En moins d'une semaine, deux bâtiments scolaires se sont effondrés en Haïti, occasionnant, dans le premier cas, un lourd bilan humain. Ces drames «interpellent la conscience de tous» et amènent à s'interroger sur les conditions de sécurité entourant les bâtiments des établissements scolaires. Mais, par-dessus tout, ils semblent lever le voile sur des carences au niveau des normes et des codes de construction en Haïti ainsi que la défaillance du système de contrôle mis en place par les autorités responsables.
«Anarchique », c'est le terme utilisé par le ministre de la Jeunesse et des Sports, Evans Lescouflair, pour qualifier les conditions dans lesquelles sont accueillis les enfants venus recevoir le pain de l'instruction. Une réaction faisant suite à l'effondrement, à cinq jours d'intervalle, des bâtiments deux structures scolaires privées. Et le ministre de faire valoir que ces drames à répétition « interpellent tout le monde ».
Mais les mauvaises conditions d'hébergement des élèves ne constituent pas une exclusivité des écoles privées. Nombre d'écoles publiques se retrouvent en effet dans des situations identiques.
« Il faut de la pression sur l'Etat car au Lycée Jean Jacques Dessalines, l'étage qui accueille les élèves de la Terminale n'offre aucune garantie sécuritaire. On peut, d'un moment à d'autre, assister à une grande catastrophe », prévient Léo Lutolu, président de l'Union des parents d'élèves progressistes d'Haïti (UPEPH). D'autres écoles publiques comme le Lycée Fritz Pierre-Louis, en plein cœur de la capitale, sont aussi pontés du doigt par Jean Lavaud Frederic, de la Confédération nationale des Enseignants haïtiens (CNEH).
Si des bâtiments logeant des écoles publiques sont en piteux état, ils sont néanmoins les seuls à bénéficier de l'évaluation du Service de génie scolaire du Ministère de l'Education nationale. Aucune structure étatique n'est prévue pour contrôler la construction des bâtiments devant loger les institutions scolaires privées dans le pays. « Le Service de génie scolaire est habilité à donner des avis techniques uniquement sur les bâtiments scolaires publics », comme le fait observer le Directeur général du Ministère, Pierre Michel Laguerre.
Des constructions ne respectant aucune norme
Les bâtiments se sont effondrés sans qu'il ne soit provoqué par un événement externe, tel une catastrophe naturelle. Ceci conduit à mettre en cause notamment les conditions dans lesquelles ils ont été construits.
Et le souligne l'ingénieur Lyonel Duvalsaint, président de l'association haïtienne des entreprises de construction (AHEC), le bâtiment abritant « la Promesse : collège évangélique » de Nérette était construit au mépris des normes requises.
« C'est choquant de voir cette construction qui avait accueilli des centaines d'enfants et quel type de matériaux qui ont été utilisés. Cette construction de cinq étages a commencé sur une maçonnerie existante, avec des joints assez friables. Il faut absolument des dispositions pour éviter la répétition de tels drames », a-t-il dit.
L'ingénieur a par ailleurs ajouté : « la structure effondrée, notamment Les dalles et les poteaux, ne comportait pratiquement pas de béton. D'ailleurs, c'est à la main qu'on a commencé les premières démolitions pour extraire des victimes ».
Non seulement les normes n'ont pas été respectées, mais en plus, le bâtiment effondré n'a pris en compte aucun code de sécurité. Selon M. Duvalsaint, «le bâtiment devait être aménagé de telle sorte que les escaliers puissent recevoir en même temps six à sept enfants. Dans de tels bâtiments, il faut aussi prévoir des sorties de secours en cas de catastrophes et organiser chaque année des simulations ».
Or, de l'avis de Daniel Vigée, le commandant des sapeurs pompiers de la Martinique venus apporter leur assistance lors du drame, « l'escalier mesurait à peine un mètre, il ne pouvait laisser passer en même temps au maximum deux enfants ».
L'effondrement successif des bâtiments abritant «la Promesse, collège évangélique » de Nérette et l'école «Grace divine» de Canapé-Vert continue encore de soulever critiques et indignation. Des prises de position émanant non seulement de simples citoyens mais aussi de responsables d'Etat.
« Défaillance, irresponsabilité...»
Comme le souligne le député Robert Mondé, ces drames renvoient à la problématique de la gouvernance en Haïti. « C'est triste, le pays n'est pas gouverné », déplore le parlementaire présent sur les lieux après l'effondrement de l'école « Grace divine ». Pour lui, en effet, « le Ministère de l'Education nationale et la Mairie n'ont pas assumé leurs responsabilités car des mesures préventives auraient dû être prises ».
La même tonalité est observée chez son collègue Gasner Douze, membre de la Commission Education à la Chambre des députés. Le parlementaire a déclaré, suite au drame de Nérette : «nous sommes dévorés et interpellés par ce drame qui est l'expression de la déchéance de toute une société. Personne n'est à la place qui lui convient».
Et le député de mettre en garde : « si on ne prend pas les mesures adéquates, on va assister à des drames similaires. Les conditions ayant conduit au drame de Nérette existent dans toutes les régions du pays».
Quant au Réseau national de défense des droits de l'homme (RNDDH), il fustige l'insouciance de l'Etat. « La tragédie de Nérette découle de l'indifférence de l'Etat haïtien vis-à-vis des constructions anarchiques et démontre l'irresponsabilité et la défaillance accrues de l'Etat eu égard à ses obligations de garantir le droit à la vie et à la sécurité», lit-on dans un communiqué de presse de la RNDDH.
Certes, des dispositions pour garantir la qualité des constructions existent. Mais elles ne sont pas appliquées. En effet, avant d'entreprendre une construction, l'ingénieur a pour devoir de déposer les plans à la municipalité.
Les autorités municipales, en vertu de la loi de juin 1924, doivent les acheminer au ministère des Travaux publics Transport et Communication (TPTC) en vue d'obtenir un avis favorable des ingénieurs sur la garantie des constructions. « Le ministère devait analyser les plans au niveau structurel pour voir si les poutres sont bien calibrées, si les dalles sont bien calculées...et émettre un avis technique », renseigne l'ingénieur Lyonel Duvalsaint.
Cependant, fait remarquer l'ingénieur Duvalsaint : « à ma connaissance, ces liens n'existent plus. Les municipalités ne disposent pas de compétences nécessaires pour donner des avis techniques ou pour se prononcer sur l'impact environnemental. La mairie accepte maintenant la demande d'autorisation moyennant le paiement d'un droit d'alignement ».
Pour prévenir d'autres drames
Certaines mesures sont prises afin d'empêcher que d'autres drames de ce type ne se produisent. Aussi, le gouvernement a-t-il mis en place une Commission interministérielle comprenant entre autres, le Ministère de l'Education nationale, le Ministère de l'Intérieur et des Collectivités territoriales et celui des TPTC pour se pencher sur la situation.
Par ailleurs, le Ministère de l'Education nationale va revoir les modalités d'octroi des licences de fonctionnement aux écoles privées. Auparavant, l'inspecteur effectuant l'évaluation ne tenait compte que des aspects administratifs et pédagogiques. « Nous envisageons d'inclure un nouvel élément : l'avis technique de l'ingénieur comme pré-requis », informe le responsable de la Communication du Ministère de l'Education nationale, Milody Vincent.
Le responsable de la Communication a aussi fait savoir : « nous allons lancer avec le TPTC et les mairies, une évaluation sommaire des écoles privées et publiques. Celles présentant un extrême danger seront fermées ». Le Ministère des travaux publics travaille à l'élaboration d'un code de bâtiment et à la vulgarisation des textes légaux relatifs à la construction en Haïti
Outre les mesures annoncées, le ministre de la Justice a ordonné l'ouverture d'une enquête afin de « sévir contre tous ceux qui ont failli à leurs responsabilités ». Une enquête qui risque de mettre en cause les responsabilités des acteurs tant privés qu'étatiques.