Dans quelles conditions les réfugiés
arrivent-ils en Géorgie ?
Lorsque les Russes ont annoncé leur
volonté de "conquérir la Tchétchénie dans son ensemble", il existait
deux voies de sortie possibles pour les habitants de Grozny et des environs
: la première est la route vers l'Ingouchetie, en direction de Nazran.
Mais la voie ingouche présente beaucoup d'inconvénients : elle a été fermée
à plusieurs reprises et bombardée par les forces russes. De plus, l'Ingouchétie
fait partie intégrante de la Fédération de Russie. De très nombreux hommes
craignent de se faire arrêter s'ils empruntent cette voie. La seule possibilité
pour eux et leur famille est de fuir vers la Géorgie, par la seule voie
praticable par des femmes, des enfants et des vieillards, c'est-à-dire
en passant par l'étroite vallée de l'Argoun en direction de Chattili, une
petite ville de l'autre côté de la frontière géorgienne. La voie géorgienne
représentait ainsi le dernier espoir pour les habitants du sud de la Tchétchénie,
prisonniers des bombardements russes.
Ainsi, depuis le début de l'offensive russe, à l'automne dernier, près de 5000 Tchétchènes sont " officiellement " entrés en Géorgie par ce chemin, plus 3000 à 4000 " inofficiels ". Cette route a été régulièrement empruntée par les Tchétchènes jusqu'au 17 décembre, date à laquelle les Russes ont massivement bombardé la zone et parachuté 300 soldats à proximité de la frontière pour fermer tout accès en Géorgie. Mais depuis début décembre déjà, le nombre de réfugiés qui empruntait ce chemin a commencé à diminuer, car les autorité géorgiennes ont décidé de fermer la frontière. Ainsi, entre le début du mois et le 17 décembre, le passage de réfugiés s'est effectué au compte-gouttes.
A partir du 11 décembre, le HCR a commencé à évacuer les derniers réfugiés passant cette frontière vers le village de Chattili. Jusqu'au début des bombardements russes sur la zone, 1200 personnes ont pu ainsi être transférées par hélicoptère, vers Zhinvali en Géorgie, au moment o=F9 les routes devenaient impraticables à cause de l'enneigement. L'ultime évacuation a eu lieu le 21 décembre et a concerné 120 personnes. Ces derniers réfugiés étaient arrivés entre le 12 et le 13 du mois, mais les Géorgiens leur ont refusé le passage. Certains sont repartis en Tchétchénie, notamment vers Itum Kale. D'autres sont restés sur place, sans abris et sans ressources. Ils ont dû passer ces 5 jours et 5 nuits dehors, à quelques centaines de mètres seulement de la frontière. Le 17, les gardes frontières ont laissé passer les femmes et les enfants, et les hommes le lendemain. Pendant cette période, deux nourrissons seraient morts de froid : le poste frontière est situé à très haute altitude et, trois mois par an, est complètement isolé du reste du monde à cause de l'enneigement. Le village de Chatilli, par exemple est uniquement ravitaillé par hélicoptère pendant cette période. Les 120 réfugiés qui sont restés bloqués 5 jours ont ainsi vécu dans des conditions d'extrême dénuement, coincés entre la frontière et le pilonnage de la zone par l'armée russe.
Comment sont accueillis les réfugiés arrivant en Géorgie ?
En tout, 6000 réfugiés sont actuellement présents dans cette région, en comptant les 1200 évacués par le HCR. Certains réfugiés ont passé la frontière par leurs propres moyens. La traversée leur était ensuite facturée par les gardes frontières géorgiens entre 100 et 300 US $, une fortune pour la plupart d'entre eux. Ceux qui n'avaient pas de voiture prenaient un taxi, soit 150 US $ par famille, pour descendre la petite route en lacet vers Tbilissi sur une dizaine de kilomètres, le chemin étant complètement impraticable à pied pendant l'hiver. De là, ils pouvaient prendre un bus. La plupart des réfugiés se sont rendus dans la région d'Akhmeta, à environ 4 heures de route, principalement dans les villages de Duisi et Djokhalo, habités par les " Kistines ", une importante communauté géorgienne d'origine tchétchène.
Pour revenir sur les 120 réfugiés qui sont restés bloqués à la frontière, ils ont d'abord été emmenés à Kasbegi, à quelques kilomètres de l'Ossétie du Nord (qui fait partie de la fédération de Russie). Certains souhaitaient se rendre en Ingouchie, et d'autres - 71 personnes exactement - dans la région d'Ahmeta. Il a fallu deux jours de négociations avec les autorités pour permettre à ceux qui le souhaitaient de se rendre en Géorgie. Ces 120 derniers réfugiés avaient valeur de symbole pour les autorités géorgiennes qui ne voulaient plus du tout accueillir de Tchétchènes sur leur territoire.
Comment expliquer l'attitude de la Géorgie ?
La Géorgie ne souhaite pas recevoir plus de réfugiés tchétchènes, car le pays est confronté à une situation intérieure difficile, tant du point économique, politique que militaire. Aujourd'hui, 35 à 40% du territoire géorgien n'est pas du tout contrôlé par l'autorité centrale. Les Abkhazes, lors de la guerre contre la Géorgie en 93-94, ont été soutenus par des combattants tchétchènes. 300 000 Géorgiens ont dû alors quitter l'Abkhasie et ne sont toujours pas installés correctement. Les autorités géorgiennes doivent donc prendre en compte le mécontentement de cette population, qui voit d'un très mauvais oeil le fait de " privilégier " l'accueil de ces réfugiés tchétchènes. De plus, la Fédération de Russie, qui considère la Géorgie comme un pays " tampon ", une sorte de frontière naturelle autour de la Russie, exerce de fortes pressions sur les autorités géorgiennes.
Ces diverses raisons expliquent la fermeture de la frontière début décembre dernier. Mais le Ministre des Réfugiés nous a confirmé qu'il était prêt à la réouvrir si des pays tiers acceptaient d'accueillir des réfugiés.
O=F9 travaillent aujourd'hui les équipes MSF ?
Les équipes MSF et le CICR ont travaillé à Zhinvali au moment du transfert des réfugiés effectué par le HCR. Un poste de santé a été installé par MSF pour dispenser les premiers soins pour tous les réfugiés ayant passé la frontière. Les personnes nécessitant une hospitalisation ont été référées à Tbilissi. Nos équipes ont également distribué du BP5 de manière systématique à tous les enfants.
Dans la région d'Ahmeta, les réfugiés sont accueillis dans des familles, ou sont installés par les autorités dans des centres collectifs désaffectés (écoles, etc.) o=F9 ils vivent dans des conditions très précaires. Tous sont obsédés par un retour chez eux après la fin de la guerre. Mais tous nous disent également que, aujourd'hui encore, des milliers de personnes veulent quitter la Tchétchénie. Que les bombardements, massifs et indiscriminés qui pilonnent le territoire sont d'une extrême violence, car les moyens utilisés, notamment les missiles sol-sol qui sont des armes particulièrement destructrices, provoquent des pertes considérables parmi les civils. Ils ont également une autre obsession. Tous nous disent : " transmettez au monde que nous ne sommes pas des terroristes ". La propagande russe à l'égard du peuple tchétchène leur est tout aussi insupportable et ressentie comme une blessure collective.
L'équipe MSF travaille également dans la région d'Ahmeta, auprès des réfugiés. Il s'agit surtout d'une présence médicale pour appuyer les deux seules femmes médecins géorgiens présent dans les villages o=F9 sont regroupés les réfugiés. Ils souffrent généralement d'infections respiratoires, de diarrhées, de problèmes de peau, mais également de traumatismes psychologiques : trois mois de bombardements intensifs et indiscriminés ne peuvent que laisser de profondes traces.
Pourquoi MSF n'intervient pas directement en Tchétchénie ?
MSF a décidé de ne pas travailler en Tchétchénie pour des raisons de sécurité : nous étions présents dans la zone pendant la première guerre de Tchétchénie. Mais nous avons suspendu toutes nos activités en juillet 1997, suite à l'enlèvement de Christophe André, l'un de nos administrateurs, dans cette région.