Le GARR a tenu une mission de suivi du Plan national de régulation des étrangers en situation de migration irrégulière (PNRE) et du Programme de documentation des immigrants haïtiens (PIDIH) à Santo Domingo, du 19 au 23 avril 2015. Cette mission visait à observer notamment, dans une perspective de droits humains, la réalité des migrants-es haïtiens qui sont à risque d’être rapatriés-es en grand nombre à la date butoir du PNRE, le 15 juin 2015.
Au cours de cette mission, le GARR a rencontré l’équipe haïtienne qui assure la gestion du PIDIH en République Dominicaine, l’Ambassadeur haïtien à Santo Domingo, Daniel Supplice et des responsables dominicains dont un responsable du bureau central du PNRE, logé à Santo Domingo, au ministère de l’Intérieur et de la Police.
Dans le cadre du PIDIH, le GARR a constaté l’installation de deux (2) nouveaux bureaux : l’un à Barahona et l’autre à Santiago. A travers ces bureaux, les autorités haïtiennes entendent offrir un service de proximité aux migrants-es dans des bateys dominicains. Ce qui est très positif et favorable aux migrants-es. Même si ces actions sont, en temps normal, susceptibles d’amoindrir le sort des concernés-es, elles sont néanmoins très tardives face à l’échéance du PNRE prévue le 15 juin 2015. De plus, elles servent d’alibi aux autorités dominicaines pour se déresponsabiliser de l’échec du PRNE. Car, disent-elles, l’Etat haïtien n’avait pas su profiter du temps imparti pour doter ses ressortissants-es de documents d’identité.
Selon les données recueillies par la délégation, il est question de 2 000 passeports, 12 000 CIN, 8,748 extraits des archives et de 20 000 actes de naissance qui ont été remis aux migrants haïtiens. En analysant ces données, on peut déduire que c’est seulement 2000 migrants-es qui sont éligibles pour se faire inscrire au PNRE, puisque le passeport est obligatoire dans le paquet de documents à livrer.
En ce qui concerne le PNRE, nous avons constaté que les autorités dominicaines ne font montre d’aucune volonté réelle à documenter les immigrants-es haïtiens en situation irrégulière installés sur leur territoire. Certes, elles ont ouvert une vingtaine de bureaux et disent avoir dépensé près 20 millions de dollars américains, cependant les résultats obtenus sont très maigres. Jusqu’au 22 avril 2015, sur 183 mille étrangers inscrits au PNRE, environ 400 documents (cartes de résidence) ont été remis aux personnes concernées dont des migrants-es d’origine d’autres nationalités.
Le constat est clair, le profil de la majorité des migrants-es haïtiens ne correspond pas aux étrangers visés par le plan du gouvernement dominicain. Les documents exigés pour se faire inscrire au PNRE peuvent en dire long. Au nombre de ces documents à soumettre figurent : 1) des factures prouvant que le migrant-e avait procédé à des achats importants en République Dominicaine. Ces achats doivent être effectués dans un magasin qui paye des taxes de manière régulière à l’Etat dominicain. Alors que la majorité des migrants haïtiens font leurs courses dans les magasins du secteur informel qui majoritairement ne payent pas de taxes. 2) une attestation de résidence qui doit être délivrée par un Comité de la zone de résidence du migrant est aussi sollicitée. Cette attestation doit être signée par sept (7) témoins dominicains qui réclament souvent de l’argent aux migrants-es. 3) une lettre délivrée par une église qui paye régulièrement des taxes. Cependant, la majorité des églises fréquentées par la communauté migrante haïtienne est dirigée par des leaders qui sont eux-mêmes en situation irrégulière.
Rappelons que les autorités dominicaines ne cessent d’avertir que le fait de soumettre ces multiples documents ne garantisse guère à la personne concernée sa carte de résidence.
Ces différents constats montrent une fois de plus qu’il n’y avait aucune concertation entre les deux Etats de l’Île pour rendre efficaces ces deux programmes. Face à cela, le GARR formule au gouvernement haïtien les recommandations suivantes :
Produire en toute urgence une demande officielle auprès des autorités dominicaines en vue du prolongement de la date d’enregistrement au PNRE ;
Demander au gouvernement dominicain de revoir les procédures et documents exigés dans le cadre du PNRE en supprimant toutes tracasseries qui constituent des blocages à l’enregistrement des migrants-es ;
3. Mettre en place un programme d’information et de sensibilisation de manière à ce que les personnes concernées puissent bénéficier des programmes ;
Mettre à la disposition du PIDIH un budget adéquat et un personnel qualifié en vue de pouvoir mieux identifier ses citoyens et citoyennes ;
Intégrer les organisations des sociétés civiles haïtienne et dominicaine dans le processus.
Continuer à contribuer à un climat de respect et d’harmonie sur l’île et de demander les autorités dominicaines à faire de même, en décourageant des groupes et leaders d’opinions qui font la promotion de la haine et de la discrimination ;
Demander aux autorités dominicaines à surseoir au processus de rapatriements qui se font actuellement à la frontière en vue de donner la possibilité aux gens de se faire enregistrer au PNRE ;
Travailler au maintien d’un dialogue permanent, ouvert et sincère entre les deux gouvernements insulaires en vue de trouver des solutions justes et réalistes aux problèmes qui peuvent affecter les intérêts des deux pays, notamment ceux qui sont liés à la dynamique migratoire.