la connexion entre les différents types d’activités ;
Une analyse approfondie des différents aspects du contexte (profils de moyens d’existence, marchés, analyse des parties prenantes, aspects culturels, etc.) ;
Une conception d’une approche participative qui assure une bonne communication avec la population affectée et ses représentants ;
Un investissement équilibré dans les différents types d’activités et durée suffisante des activités de réhabilitation pour permettre un impact durable ;
Un système de suivi précis et un certain niveau de flexibilité au sein du programme de manière à suivre efficacement les résultats du programme et à adapter le programme au contexte changeant ;
Une coordination avec d’autres organisations et engagement dans des activités de leçons apprises dans le contexte opérationnel spécifique.
En outre, communiquer de façon efficace l’approche du programme est vital pour maintenir de bonnes relations et une redevabilité adéquate vis-à-vis de la communauté urbaine affectée.
En conclusion, l’expérience de la CRB en Haïti en réponse au tremblement de terre de janvier 2010 nous rappelle des éléments fondamentaux du lien entre urgence et développement. Les diverses expériences de plusieurs organisations liées aux interventions visant à soutenir les moyens d’existence des communautés touchées par le tremblement de terre de janvier 2010 à Port-au-Prince constituent une occasion pour capitaliser les leçons apprises et les bonnes pratiques à conserver et à utiliser dans la réponse à d’éventuelles catastrophes [4].
Bonaventure G. SOKPOH
[1] Le RAM (Rapid Assessment for Markets, soit le diagnostic rapide des marchés) doit être utilisé dans le cadre d’un diagnostic initial rapide des marchés après le choc dans le but de renseigner l’analyse des options de réponse (sa durée de vie étant limitée) alors que le MAG cherche à faciliter l’intégration de l’analyse du marché dans les différentes phases du cycle de programmation de deux mois jusqu’à un an après le choc.
[2] D’autres outils et ressources pertinents en matière de mise en œuvre de réponse urbaine à des moyens d’existence et de programmes de rétablissement sont disponibles dans les HES Guidelines (voir Hammond et Atkinson, 2012) actuellement en cours de mise à jour) et Annexe 2 de l’étude Learning from the City de la CRB (voir Kyazze et al., 2012). Le portail du Centre de ressources de la Fédération internationale est également très utile : http://www.livelihoodscentre.org/