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DR Congo

Volker Türk, Haut-Commissaire : Mise à jour concernant la situation dans les provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu en République démocratique du Congo

Prononcé par Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Lieu Genève

Monsieur le Vice-Président, Excellences, distingués délégués,

Je suis préoccupé par la situation en République démocratique du Congo depuis des années. C’est un sentiment partagé par presque tous mes prédécesseurs. Aujourd’hui, la situation est encore plus grave et alarmante. Toutes les parties au conflit dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont commis des violations ou atteintes aux droits humains, ainsi que des violations du droit international humanitaire.

Ce sont les conclusions préliminaires de la Mission d’établissement des faits que le Conseil a confié à mon Bureau il y a quatre mois, et qui s’est concentrée sur la période depuis janvier 2025. Je présenterai mon rapport à ce Conseil ainsi qu’à l’Assemblée générale en septembre.

Pour l’instant, les enquêtes et analyses menées par la Mission démontrent une apparente absence totale de considération pour la protection des civils pendant et après les opérations militaires.

Le M23, soutenu par le Rwanda, a utilisé des armes lourdes lors de son offensive sur Goma en janvier, frappant des quartiers densément peuplés et des camps de personnes déplacées.

Quand les forces armées de la RDC se sont repliées, il y a eu un effondrement total de la chaine de commandement, de contrôle et de discipline militaire. Des soldats congolais, et des membres des milices Wazalendo soutenues par la RDC, ont tué, violé et pillé.

Mon Bureau est en train d’enquêter sur d’autres violations présumées du droit international humanitaire, et beaucoup d’entre elles pourraient constituer des crimes de guerre.

Après avoir pris le contrôle de villes et villages, le M23 a arrêté arbitrairement des policiers et de nombreux civils, y compris des enfants. Des combattants du M23 ont aussi capturé des soldats des FARDC et forcé certains d’entre eux à rejoindre leurs rangs.

Des témoins ont raconté à mon équipe que les personnes capturées étaient - et restent encore - détenues dans des conditions inhumaines dans des camps militaires comme celui de Rumangabo, ou dans des lieux de détention informels. Beaucoup d’entre elles ont été recrutées de force par le M23.

Le M23 a procédé à des exécutions sommaires et extrajudiciaires, en violation manifeste des droits humains et du droit international humanitaire, et qui pourraient être qualifiées de crimes de guerre. La Mission d’établissement des faits enquête aussi sur des exécutions sommaires présumées commises par des membres des FARDC et des milices Wazalendo.

Le M23 a utilisé la torture et d’autres formes de mauvais traitements pour imposer de l’ordre, forcer des personnes à travailler, réprimer toute opposition, et extraire des informations.

La Mission a aussi reçu des informations indiquant que des milices Wazalendo auraient arrêté arbitrairement et enlevé des personnes pour extorquer de l’argent, et qu’elles auraient imposé des punitions sommaires dans les zones qu’elles contrôlent.

La Mission enquête également sur des allégations d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées par les services de renseignements militaires des FARDC de personnes soupçonnées de soutenir le M23.

Distingués délégués,

La Mission a reçu des informations sur l’usage choquant de la violence sexuelle par toutes les parties au conflit dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Ces violences auraient été utilisées comme une forme de représailles contre certaines communautés, contre les proches des opposants présumés, et contre des membres d’autres groupes ethniques.

Près de 40 % des survivants des violences sexuelles et basées sur le genre sont des enfants. D’après l’UNICEF, au plus fort du conflit, un enfant était violé toutes les 30 minutes.

Ces victimes et survivants ont un accès limité - voire inexistant - aux soins et aux kits de prophylaxie post-exposition car les parties au conflit ont détruit des centres de santé d’une manière répandue et les bailleurs de fonds internationaux ont réduit le financement humanitaire international.

Mon Bureau enquête aussi sur des allégations de recrutement d’enfants, notamment d’adolescents, par le M23 et plusieurs milices Wazalendo en vue de les utiliser dans le conflit armé.

Distingués délégués,

Des centaines de milliers de personnes déplacées subissent les conséquences les plus graves des combats dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Environ un million de personnes ont été forcées de fuir leur domicile, ou de se déplacer d’un site temporaire à un autre.

Beaucoup de personnes déplacées ont raconté que des combattants du M23 les avaient obligées à démonter leurs abris et à quitter les lieux. À Goma, début février, on leur a donné seulement trois jours pour retourner dans leurs villages d’origine, où beaucoup ont retrouvé leurs maisons détruites ou occupées.

En mars 2025, mon équipe a constaté que beaucoup de personnes déplacées, y compris celles qu’on a forcées à retourner dans leurs villages au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, avaient de grandes difficultés à se nourrir et à accéder aux soins de base. Les combats ont causé de lourds dégâts aux écoles, aux hôpitaux, et aux systèmes qui alimentent l’arrivée de l’eau, dans Masisi et Rutshuru, par exemple.

Les violences dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont réduit l’espace d’action pour les défenseurs des droits humains, la société civile et les médias.

Mon Bureau enquête sur des allégations de menaces de mort, de détention et d’autres représailles contre des défenseurs des droits humains, des journalistes et des membres de la société civile qui sont perçus comme critiques du M23. Ceci inclus des allégations de meurtres d’au moins deux défenseurs des droits humains et de menaces contre des défenseurs des droits humains qui soutiennent les survivantes de violences sexuelles et basées sur le genre.

Les autorités de la RDC ont suspendu l’accréditation de certains journalistes, et menacé de poursuites judiciaires ceux dont les reportages sont jugés trop favorables au M23 et aux forces rwandaises.

Le personnel de santé et humanitaire est aussi menacé, intimidé, et subi des violences. Avec les importantes coupures au financement humanitaire international, cela risque la transmission de maladies évitables, comme la poliomyélite et la rougeole, bien au-delà des frontières de la RDC.

Un exemple est particulièrement choquant : dans la nuit du 28 février, des combattants du M23 ont attaqué deux hôpitaux à Goma – l’hôpital de Ndosho et l’hôpital Heal Africa. D’après les informations reçues, ils auraient tiré à l’intérieur des bâtiments et enlevé 121 patients, les accusant d’être des soldats congolais ou des membres des milices Wazalendo. La plupart de ces personnes restent introuvables à ce jour.

Distingués délégués,

La Mission documente des violations et atteintes aux droits humains d’une ampleur et étendue effroyables. Il est très préoccupant que les affrontements continuent, sans répit, dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu.

J’appelle toutes les parties au conflit à s’engager immédiatement en faveur d’un cessez-le-feu et à reprendre les négociations, et de respecter le droit international humanitaire et les droits humains.

Je renouvelle mon appel au Rwanda à retirer ses troupes du territoire de la RDC et à cesser tout soutien au M23.

J’appelle aussi tous les États qui ont une influence sur les parties au conflit à encourager le respect du droit international.

Je les exhorte à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour répondre à cette grave crise dans cette région, et à soutenir les efforts de médiation pour trouver une solution durable, notamment en traitant les causes profondes de cette instabilité.

La Mission d’établissement des faits a recueilli et analysé une grande quantité de preuves, auprès de victimes et de témoins en RDC, au Rwanda, au Burundi, dans d’autres pays, ainsi qu’auprès de partenaires des Nations Unies et de la société civile. Ces éléments pourront servir à appuyer les mécanismes de justice.

Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui, à cause de la situation financière, la Mission a pu fonctionner uniquement grâce aux fonds de réserve de mon Bureau.

En l’état actuel, Il est peu probable que la Commission d’enquête mandatée par ce Conseil bénéficie d’un financement issu du budget ordinaire cette année.

Nous ferons tout notre possible pour accéder aux fonds du budget ordinaire en 2026 afin de garantir la mise en place de la Commission.

Je vous demande de maintenir votre soutien politique et financier au travail de mon Bureau en République démocratique du Congo.

Merci.