Informing humanitarians worldwide 24/7 — a service provided by UN OCHA

Haiti

La tarification de l’eau, symbole de progrès social en Haïti

En Haïti, les populations font face à de nombreux défis lorsqu’il s’agit de trouver de l’eau : abondante et de bonne qualité dans certaines localités, elle est rare et porteuse de maladies dans d’autres. Entre inégalités et contraintes d'accès, et mauvais entretien des réseaux de distributions, l'accès à l'eau est un défi majeur. Les équipes d’ACTED interviennent dans la commune de Thiotte (Belle-Anse) pour faciliter l’accès à l’eau potable en instaurant un système de tarification.

Le défi multidimensionnel de l’accès à l’eau potable en Haïti : point de situation

Dans un pays où la gestion des ressources naturelles est influencée par les considérations religieuses, en particulier dans les zones rurales, l’inégalité de l’accès à l’eau est une réalité. À certains endroits, l’eau est considérée de provenance divine, et donc de facto gratuite. Ainsi, de l’eau coule en permanence dans de nombreux villages, où les habitants la puisent gratuitement à des bornes-fontaines. Ailleurs, la distribution de l’eau peut être subordonnée au versement d’une redevance forfaitaire et impliquer l’installation assez onéreuse d’un compteur.

Si grand nombre de personnes ont recours à des fournisseurs privés pour pallier les carences du système public de distribution, la majorité des habitants sont reliés au système de distribution de la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA), créée en 2011 suite à l’adoption de la loi cadre de 2009 pour réformer le secteur de l’eau potable et de l’assainissement. Les tarifs de l’eau distribuée par la DINEPA, inférieurs aux tarifs proposés par les fournisseurs privés, ont néanmoins des conséquences sur l’entretien des réseaux et donc sur la qualité de l’eau, et sont ainsi susceptibles de générer des inégalités. Les familles à faibles revenus résident généralement dans des quartiers défavorisés et n’ont ainsi pas accès au service public d’eau. De ce fait, ce sont ces mêmes familles qui doivent le plus souvent faire appel aux services privés, plus onéreuse.

L’essentiel des coûts de la distribution d’eau est lié à la mise en place et à la maintenance du réseau, mais aussi, bien que de manière secondaire, au facteur comportemental. En effet, n’étant pas volumétrique, la tarification forfaitaire telle que mise en œuvre actuellement peut entraîner des comportements négatifs, car elle n’incite pas les usagers à consommer l’eau avec parcimonie (même si le volume d’eau effectivement distribué n’a que relativement peu d’impact sur la facture totale, du moins lorsque l’eau est abondante). En réalité, le problème du gaspillage de l’eau découle davantage du mauvais état des infrastructures que du comportement des usagers, et alors que certaines zones font face à la pénurie, il n’est pas rare de constater qu’ailleurs des conduites cassées déversent de l’eau en permanence. Et s’agissant des infrastructures, la tarification forfaitaire a une autre conséquence néfaste : avec des recettes qui ne dépendent pas des services effectivement fournis, les opérateurs privés et publics ne sont pas incités à procéder à une allocation efficace des ressources pour l’entretien des réseaux. Or, dans l’état actuel de délabrement des infrastructures, il est primordial que tout soit mis en œuvre pour réhabiliter les réseaux de distribution.

Des kiosques à eau et un système de tarification pour un accès plus égalitaire à l’eau potable

Au vu du niveau de pauvreté et de la faiblesse des ressources financières d’Haïti, la mise en place d’une tarification de l’eau peut sembler à première vue paradoxale, précisément car une part importante de la population n’a pas accès à l’eau. Pourtant, une tarification de l’eau concertée, unifiée et globale est la première étape d’un progrès social majeur : l’accès a une eau potable de qualité pour tous.

En travaillant étroitement avec les autorités locales, la DINEPA, ainsi que les organisations communautaires, ACTED prend part à cette démarche de progrès qui améliore le quotidien de milliers de personnes dans la région de Belle-Anse, dans le sud-est du pays, où l’eau est gratuite presque partout, mais néanmoins souvent de mauvaise qualité.

Dans la commune de Thiotte, située dans le département de Belle-Anse, 20 litres d’eau peuvent coûter jusqu’à 30 gourdes haïtiennes (environ 0,5 dollars américains) en période de sécheresse, contre seulement 5 gourdes en période normale. Quelques bornes-fontaines ont été installées dans la zone, où l’eau coule en permanence, et où la population peut se réapprovisionner gratuitement en eau de manière continue. Ce modèle de distribution en apparence avantageux peut en réalité se révéler problématique : en effet, le relief d’Haïti étant formé de bandes montagneuses, les « mornes », l’eau en aval est souvent polluée par les excrétas déversés en amont, et les moyens pour entretenir le réseau et proposer une eau de bonne qualité aux habitants manquent. À cela s’ajoute une forme d’inégalité géographique, qui fait qu'en raison du relief et des difficultés d’accès qui en découlent, les populations vivant en aval bénéficient d’un apport en eau permanent, au détriment de celles vivant en amont. Les habitants des mornes doivent ainsi parcourir de très longues distances pour arriver aux points d’eau les plus proches (avec comme fardeau supplémentaire le retour en dénivelé positif, chargés de bidons).

ACTED a installé six kiosques dans la commune et continue à réhabiliter progressivement tous les points d’eau en remplaçant les bornes-fontaines et en réparant les canalisations. Chaque kiosque est équipe d’un système permettant de traiter l’eau et sera tenu par un kiosquier chargé de récolter la redevance versée par chaque habitant. Le tarif mis en place sera adapté au revenu moyen de la population de la commune et permettra à tous d’accéder à une eau de bonne qualité. ACTED proposera, pour les branchements privés, une tarification volumétrique permettant un contrôle précis des quantités d’eau desservies et limitant au maximum le phénomène de revente de l’eau entre particuliers. Les fonds récoltés seront reversés au CAEPA, le comité local élu par les représentants des usagers et chargé d’entretenir le réseau et de rémunérer techniciens et kiosquiers. Ce comité local, dont l’enregistrement est en cours auprès des autorités, est résolument un premier pas vers l’autonomisation des populations et la gestion locale de l’eau potable. ACTED et ses partenaires entendent réhabiliter l’ensemble du réseau de la commune pour que tous les habitants aient accès a l’eau potable d’ici 2018.