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Haiti

Haïti : Un nombre record de déplacés dû à l’insuffisance des efforts sécuritaires

(Washington) – Un an après le déploiement en Haïti du premier contingent de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), autorisée par les Nations Unies, les violences et les atteintes aux droits humains continuent à augmenter, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les pénuries continuelles de personnel, de fonds et d’équipement ont nettement limité la capacité de la MMAS à contenir les violences, qui se sont intensifiées, notamment dans la capitale d’Haïti, tuant au moins 2 680 personnes et faisant 957 blessés, selon les données de l’ONU. Le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, mettait en évidence une inquiétante montée des graves violations commises à l’encontre des enfants, passées de 383 incidents en 2023 à 2 269 incidents en 2024. Parmi ces violations, on comptait douze fois plus de cas de recrutement et d’instrumentalisation d’enfants dans des groupes criminels, ainsi qu’une augmentation encore plus forte des viols et des violences sexuelles envers les enfants.

La violence a forcé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs domiciles, menant à une forte hausse du nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui s’élève désormais à 1,3 million – le plus haut niveau enregistré en Haïti, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

« Chaque jour, la violence force des centaines d’Haïtiens à fuir, en n’emportant que les vêtements qu’ils portaient, vers des sites de déplacement ou vers d’autres villes, où ils demeurent en danger et n’ont pas, ou peu, accès à la nourriture et à l’eau », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse senior auprès de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les pays membres de l’ONU devraient immédiatement renforcer la MMAS. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait mettre fin à son inaction et transformer la MMAS en mission des Nations Unies à part entière, dotée du personnel, des ressources et du mandat lui permettant de protéger efficacement la population haïtienne. »

Fin avril et début mai, des chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus à Cap-Haïtien, chef-lieu du département du Nord. Avec l’aide du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) et de l’Office de la protection du citoyen (OPC) d’Haïti, les chercheurs se sont entretenus avec 33 déplacés internes qui avaient récemment fui Port-au-Prince, sa zone métropolitaine ou d’autres municipalités. Ils ont également rencontré des travailleurs humanitaires, des diplomates et des représentants de la société civile haïtienne et des agences des Nations Unies.

Depuis début 2025, des groupes criminels ont intensifié les attaques dans des zones auparavant sûres, y compris à Port-au-Prince et dans sa zone métropolitaine, ainsi que dans les municipalités de Mirebalais et Saut-d’Eau, dans le département Centre, et Petite-Rivière, dans l’Artibonite. Ces violences – y compris des affrontements avec des brigades d’autodéfense, fonctionnant souvent grâce à l’implication de policiers, et avec les forces de sécurité – ont forcé plus de 245 000 personnes à fuir leur domicile, selon l’OIM.

De nombreuses personnes interrogées par Human Rights Watch étudiaient à l’université ou bien avaient des emplois stables et des ressources financières – notamment un domicile ou une petite entreprise – et, jusqu’à récemment, étaient capables de mener une vie largement épargnée par la violence.

« Je vivais bien dans mon quartier, c’était tranquille. Et puis, d’un coup, les problèmes de sécurité ont commencé », a ainsi déclaré un étudiant en génie civil âgé de 23 ans, déplacé en mars de Port-au-Prince vers Cap-Haïtien, après une agression ayant coûté la vie à son frère. « Des hommes sont arrivés, plein de bandits. Ils ont commencé à tirer. Ma famille et moi, on est sorti de la maison. En traversant la rue, [mon frère de 19 ans] a été touché par une balle. [L]a balle lui avait traversé la tête [...]. Après ça, on est venus à Cap-Haïtien. Dans mon quartier, il ne reste plus personne – juste les bandits. »

Lors des attaques récentes, plusieurs personnes interrogées ont témoigné que les groupes criminels se servaient d’applications pour diffuser des messages audio avertissant les habitants qu’il ne leur restait que quelques heures pour s’enfuir.

Un plombier de 38 ans de Port-au-Prince, père d’un bébé de six mois, a déclaré à Human Rights Watch : « Les bandits ont envoyé des messages pour nous prévenir [...]. On savait qu’ils allaient venir. Et ils sont venus. Ils sont rentrés [dans le quartier] et [l’]ont saccagé. Les policiers avaient déserté. Ils ont tué des personnes, ils ont brûlé des maisons.J’ai perdu ma maison. On voyait des corps sans vie partout, ça laissait une odeur nauséabonde. Il fallait passer en courant [...]. Nous avons dû partir pour nous sauver. »

Des travailleurs humanitaires et d’organisations de défense des droits humains ont rapporté que les groupes criminels mettaient le feu à des domiciles autour des quartiers ciblés afin de forcer les habitants – et parfois la police – à prendre la fuite. Selon des responsables de l’ONU, ces tactiques semblent avoir pour but de dépeupler de force certaines zones afin de permettre aux groupes criminels d’étendre leur présence et de préparer le terrain pour prendre le contrôle d’autres zones.

De nombreuses personnes interrogées ont été déplacées à plusieurs reprises, ayant d’abord fui vers d’autres zones de Port-au-Prince ou des villes voisines, avant de trouver refuge à Cap-Haïtien. Elles ont voyagé en bus, prenant beaucoup de risques sur le chemin, puisque les groupes criminels contrôlent des voies de circulation clés, mettent en place des points de contrôle et extorquent les passagers.

Une femme de 37 ans de Cabaret – une zone au nord de Port-au-Prince contrôlée depuis longtemps par des groupes criminels – a confié à Human Rights Watch qu’après avoir été déplacée plusieurs fois dans la même zone, elle s’était enfuie à Mirebalais pour protéger sa fille de 14 ans du risque de violences sexuelles. Toutefois, fin mars, alors que des groupes armés attaquaient Mirebalais – incendiant des maisons et tuant plusieurs personnes –, elle avait dû s’enfuir à nouveau. « J’ai dû [...] me réfugier dans une église à Hinche [une ville proche]. Mon mari était sorti pour travailler, peignant une maison. Je n’ai plus eu de nouvelles de mon mari [...]. J’espère simplement qu’il n’est pas mort. J’ai quitté Hinche car des rumeurs circulaient sur une attaque imminente [...]. Aujourd’hui on est ici [à Cap-Haïtien], mais je crains que la violence ne nous poursuive. »

Les personnes déplacées, qui représentent désormais près de 11 % de la population d’Haïti, se réfugient actuellement dans les dix départements du pays. Cinquante-cinq pour cent des personnes déplacées sont des femmes et des filles ; la plupart sont hébergées auprès de familles ou vivent dans des sites spontanés, où elles sont confrontées à de graves pénuries de nourriture, d’eau, de soins médicaux et d’autres services essentiels. D’après le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), plus de 8 400 personnes vivant dans des sites de déplacement font face à la famine.

Les conditions régnant dans les lieux de vie des personnes déplacées dans tout Haïti sont de plus en plus difficiles, avec plus de 246 sites informels rapportés début juin, chacun hébergeant une moyenne de 2 000 personnes. De nombreuses personnes se sont réfugiées dans des écoles ou des espaces publics surpeuplés, subissant des risques de sécurité importants et ce que l’Office de la protection du citoyen a qualifié de conditions « inhumaines ».

L’étendue de la crise du déplacement a débordé les capacités existantes. Le Plan de réponse humanitaire de l’ONU, qui vise à aider 3,9 millions d’Haïtiens, sur les 6 millions ayant besoin d’une assistance humanitaire, n’est financé qu’à 80 %. Le fait que le gouvernement de transition se montre incapable de mettre en place un plan national global pour soutenir les déplacés internes a par ailleurs entravé les efforts visant à coordonner et maintenir une réponse efficace.

La communauté internationale ne fait pas suffisamment pour appuyer les efforts de la MMAS pour protéger les Haïtiens des groupes criminels qui les obligent à se déplacer, a déclaré Human Rights Watch.

Bien que huit pays aient averti en 2024 le secrétaire général de l’ONU de leur intention de contribuer en fournissant du personnel à la MMAS, seul le Kenya, qui dirige la mission, le Guatemala, le Salvador, la Jamaïque et les Bahamas ont déployé des forces armées. Le total des effectifs déployés n’est que de 991 militaires, bien en-deçà des 2 500 attendus.

Il manque toujours à la MMAS des financements supplémentaires pour pouvoir maintenir ses opérations jusqu’en décembre et pour mettre en place les neuf bases opérationnelles restantes, sur les douze prévues, qui sont cruciales pour sécuriser le territoire et consolider sa présence.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait veiller à ce que la MMAS, soutenue par l’ONU, reçoive le personnel et les ressources nécessaires pour mener à bien son mandat, et convienne de mesures pour transformer cette mission en opération à part entière des Nations Unies, capable de protéger les droits humains et d’éviter une escalade encore plus dramatique des violences, a déclaré Human Rights Watch.

« La violence en Haïti empire de jour en jour », a conclu Nathalye Cotrino. « Le Conseil de sécurité devrait cesser son attentisme et transformer la MMAS en véritable mission des Nations Unies. Combien de meurtres, de viols, d’enlèvements et de recrutements d’enfants devront encore être commis, avant que les autres gouvernements ne se réveillent et se rendent compte de ce qui doit être fait ? »

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