I. Introduction
1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2645 (2022) du Conseil de sécurité, par laquelle celui-ci a décidé de proroger jusqu’au 15 juillet 2023 le mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) défini dans la résolution 2476 (2019) portant création du BINUH et d’ajuster le délai de présentation de rapports, le faisant passer de 120 à 90 jours. Il retrace les principaux faits nouveaux survenus depuis mon précédent rapport (S/2023/41) et fait le point sur l’exécution du mandat du Bureau.
II. Politique et bonne gouvernance
2. Des progrès ont été réalisés dans la mise en œuvre de l’accord connu sous le nom de Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes, signé le 21 décembre 2022 (voir S/2023/41). L’installation du Haut Conseil de transition et la nomination des membres de la Cour de cassation ont permis de franchir des étapes décisives sur la voie de la restauration des institutions démocratiques du pays. L’influence croissante des bandes armées sur la sécurité est toutefois restée au premier plan du débat national.
3. Selon un décret publié le 17 janvier dans le journal officiel, intitulé Le Moniteur, les trois membres du Haut Conseil de transition sont les suivants : Laurent Saint Cyr, choisi par les représentants du secteur économique ; Calixte Fleuridor, sélectionné par les représentants du secteur social ; Mirlande Manigat, choisie par les représentants du secteur politique. M. Saint Cyr est le président de la Chambre de commerce et d’industrie du département de l’Ouest, tandis que M. Fleuridor est le président de la Fédération protestante d’Haïti. Mme Manigat est constitutionnaliste. Elle a également été Première Dame et candidate à l’élection présidentielle de 2010. Le Haut Conseil de transition a été créé pour travailler à la mise en œuvre de l’accord du 21 décembre, aux côtés du Gouvernement. Ses trois membres ont pris leurs fonctions le 7 février.
4. Lors de la cérémonie d’installation, Mme Manigat, qui assurera la présidence du Conseil, a rappelé qu’il fallait avant tout parvenir à un consensus plus large sur les moyens de mettre en place les conditions de sécurité et le climat politique nécessaires à l’organisation d’élections. Elle a appelé toutes les parties prenantes du pays, y compris celles qui n’ont pas signé l’accord du 21 décembre, à participer de manière constructive à un dialogue national inclusif sur la sécurité, la réforme constitutionnelle et les élections. Dans le même temps, elle a souligné la nécessité urgente d’une assistance internationale solide à la Police nationale d’Haïti, destinée à contribuer au rétablissement de la paix et de la sécurité dans le pays.
5. Un certain nombre de signataires de l’accord du 21 décembre, de groupes du secteur privé et de plateformes de la société civile ont salué la création du Haut Conseil de transition, y voyant une première étape déterminante sur la voie du rétablissement d’institutions démocratiquement élues. D’autres parties prenantes se sont montrées plus réservées, estimant que le Haut Conseil devait obtenir des résultats concrets dans un délai précis. Le 30 janvier, le Bureau de suivi de l’accord de Montana et un groupe de huit organisations politiques, dont le Parti haïtien Tèt Kale (ancien parti au pouvoir) et le groupe d’opposition Pitit Desalin, ont publié une déclaration dans laquelle ils ont exprimé leur désaccord avec le processus, appelant au départ du Premier Ministre Ariel Henry et à de nouvelles négociations en vue de la signature d’un accord plus inclusif.
6. À l’issue des discussions organisées le 8 février, le Conseil des ministres a annoncé que le Haut Conseil de transition organiserait un forum sur la sécurité nationale auquel participeraient des représentants de tous les secteurs concernés, y compris les parties non signataires de l’accord du 21 décembre, afin de dégager un consensus plus large sur les mesures à prendre pour lutter contre l’insécurité. Dans une lettre adressée le 15 février à l’Équipe indépendante de facilitation, le Haut Conseil de transition a sollicité la mise en place d’une assistance technique, notamment la création d’un secrétariat.
7. Le 17 février, un groupe de signataires de l’accord du 21 décembre, notamment composé d’un groupe d’anciens signataires de l’accord de Montana et de la coalition politique connue sous le nom de « compromis historique », a annoncé la création d’un comité de suivi chargé de plaider en faveur d’une mise en oeuvre rapide de l’accord et a relancé les efforts visant à élargir le consensus. Le 28 février, des représentants du parti politique Fanmi Lavalas ont publié une déclaration dans laquelle ils ont fait valoir que la sécurité nationale devait servir de point de départ au dialogue destiné à élargir ledit consensus.
8. Le 18 février, l’Équipe indépendante de facilitation a entamé des consultations avec le Haut Conseil de transition, le BINUH, l’Organisation des États américains (OEA) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en vue d’évaluer les ressources techniques et financières nécessaires à la mise en place d’un secrétariat du Haut Conseil. Pour mener une telle évaluation, des spécialistes du financement devraient travailler à l’organisation de consultations multipartites sur la sécurité et à la convocation d’une table ronde visant à élargir le consensus autour de l’accord du 21 décembre. Le BINUH se concerte actuellement avec le PNUD et d’autres partenaires sur les différentes manières d’apporter un tel soutien.
9. Plusieurs partenaires internationaux ont salué l’installation du Haut Conseil de transition, qu’ils ont considérée comme une étape déterminante sur la voie du rétablissement de l’ordre démocratique et de l’amélioration de la sécurité. Le 10 février, le Conseil permanent de l’OEA a adopté une résolution dans laquelle il a encouragé la mise en oeuvre de l’accord du 21 décembre et a demandé au Haut Conseil de transition de coordonner un dialogue politique visant à élargir le consensus et à faire en sorte que l’accord soit aussi inclusif que possible. Les chefs de gouvernement présents à la quarante-quatrième réunion ordinaire de la Conférence des chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) ont qualifié l’accord de pas en avant, mais ont insisté sur la nécessité de le rendre plus inclusif. Ils ont également manifesté leur volonté de mettre en place des partenariats internationaux pour soutenir le retour à la paix et à la stabilité en Haïti, qui sont les conditions sine qua non de la tenue d’élections libres, équitables et crédibles.
10. Compte tenu du vide constitutionnel actuel et de l’absence de quorum, qui empêche la Cour de cassation de fonctionner, les consultations entre le Gouvernement, le Haut Conseil de transition et le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire ont abouti à la nomination, le 26 février, de huit juges appelés à occuper les postes vacants. Les nouveaux juges, parmi lesquels figurent trois femmes, ont prêté serment lors d’une cérémonie qui s’est tenue à Port-au-Prince le 7 mars. Bien que la décision ait suscité des critiques, trois associations de magistrats et d’autres acteurs du secteur judicaire ont salué la nomination des juges, qu’elles ont considérée comme une mesure nécessaire pour faciliter l’administration de la justice. Plusieurs personnalités politiques ont affirmé que la procédure ad hoc adoptée aux fins de la nomination des juges enfreignait l’article 175 de la Constitution haïtienne telle que modifiée en 1987, laquelle conférait au Président ou à la Présidente le pouvoir de nommer les magistrats de la Cour à partir d’une liste de trois candidats par siège soumise par le Sénat.
11. La nomination des nouveaux conseillers électoraux, prévue par l’accord du 21 décembre, n’a pas encore eu lieu. Dans le même temps, le BINUH et le PNUD ont continué d’appuyer le renforcement des capacités du secrétariat du Conseil électoral provisoire. En outre, des discussions sur les stratégies de prévention de la violence électorale ont été organisées entre les représentants des institutions électorales et locales, de la société civile, du secteur privé, des groupes religieux, des médias et du secteur culturel, dans les départements du Sud-Est, du Centre et de l’Artibonite. Le Ministère des finances a ordonné le paiement de plusieurs mois d’arriérés de salaires au personnel chargé des élections, ce qui a permis de relancer les activités électorales essentielles, notamment la mise à jour des listes électorales. Dans le même temps, l’Office national d’identification a fait état d’une augmentation significative des nouvelles inscriptions de citoyens depuis le début du mois de janvier, avec 2 000 inscriptions par jour. Au 6 avril, quelque 5 356 000 personnes en âge de voter étaient inscrites sur les listes, dont 2 788 000 femmes.
12. Au début du mois de février, le Diagnostic and Development Group, (organisation de la société civile) et l’Alliance pour la gestion des risques et la continuité des activités (groupe du secteur privé) ont présenté les résultats d’une enquête sur la situation en matière de sécurité, effectuée à partir d’entretiens menés auprès de plus de 1 300 personnes (dont 45 % de femmes). D’après les résultats, 79 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables à la mise en place d’une force armée internationale chargée d’aider la police nationale et 80 % se sont prononcées en faveur de la mobilisation de l’armée nationale pour soutenir la police dans la lutte contre les bandes.
13. Les dirigeants politiques haïtiens ont continué à plaider en faveur du déploiement immédiat d’une force armée spécialisée internationale. Le Premier Ministre et le Ministre des affaires étrangères et des cultes ont réitéré leur demande à l’occasion d’une séance du Conseil permanent de l’OEA, le 18 janvier, et du septième Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), organisé en Argentine le 24 janvier. Le même jour, ces derniers ont publié une déclaration à Buenos Aires, dans laquelle ils ont encouragé les États membres à étudier la possibilité de participer à la force spécialisée multinationale demandée par Haïti. Lors de la quarante-quatrième réunion ordinaire de la Conférence des chefs de gouvernement de la CARICOM, le Premier Ministre a souligné combien il importait que la Police nationale d’Haïti bénéficie d’un soutien armé international pour établir des conditions de sécurité propices à la tenue d’élections libres, transparentes et crédibles.
14. Le 27 février, une délégation de haut niveau de la CARICOM s’est rendue en Haïti pour évaluer la situation sur le terrain et tenir des consultations sur la situation politique et les conditions de sécurité. Elle a rencontré des représentants du Gouvernement et du Haut Conseil de transition, des responsables de la police et des représentants de groupes politiques, de la société civile, d’organisations de défense des droits humains et du secteur privé afin de recueillir leurs avis aux fins de la mise en place de solutions proposées par les Haïtiens et les Haïtiennes et de témoigner la solidarité de la CARICOM. À l’issue des réunions organisées avec la délégation, deux groupes haïtiens de la société civile ont publié des déclarations dans lesquelles ils ont exhorté les pays de la région à aider la police dans sa lutte contre les bandes et réitéré leur appel en faveur du déploiement de forces internationales.
15. Le 5 mars, les chefs de gouvernement de la CARICOM ont publié une déclaration par laquelle ils ont indiqué leur intention d’organiser une réunion de suivi avec les parties prenantes haïtiennes et réaffirmé leur volonté de soutenir la Police nationale d’Haïti, notamment sous la forme d’activités de formation. En outre, le 15 mars, un groupe de travail du Conseil permanent de l’OEA sur Haïti a tenu une session avec les États membres et les observateurs permanents de l’organisation, le Gouvernement haïtien, le Haut Conseil de transition, l’Organisation des Nations Unies et d’autres parties prenantes afin de définir les domaines prioritaires concernant l’assistance en matière de sécurité. Au cours de la session, le Ministre des affaires étrangères et des cultes haïtien s’est fait l’écho de la demande du Gouvernement au sujet du déploiement d’une force spécialisée internationale chargée d’aider la police. Lors d’une visite au quartier général des forces armées haïtiennes à Port-au-Prince, le Premier Ministre a appelé à la mobilisation de toutes les forces de sécurité nationales, y compris l’armée nationale, afin d’aider la police à lutter contre la recrudescence des actes de violence perpétrés par les bandes.