Des camions transportant des soldats sillonnent les rues presque désertes de Conakry, une ville en suspens qui aujourd'hui se souvient de la prise de pouvoir, le 23 décembre 2008, des militaires du capitaine Moussa Dadis Camara. La junte a décrété la journée d'aujourd'hui fériée, les magasins sont fermés et les rues du centre tranquilles. En théorie les partis et les mouvements d'opposition ne devraient pas tenir de manifestations, interdites depuis la semaine dernière et donc illégales. Comé Traoré, Secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale, dit à la MISNA que les Guinéens sont inquiets pour leur futur. "L'attention est surtout portée aux conditions de santé de Camara, transféré au Maroc au début du mois de décembre, après avoir subi une tentative d'assassinat" poursuit M. Traoré. Les derniers jours ont été caractérisés par des rumeurs contradictoires sur le possible retour du capitaine, selon certains en fin de vie, selon d'autres prêt à reprendre les fonctions de chef d'état. Les tensions ont été ultérieurement accrues par la publication d'un rapport des Nations Unies qui, sur la base d'environ 700 témoignages, accuse la junte de "crimes contre l'humanité" pour la répression d'une manifestation pacifique le 28 septembre. La France, ex-puissance coloniale encore influente dans de nombreux pays d'Afrique de l'ouest, a soutenu hier par le biais du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner qu'un retour de Camara "pourrait déchaîner une guerre civile". Des paroles qui pourraient être interprétées également comme une conséquence indirecte des politiques menées par la junte, qui ont remis en discussion d'importants contrats dans un pays riche en ressources minières et en mesure d'attirer de gros capitaux étrangers. Mais de tels propos risquent aussi d'alimenter la peur et l'incertitude de la population. "Les gens ne se fient pas des déclarations officielles: nombreux sont ceux qui sont convaincus que l'annonce de la mort du dernier président, Lansana Conté, intervint plusieurs jours après son décès", disent des sources de la MISNA à Conakry. Les militaires de Camara prirent le pouvoir quelques heures après la nouvelle de la mort de Conté, un général qui a dirigé le pays pendant 24 ans. Malgré quelques mesures économiques accueillies favorablement par la population, comme la nouvelle règlementation des prix de nombreux biens de première nécessité, les conditions de vie à Conakry restent difficiles et la vie chère est une menace constante. La Guinée est le majeur exportateur mondial de bauxite, mais l'Indice de développement humain de l'Onu range le pays à la 170ème place d'un classement mondial tenant compte de 182 pays. Selon une étude du Programme alimentaire mondial, environ 6,4% d'1,6 million d'habitants à Conakry souffre de malnutrition. Hier soir, dans un discours retransmis à la télévision publique, un membre de la junte a reconnu que l'anniversaire de la prise de pouvoir est célébré dans un "contexte économique et social difficile". Sur le front politique la situation demeure bloquée: la proposition de la Communauté économique des pays d'Afrique occidentale (Ecowas/Cedeao) de constituer un exécutif "d'unité nationale" en vue de nouvelles élections l'an prochain a été rejetée par les principales forces d'opposition qui demandent le retour au pouvoir immédiat des civils.