La rentrée est effective aux Gonaïves, ce lundi 10 novembre, soit deux mois après les ouragans Hanna et Ike qui ont ravagé la Cité de l'indépendance. Confrontés à des difficultés de toutes sortes, parents, élèves, enseignants et autorités locales ont décidé de relever ce challenge, un mois après l'ouverture officielle des classes au plan national. Un pari partiellement remporté.
Les salles de classe ont ouvert leurs portes, ce 10 novembre, dans la Cité de l'Indépendance. Mais l'affluence enregistrée dans les différents établissements scolaires, ce premier jour de classe, reste faible. Une situation due aux difficultés énormes auxquelles sont confrontés les acteurs du système éducatif de la ville.
«Aujourd'hui, nous ne pouvons pas dire que c'est le grand jour. Mais il fallait quand même donner un signal, c'est ce que nous faisons aujourd'hui, en ouvrant solennellement les classes », souligne le directeur de l'Ecole nationale de Descahos, Jean Despisnasse, comme pour justifier le nombre peu important d'élèves. Sur un total d'environ 1140 élèves, seuls 43 sont présents.
Jean Despisnasse s'est néanmoins montré satisfait de voir reprendre les activités. « Le besoin des enseignants, des élèves et des parents de rouvrir l'école était très grand », explique-t-il d'emblée.
Cette conjoncture morose, en effet, n'a pas entamé la détermination des parents de permettre à leurs enfants de reprendre le chemin de l'école. « J'ai tout perdu. Hanna a tout emporté. Je recommence ma vie à zéro. Mais, je ne veux pas permettre aux cyclones d'emporter également mon avenir qui se trouve dans l'éducation et la formation de mes enfants », affirme Gracia S., commerçant d'une cinquantaine d'années.
Certes, sa famille vit dans une situation précaire : « nous sommes hébergés par des proches, sans nourriture, sans vêtements, sans rien », dit-il. Mais il s'est montré fier d'accompagner ses trois enfants à l'école. « Vous savez, je ne le fais pas souvent. Je laisse le soin à leur mère. Mais aujourd'hui, j'ai tenu à être présent pour qu'ils comprennent que leur place n'est pas à la maison. Leur seule possibilité de s'en sortir et de nous aider à nous tirer de cette situation dramatique, c'est l'école », insiste-t-il.
Chez les élèves, on retrouve cette même foi dans l'éducation. « L'école est la seule arme qui puisse nous permettre de faire face aux nombreuses difficultés qui nous assaillent », explique d'emblée, l'air soulagée, Kettely, élève en classe de Philo au Collège Vanité Le- Saint Georges de la Rue Jean Jacques Dessalines.
Elle a hâte de reprendre le chemin de l'école. « Je ne supportais plus l'idée de rester à la maison, tandis que mes camarades des autres villes du pays ont repris leurs cours », signale-t-elle, avant de faire part de son objectif pour cette année. « Il est impérieux que je passe mon Bac, afin de permettre à mes parents de souffler un peu. Et ce n'est pas en restant à la maison que je pourrai relever ce défi », ajoute-t-elle en effet.
Tout juste près de Kettely, se tient sa condisciple Anne. Elle aussi n'attendait que ce moment. «=C7a fait beaucoup de bien de revoir mes camarades de classes. On n'avait plus de nouvelles. J'ai retrouvé presque tous mes amis et l'ambiance est bonne. C'est le signe que la vie est toujours possible », confie-t-elle.
Toutefois, ce qui choque les deux élèves, c'est que l'école a exigé que les parents d'élèves versent des frais d'inscription qui s'élèvent à environ 7.500 gourdes. En outre, ils ont été contraints de payer 800 gourdes pour le mois de septembre alors qu'il n'y a pas eu cours.
Des actions ayant rendu possible la rentrée
Pour permettre la reprise des cours, nombre d'efforts ont été consentis. A l'école nationale de Descahos, par exemple, la boue encombrant les salles de classes a été enlevée même si ce nettoyage n'a pas touché la grande cour de l'école.
Par ailleurs, la Cite de l'Indépendance compte environ 400 structures scolaires et universitaires. Comme la plupart d'entre elles, l'Ecole nationale de Descahos a abrité des centaines de sinistrés des ouragans. « Ce sont les parents et les élèves eux-mêmes qui ont contribué à enlever les 3000 mètres cubes de boue des salles de classe », explique-t-il.
Des partenaires internationaux ont également contribué aux opérations de nettoyage. Dans la plupart des écoles de la ville, l'ONG Amanda Marga Universal Relief Team (AMURT), soutenue par le Programme alimentaire Mondial (PAM) dans le cadre de l'opération « Food for Work », y a joué un rôle assez important. Près de 80 structures scolaires ont déjà bénéficié de l'expertise de cette organisation.
Du coté du Centre national des Equipements (CNE), des efforts considérables ont aussi été déployés en vue de rétablir la circulation sur la principale voie de la Cité, l'Avenue des Dattes, qui regroupe la majorité des établissements scolaires.
Du côté du gouvernement, des mesures sont prise pour faciliter le redémarrage de l'école aux Gonaïves. « Du matériel didactique seront distribué dans quelques jours dans les écoles », annonce Arnold Christian, le directeur départemental de l'Education nationale pour l'Artibonite.
Si une dizaine d'établissements scolaires servent encore d'abris provisoires, la majorité d'entre eux ont rouvert leurs portes. Cependant, les responsables des établissements scolaires de la Cité de l'indépendance relèvent pour la plupart que le pari est loin d'être gagné.
Beaucoup reste à faire
Les stigmates du drame provoqué par les cyclones Hanna et Ike sont toujours visibles sur les murs des établissements scolaires et dans les alentours : poteaux électriques renversés, clôtures détruites, marques d'eau et de boue sur tous les objets, matériel didactique irrécupérable, bancs et établissements scolaires détruits, entre autres dégâts.
Dans le plus grand établissement scolaire public de la ville, le lycée Fabbre Geffrard, la situation est tout aussi pénible. Les quelques élèves présents consultent les listes des classes ou tentent d'obtenir une inscription au Censorat. « Ils sont venus nombreux, ce matin, mais faute de tables-bancs, nous leur avons demandé de retourner à la maison », note le censeur des études, Sénat Léus.
Il explique que les sinistrés qui avaient trouvé refuge dans ce lycée ont parfois utilisé des tables-bancs comme bois de chauffe. C'est pourquoi, pour ce premier jour, seules les classes de Terminales ont débuté les cours. Sur les 123 tables-bancs dont disposait l'école nationale de Descahos, une quarantaine ont été détruite.
A l'institution mixte Frères Unis des Gonaïves, ce qui frappe tout de suite le visiteur est que l'établissement essaie encore de se reprendre. « Nous avons tout perdu. Du matériel didactique, mais aussi et surtout presque tous les dossiers des élèves », explique le fondateur de l'institution, Julien Lexinor.
Des bulletins de notes, des carnets et autres documents en mauvais état traînent un peu partout dans la cour remplie de boue. « L'ONG AMURT a aidé à extraire la boue des salles de classes. Nous avons besoin d'engins plus lourds pour transporter cette boue vers des sites de décharge », explique-t-il.
Un appel du pied au Conseil National d'Equipement (CNE) dont les gigantesques camions parcourent la ville de part en part, en vue d'enlever les 3.000.000 de mètres cube de boue, qui constituent une véritable menace pour la santé des populations et qui entravent la circulation dans la ville.
Pour M. Lexinor, l'unique satisfaction vient du fait que les 500 élèves de son établissement ont confirmé leur réinscription. Il espère que les parents feront l'effort de s'acquitter des frais de scolarité, en dépit des importantes difficultés. Grâce à des moyens du bord, tableaux, tables-blancs et autres matériels didactiques ont été refaits ou achetés.
Face aux graves difficultés auxquelles sont confrontés les établissements scolaires pour assurer une véritable reprise des cours, les responsables lancent « un vibrant appel à l'aide » à leur ministère de tutelle, mais aussi à la communauté internationale.