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Haiti

Haïti : Initier une politique de dialogue respectueux

Par Charles Joseph Charles

L'homme doit se prêter aide mutuelle pour faire face aux nécessités de la vie. De là naît l'association politique. La politique en Haïti est livrée à un processus d'uniformisation hypothéquant toute altérité. De là viennent l'instabilité et le désordre politique qui constituent un handicap majeur pour la promotion du pays à sa nécessaire autonomie. Le désordre politique, transposé sur le plan social et économique, détériore la santé morale de l'État, jadis et naguère, porteur des microbes corrupteurs du matérialisme et générateur de haine. La politique, en tant qu'association, ne saurait avoir la vocation d'exclusion, sinon de subordination. Quand l'État, en tant que le principal instrument d'unification et de l'épanouissement national, vient à manquer dans son rôle, se créent alors des conflits sociaux et des crises redoutables, où les intérêts s'affrontent sans arbitrage et presque sans issue. Le peuple haïtien en souffre dans tout son être et la nation entière s'anémie.

L'heure a sonné. Une politique de transition doit naître. À une politique de la négation de l'autre doit succéder une politique de l'intégration de l'autre. C'est-à-dire une politique de compromis, initiant le dialogue respectueux en admettant les divergences de vues. Le dialogue doit être une constante dans l'enfantement qu'il faut absolument encourager. Car le recours au dialogue supposerait le refus de violence.

En sociologie politique, la préparation au dialogue passera par deux étapes, dit-on. La première va de la situation actuelle de coexistence à la tolérance. La seconde conduit de la tolérance au dialogue. Aucune étape n'est d'ailleurs jamais achevée ; et les deux mouvements se recouvrent, si bien que leur distinction est plus logique qu'historique. Tout le long du processus, c'est la coopération dans des actions communes qui sera l'instrument du progrès.

Il y a longtemps que l'on parle de l'urgence de dialogue chez nous ; c'est un vocabulaire courant. Sous quel angle envisage-t-on ce dialogue ? Est-ce comme méfiance réciproque ou entraide mutuelle ? La seule manière de parvenir à un dialogue constructif, en Haïti, est de passer de l'hostilité à l'accueil, de l'intolérance à la tolérance, de la protection de soi à l'attention de l'autre, du refus de l'autre au dépassement de soi. Ce qui semblerait faire appel à une notion supra-politique, selon le vocabulaire de Karl Jaspers, à une éthique de sacrifice.

Le jour où, en Haïti, nous découvrirons que l'autre n'est pas un ennemi qu'il faut abattre avant même qu'il ne nous conteste, nous parviendrons à la fraternité qui nous garantira la promotion du colonisé à l'homme réellement libre et vraiment libéré.

L'apprentissage de la tolérance est une option urgente et utile pour le peuple haïtien. La tolérance s'inscrit dans le cadre d'un dur labeur de démystification, de dépassement, de désaliénation... La tolérance ne veut pas dire fin des revendications, ni abandon de la lutte pour le changement vers un mieux-être, non ! Selon une expression de W.W. Rostow, le premier pas vers la tolérance consiste à compléter la stratégie de dissuasion par une politique de persuasion, destinée à prouver clairement à l'adversaire qu'on ne veut ni le détruire ni même lui faire violence.

En revanche, selon les mots de Robert Bosc, une période d'intolérance est parfois nécessaire pour faire cesser des injustices intolérables, et pour protéger ensuite les fragiles conquêtes de la justice contre des adversaires intéressés. L'État élève alors autour de ses frontières le « mur de la coexistence » ; mais sous peine de nouvelle et rapide sclérose et aliénation idéologique, il lui faut vite rouvrir les communications et ne pas trop compter sur la « disparition » de l'autre ou sur sa « conversion ». Tel est le principe directeur de la politique de participation.

Le citoyen haïtien doit participer aux décisions qui vont agir sur sa propre vie. La politique de participation, telle qu'elle doit exister, offrira une structure de leadership non au niveau de la militance mais au niveau de la compétence. Il y a déjà deux siècles que nous avons adopté le système politique de représentation. Ce système, accusé d'étroitesse d'esprit ou d'arriération mentale, a fait son temps. Il y a urgence de rendre caduque l'apathie politique pour initier une activité politique intégrée et plus intense. C'est le passage de la politique de représentation à la politique de participation.

Une politique de participation permettra de bâtir une société où tous tiennent leur place ; partir d'en bas et non d'en haut pour arriver à quelque chose de sérieux et de commun sans risque d'exclusion. Cela permet de créer un ordre nouveau de fraternité et de communauté. Une société alphabétisée politiquement où chacun tient sa place ne laisserait pas beaucoup d'espace aux conflits, à la violence et à l'anarchie.

Le moyen le plus fiable de pronostiquer l'avenir, c'est de comprendre le présent. Pourtant, en Haïti, on s'inquiète de l'avenir de tout : du social, du politique, du culturel, de l'économique, etc. Pourtant, demain demeure une exigence pour mettre fin à la crispation socioculturelle et économico-politique qui règne depuis deux siècles au pays. Nous ne parlons pas ici des simulacres de changement planifiés annonçant le bien-être pour bientôt, non ! Nous ne voulons pas semer l'espoir dans les têtes quand nous savons tous que tout accouchement s'accompagne toujours de douleurs. Car, pour goûter la joie du succès, il faut souffrir, lutter, quelquefois pleurer, et même se sacrifier sans jamais désespérer.

Il y a plus de deux mille ans dans le monde entier, et environ deux cents ans en Haïti, particulièrement, qu'on défend la cause des pauvres et des petits dont les droits sont bafoués. Où en est-on aujourd'hui ? Leur cause est loin d'être gagnée. Peut-on, oui ou non, continuer d'espérer ? Nous disons oui ! Car il est toujours possible que la vie renaisse là où personne ne pouvait l'imaginer. Il faut, sans cesse, ouvrir des pistes. Savoir reconnaître des signes prometteurs d'avenir. Bêcher ensemble aujourd'hui pour réussir ensemble demain.