New York, 5 juillet 2023
Bonjour à tous et merci d'être venus. Je m'appelle William O'Neill et je suis l'Expert des Nations Unies sur la situation des droits humains en Haïti.
J'ai récemment passé 10 jours en Haïti dans le cadre d'une mission d'enquête. Je travaille sur Haïti depuis plus de 30 ans et je n'ai jamais vu la situation aussi mauvaise qu'aujourd'hui.
Les gangs contrôlent plus de 50% de la capitale. Ils règnent sans pitié : kidnappant, extorquant et terrorisant la population. De nombreux quartiers de la ville sont interdits à la Police nationale d'Haïti. Dans certains cas, la police est de connivence avec les gangs. L'impact sur les droits économiques, sociaux et culturels est dévastateur. Les enfants ne peuvent pas aller à l'école, les marchés sont fermés ou les commerçants doivent payer une « taxe » aux gangs, les dispensaires ne peuvent pas fonctionner et les activités de base de la vie quotidienne comportent de grands risques.
Les gangs sont responsables de violences sexuelles contre les femmes et les jeunes filles. Ils utilisent la violence sexuelle pour terroriser la population et asseoir leur contrôle. Les viols collectifs sont devenus monnaie courante. J'ai interviewé deux victimes de violences sexuelles qui ont décrit comment elles avaient été battues et même brûlées avec des morceaux de plastique chaud.
L'État haïtien, à peine présent dans les zones contrôlées par les gangs avant cette récente vague de violence, est dorénavant totalement absent. Le gouvernement, à la suite d’un rapport du HCDH/BINUH en octobre 2022 sur les violences sexuelles, s'est engagé à fournir des services et un soutien aux victimes. Pourtant, rien n'a été fait jusqu'à présent. Les victimes m'ont dit qu'elles se sentaient abandonnées et isolées.
J'ai visité les prisons de Port-au-Prince et du Cap-Haïtien. Les conditions sont cruelles, inhumaines et dégradantes. Le pénitencier national de la capitale en particulier est horrible. Les détenus sont enfermés dans des cellules sordides, chaudes et surpeuplées pendant des heures. Il n'y a ni eau ni toilettes à l'intérieur des cellules. Ils doivent dormir à tour de rôle car il n'y a pas assez de place pour que tous puissent s'allonger en même temps. Les cellules de Cap Haïtien sont également surpeuplées. Mais au moins là-bas, le Directeur a trouvé un moyen de faire enlever les ordures et les déchets humains tous les jours. Ce n'est pas le cas dans la capitale où j'ai vu un tas de déchets de toutes sortes de 3 mètres de haut et de 4 mètres de large à côté du dispensaire de santé. Des patients atteints de tuberculose et d'autres maladies vivent juste à côté, l'odeur nauséabonde et les risques pour la santé sont évidents.
Plus de 80 % des personnes détenues n'ont jamais été jugées ni reconnues coupables d'un crime. J'ai interviewé une personne qui m'a dit qu'elle était accusée d'un petit larcin, mais qu'elle est en prison depuis sept ans en attendant son procès. J'ai entendu des histoires similaires d'autres détenus qui n'ont pas les moyens de se payer des avocats et qui pourrissent en prison.
Cette situation illustre une défaillance massive du système judiciaire. Les juges sont censés inculper ou libérer l'accusé dans les 48 heures suivant son arrestation. Les commissaires du gouvernement sont chargés d'inspecter les prisons tous les mois pour s'assurer que les conditions sont adéquates. Pourtant, ces obligations légales sont rarement appliquées. Et il est encore plus rare que quelqu'un soit tenu pour responsable d'un manquement à ses obligations.
Une faible responsabilisation combinée à une corruption endémique aboutit à des institutions étatiques qui ne parviennent pas à protéger les droits humains. La population, c'est compréhensible, a peu confiance. Les agents de l'État sont rarement punis et les mécanismes de contrôle sont faibles. Tant que cet aspect de la gouvernance ne sera pas réglé, la situation des droits humains restera lamentable, quelle que soit la quantité d'aide internationale qui arrive ou si la violence diminue.
J'ai vu des développements positifs qui montrent que même avec la violence et le manque de ressources, des progrès peuvent se produire. Nous ne demandons pas l'impossible.
Le nouveau Commissaire du gouvernement de Port-au-Prince a déjà libéré les détenus dans les commissariats qu'il a visités. Il m'a dit qu'il a établi des quotas pour son bureau exigeant qu'un certain nombre de cas soient résolus chaque semaine et qu'il fera des annonces publiques des résultats.
L'Unité de lutte contre la corruption a fait d'énormes progrès dans les enquêtes sur les affaires de corruption majeures. Ils reçoivent des menaces chaque jour, mais continuent leur travail. Le juge d'instruction Morin a failli être tué il y a quelques semaines par des hommes armés qui ont tiré 13 balles sur son véhicule. Le juge Morin enquête sur plusieurs affaires de corruption très médiatisées. D'autres juges enquêtent sur des affaires impliquant d'anciens sénateurs, le chef des douanes et le chef du programme national d'aide sociale.
La Police Nationale d'Haïti souffre d'un manque de personnel et de tous types d'équipements. Pourtant, lorsque j'ai rencontré le chef de la PNH pour le nord du pays, il a décrit comment il a gagné la confiance de la population, ce qui a conduit à des opérations efficaces contre les gangs. Il s'assure que ses officiers patrouillent visiblement. Il insiste sur une discipline stricte et chaque plainte d'inconduite policière fait l'objet d'une enquête.
L'inspecteur général de la PNH m'a dit que 80 agents ont été suspendus et font l'objet d'une enquête pour mauvaise conduite ou activité criminelle. La direction de la PNH enquête également sur les allégations de participation de la police au mouvement « Bwa Kale », qui est une forme de justice d'autodéfense.
La PNH, cependant, a besoin d'aide pour combattre les gangs. Des experts internationaux de la police dans la lutte contre le crime organisé, les gangs armés, les délits financiers, les enlèvements et la conduite d'opérations urbaines, travaillant aux côtés de leurs homologues de la PNH, apporteraient le soutien nécessaire au succès. Toutes les personnes impliquées devraient respecter les principes des droits humains impliquant le recours à la force, l'arrestation et la détention. Une surveillance indépendante stricte est également nécessaire pour évaluer toute allégation fondée de violation de ces principes.
J'appelle également à un embargo sur toutes les livraisons d'armes et de munitions vers Haïti, à l'exception de celles qui sont nécessaires pour aider la PNH à accomplir ses tâches. Haïti ne fabrique pas une seule arme à feu ou balle. Pourtant, les gangs reçoivent de grandes quantités des deux, principalement des États-Unis.
Les expulsions massives de la République dominicaine, en particulier de mineurs non accompagnés, violent les normes des droits humains et un protocole bilatéral entre les deux pays. Les enfants retournés ont souvent été maltraités et certains souffrent de malnutrition. J'exhorte tous les pays de la région à mettre fin aux déportations massives compte tenu de la violence incessante et des violations systématiques des droits humains en Haïti.
Haïti est meurtri par la violence, la misère, la peur et la souffrance. Mais ce n'est pas sans espoir. Des personnes courageuses, en particulier dans la société civile et dans certaines institutions étatiques, obtiennent des résultats positifs avec des moyens limités. Avec une forte volonté et un soutien ciblé de l'extérieur, Haïti peut échapper à cette spirale descendante.
Kenbe fem, pa lage
FIN