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Haiti

Haïti : L’escalade de violence met la population en grave danger

Une réaction internationale urgente est nécessaire alors que le gouvernement de transition perd le contrôle de la situation

(Washington) – La montée de la violence en Haïti due aux groupes criminels et aux affrontements avec des groupes dits d’« d’autodéfense » contribue à une insécurité préoccupante pour la population du pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les groupes criminels ont renforcé leur emprise sur la capitale haïtienne Port-au-Prince et ont étendu leurs activités à d’autres régions. Les dirigeants de l’opposition et les groupes « d’autodéfense » ont mené de violentes actions de protestation contre le gouvernement de transition.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait veiller d’urgence à ce que la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMAS), autorisée par l'ONU, dispose du personnel et des moyens dont elle a besoin pour remplir son mandat, et convenir des mesures à prendre pour transformer cette mission en une véritable opération des Nations Unies dotée d’un mandat de protéger les droits humains et d’empêcher une nouvelle escalade de la violence.

« La situation sécuritaire en Haïti est en chute libre et les Haïtiens subissent d’horribles abus », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse senior auprès de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les États membres de l’ONU devraient immédiatement renforcer les capacités de la MMAS et prendre des mesures urgentes pour la transformer en une véritable mission de l’ONU. »

Seulement dix pour cent de la capitale Port-au-Prince sont encore sous le contrôle du gouvernement, et les groupes criminels y ont multiplié leurs attaques depuis la fin de l’année 2024. Ces groupes ont attaqué des infrastructures essentielles, des institutions de l’État, des écoles, des centres de santé, des médias, ainsi que des zones résidentielles et commerciales. Ils ont également infiltré les quartiers proches de Pétion-Ville, l’une des rares zones à échapper encore à leur contrôle, où vivent les classes moyennes et aisées et où se trouvent les bureaux de l’ONU. Des meurtres, enlèvements, violences sexuelles et recrutements d’enfants sont signalés presque quotidiennement, alors que la police et la MMAS se débattent avec des financements et du personnel insuffisants.

Entre fin janvier et mars 2025, au moins 262 personnes ont été tuées et 66 autres blessées dans les communes de Kenscoff et Carrefour, dans le sud de Port-au-Prince, selon l’ONU. La violence a également continué à toucher le département de l’Artibonite, où plus de 11 personnes ont été tuées à Gros-Morne fin janvier, et où la MMAS a déploré sa première perte en vie humaine fin février dans la commune de Petite-Rivière. Fin mars et début avril, la violence s’est étendue à deux villes du département du Centre, Mirebalais et Saut-d’Eau, où plus de 80 personnes ont été tuées, selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH). Plus récemment, des menaces d’attaques imminentes contre la ville voisine de Hinche ont aussi été signalées.

L’escalade de la violence criminelle, aggravée par les affrontements avec les groupes « d’autodéfense » – formés par des membres de la communauté opérant souvent en collusion avec la police – ainsi qu’avec les forces de l’ordre, a forcé plus de 90 000 personnes à fuir leurs foyers depuis le début de l’année, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). De nombreuses organisations humanitaires et de défense des droits humains, nationales et internationales, ont également été contraintes de déménager ou de suspendre leurs activités, ce qui affecte encore plus les 6 millions d’Haïtiens qui ont besoin d’aide humanitaire et aggrave les conditions des 5,7 millions de personnes confrontées à des niveaux importants d’insécurité alimentaire grave, le chiffre le plus élevé de ces dernières années.

« Les habitants n’ont plus d’endroit sûr où se réfugier », a déclaré un travailleur humanitaire à Human Rights Watch. « Les femmes qui viennent chercher de l’aide ici n’ont pas seulement perdu des êtres chers, elles ont aussi été violées, déplacées et jetées à la rue, elles ont faim et luttent pour survivre. Nous ne savons pas combien de temps encore elles pourront endurer de telles souffrances... Tout ce que [les victimes] demandent, c’est que les violences cessent. Sans soutien de la part de la police ou du gouvernement, elles se sentent abandonnées. Elles demandent :Pourquoi personne ne nous vient-il en aide ? Pourquoi la vie des Haïtiens est-elle sans importance, si nous aussi sommes des êtres humains ?” »

Le gouvernement de transition, dont trois membres sont impliqués dans des affaires de corruption, a mis en place début mars un groupe de travail pour lutter contre les groupes criminels, et a procédé à des frappes de drones à l’aide de munitions explosives sans rendre compte des abus commis. Les dirigeants des groupes criminels ont également menacé de déployer ce type de technologie.

Des membres des communautés de Port-au-Prince, Pétion-Ville et Kenscoff, ainsi que des personnes déplacées à l’intérieur du pays, sont descendus dans les rues de la capitale ces dernières semaines pour réclamer la destitution du gouvernement actuel. Des membres de plusieurs groupes « d’autodéfense » et des officiers de police se sont joints à certaines manifestations. En réponse, le 7 avril, le gouvernement de transition a déclaré un nouvel état d’urgence, et annoncé, entre autres mesures, une augmentation des ressources affectées aux forces de sécurité.

La gestion de cette situation par le gouvernement a conduit à la réapparition de figures de l’opposition comme l’ancien premier ministre Claude Joseph, l’ancien commandant de police Guy Philippe, qui a passé six ans dans une prison américaine pour blanchiment d’argent et trafic de drogue, et l’ancien chef de l’unité de sécurité générale du palais national Dimitri Hérard, qui a été inculpé dans le cadre de l’assassinat du président Jovenel Moïse, en 2021. Ces trois hommes ont appelé à de nouvelles manifestations.

Face à cette instabilité croissante, les gouvernements étrangers sont restés largement silencieux, a déclaré Human Rights Watch. Aucune action concrète n’a été engagée depuis la publication, le 24 février, par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, d’un document contenant des recommandations assorties d’un éventail d’options à l’intention du Conseil de sécurité de l’ONU.

Ce document appelait à la création d’un bureau d’appui de l’ONU financé par des contributions obligatoires et destiné à apporter un soutien logistique et opérationnel à la MMAS afin de renforcer sa capacité à mener des opérations musclées et ciblées avec la police nationale haïtienne contre les groupes criminels. Il appelait également à « accroître et renforcer les effectifs de la Mission et la doter de capacités militaires et de matériel létal supplémentaires fournis bilatéralement par les États Membres pour combler les insuffisances actuelles », ainsi qu’à consolider la collecte de renseignements et ses capacités d’analyse. Le Secrétaire général a également demandé que l’ONU apporte un soutien aux forces de sécurité et aux programmes non onusiens pour accompagner ceux qui choisissent de quitter les groupes criminels et pour aider les autorités haïtiennes à enquêter, poursuivre et détenir les personnes à haut risque arrêtées par la MMAS.

Le 13 avril, alors que des informations faisaient état de tentatives de prise du pouvoir par certains groupes criminels, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a exhorté la communauté internationale à prendre des mesures d’urgence pour soutenir les autorités haïtiennes. Peu de temps après, le Département d’État américain a apporté son soutien à la CARICOM et aux efforts déployés par la MMAS pour rétablir la paix et la stabilité. Le même jour, le gouvernement de transition d’Haïti a réitéré son appel au Conseil de sécurité des Nations Unies pour qu’il examine d’urgence « des propositions d’un renforcement significatif de l’appui international à la cause de la restauration de la sécurité en Haïti. »

Jusqu’à présent, aucune mesure concrète n’a été prise pour accroître le soutien international à la MMAS, mettre en œuvre les recommandations du Secrétaire général de l’ONU ou déployer d’autres efforts pour améliorer la sécurité en Haïti, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement des États-Unis, qui était le principal bailleur de fonds de la MMAS à sa création en 2023, n’a pas fait preuve d’un leadership ou d’une approche fondée sur des principes, et les diplomates étrangers ont largement perçu cette carence comme un facteur clé expliquant le retard persistant dans les importantes discussions et décisions à prendre.

« L’inaction représenterait un échec catastrophique pour la politique étrangère, après des années d’engagement et les centaines de millions de dollars investis », a déclaré par téléphone Pierre Espérance, un défenseur haïtien des droits humains, à Human Rights Watch le 16 avril. « Le renforcement immédiat des capacités de la police haïtienne et de la MMAS en effectifs, hélicoptères et moyens est essentiel. Sans soutien international, les Haïtiens sont à l’agonie. »

Le 21 avril, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) doit faire le point sur la situation en Haïti devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il est essentiel que les membres du Conseil de sécurité discutent de la nécessité pour les États membres de l’ONU de fournir plus de personnel, de financement et d’équipement à la MMAS, a déclaré Human Rights Watch.

Les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et d’autres gouvernements concernés en Amérique latine et au-delà devraient fournir de toute urgence du personnel et des moyens pour soutenir la MMAS, a déclaré Human Rights Watch. Ces pays devraient également s’engager en faveur d’une stratégie à moyen et long terme qui intègre les recommandations du Secrétaire général de l’ONU, dans le but de transformer la MMAS en une mission robuste de l’ONU mandatée pour protéger les civils et aider à restaurer la stabilité et l’État de droit en Haïti.

« L’ONU dispose de l’expertise nécessaire pour soutenir les efforts haïtiens en vue de rétablir des conditions de sécurité élémentaires et de commencer à reconstruire le pays, tout en faisant respecter les droits humains et en répondant aux besoins urgents de millions de personnes », a conclu Nathalye Cotrino. « Mais la fenêtre pour agir est en train de se refermer. »

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