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DR Congo

Vers une action concertée en RDC

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Les manœuvres dilatoires du président Kabila paralysent la transition politique de la République démocratique du Congo alors que les dissensions internes et la répression gouvernementale affaiblissent l’opposition. Face à une crise de plus en plus grave, les acteurs occidentaux et africains doivent coordonner leur approche, soutenir les efforts déployés en vue de mener des élections démocratiques et encourager l’ouverture de l’espace politique.

Que se passe-t-il ?  L’apparente détermination du président Joseph Kabila à rester au pouvoir risque de prolonger la situation d’impasse dans laquelle se trouve la République démocratique du Congo (RDC). Le régime a détourné l’accord de la Saint-Sylvestre de décembre 2016 qui prévoyait un processus électoral ; il gagne en confiance tandis que l’opposition s’affaiblit et devient plus divisée.

En quoi ces évènements sont-ils significatifs ?  La RDC est déjà le pays qui traverse la plus grave crise humanitaire du monde. La violence s’est accrue dans plusieurs provinces et le risque d’une escalade de la violence est élevé. Un éclatement rapide de la violence pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la stabilité du pays et de la région.

Comment agir ?  Les puissances occidentales et régionales doivent redoubler d’efforts pour promouvoir une transition pacifique. Le calendrier électoral annoncé récemment est l’occasion pour la communauté internationale de renouveler son engagement, de préférence conformément aux principes de l’accord de la Saint-Sylvestre. L’opposition congolaise et la société civile devraient participer à ce processus politique et non le boycotter.

Synthèse

La République démocratique du Congo (RDC) est toujours dans une impasse politique et les violences se sont multipliées dans plusieurs provinces au cours de l’année 2017. Pourtant, le régime du président Joseph Kabila semble déterminé à rester au pouvoir en reportant les élections. Il a déjoué les stratégies de l’opposition et des acteurs internationaux. Ce blocage peut s’avérer très dangereux pour la stabilité du pays et de la région ; plus la crise se prolonge plus il sera difficile de sauver la situation. Pour minimiser ces risques, les puissances occidentales et africaines doivent vaincre leur inertie et dégager un consensus sur les moyens de faire pression sur Joseph Kabila. Dans ce sens, il pourrait être utile de revoir les mécanismes de coordination internationale pour la RDC. Une approche occidentale et africaine conjointe devrait se concentrer sur le suivi des préparatifs basés sur le calendrier électoral publié récemment et contribuer à ouvrir l’espace public et à faire régner la confiance nécessaire au déroulement crédible et pacifique du vote et au maintien de la stabilité après le scrutin.

Depuis la signature le 31 décembre 2016 de l’accord de la Saint-Sylvestre, qui stipulait que les élections devaient avoir lieu en 2017 et que le président Kabila devait quitter le pouvoir, le régime s’est retranché dans ses positions et a usé l’opposition jusqu’à l’affaiblir complètement. Faisant fi de l’accord, le régime de Kabila contrôle le gouvernement et le conseil national de suivi de l’accord, ainsi que la commission électorale. Il n’a pas de stratégie à long terme pour assurer son maintien au pouvoir, il n’en a pas besoin. Le contrôle qu’il exerce sur les finances de l’Etat et les principales institutions, la faiblesse de l’opposition après la mort de son chef de file historique, Etienne Tshisekedi, et la perte d’intérêt de la communauté internationale lui ont permis de contourner la mise en œuvre de l’accord.

Le Rassemblement, principale coalition de l’opposition, est resté relativement cohérent, mais il est faible et a perdu son attrait auprès d’une population nerveuse. Il demande la mise en place d’un gouvernement de transition sans Kabila pour la fin de 2017, ce qui n’a aucune chance de se produire. La faiblesse de l’opposition et les méthodes répressives du régime ont ouvert la voie aux groupes armés. Insurrections, évasions massives des prisons, réactions féroces ou maladroites des forces de sécurité se sont intensifiées en 2017. Certains éléments laissent penser que les groupes armés tentent de coordonner leurs positions, ce qui pourrait menacer la stabilité de la région. Au moins dix provinces sont désormais en prise avec les conflits armés, ce qui donne lieu à la crise humanitaire la plus complexe et la plus problématique du monde. Les pays voisins, en particulier l’Angola et la République du Congo, s’inquiètent à la perspective de voir arriver une nouvelle vague de réfugiés sur leur territoire. C’est un cercle vicieux : à mesure que le gouvernement perd le contrôle du pouvoir, il recourt à des méthodes fortes, au mépris de l’état de droit, et se sert ensuite de l’instabilité qui en découle pour justifier le report des élections, ce qui met de l’huile sur le feu.

La commission électorale, après des mois de retard, a finalement publié son calendrier électoral, prévoyant l’élection présidentielle le 23 décembre 2018, un an après la date fixée dans l’accord de la Saint-Sylvestre. Le gouvernement a les coudées franches et risque de faire trainer encore davantage les préparatifs électoraux. La faible participation des acteurs internationaux s’explique, d’une part, par leur sentiment de frustration au vu de l’intransigeance des parties, et, d’autre part, par leurs propres désaccords concernant les moyens de faire pression sur le gouvernement. De nombreuses puissances occidentales sont devenues plus critiques vis-à-vis du régime et l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis ont déjà imposé des sanctions à une vingtaine de représentants congolais. Les chefs d’Etat africains, en revanche, ont laissé le gouvernement violer l’esprit et la lettre de l’accord de la Saint-Sylvestre et tendent à considérer que les sanctions occidentales sont inopérantes. Bien que ni les acteurs occidentaux ni les acteurs africains ne parlent d’une même voix, les divisions profondes qui les séparent permettent au gouvernement de choisir les interlocuteurs et les avis qui l’arrangent et de taxer les pressions internationales de néo-colonialistes. Le nombre considérable d’acteurs en présence, dont une multitude d’organisations régionales, rendent la situation d’autant plus problématique.

Les puissances occidentales et africaines doivent commencer par affirmer que le président Kabila conduit le pays vers une grave situation d’instabilité, malgré l’incertitude qu’une transition pourrait générer. Même si nombreux sont ceux qui estiment qu’il est très peu probable que le régime actuel abandonne le pouvoir, il reste essentiel de faire avancer les préparatifs électoraux et de faire en sorte que les élections aient lieu et que la scène politique reste ouverte. Tous les acteurs internationaux ont intérêt à ce que le président Kabila respecte les principes fondamentaux de l’accord de la Saint-Sylvestre qui restent la meilleure garantie d’une sortie de crise, à savoir l’organisation effective d’élections, le refus d’un amendement de la constitution qui permettrait au président Kabila de rester au pouvoir, l’ouverture de l’espace politique et le respect des droits de l’homme.

En privé, les dirigeants africains reconnaissent les dangers existants, mais il est plus difficile de vaincre les forces d’inertie. Kabila jouit ainsi d’un soutien public constant sur le continent qui donne à son régime une grande marge de manœuvre. Les puissances occidentales devraient redoubler d’efforts pour dépasser les différends avec leurs homologues africains, entendre leurs préoccupations et, pour l’heure, éviter d’imposer de nouvelles sanctions. Même unies, les puissances occidentales et régionales ne parviendront pas aisément à pousser Kabila vers la transition et à sortir la RDC de la situation actuelle. Si elles sont divisées, les chances d’y parvenir deviennent infimes.

Pour que la diplomatie régionale et internationale connaisse un nouvel élan en RDC, il faudrait créer un groupe composé de quelques représentants d’institutions déjà engagées dans l’appui du processus électoral (Union africaine, Nations unies, Francophonie, UE et Communauté de développement de l’Afrique australe) et de préférence en présence des Etats-Unis. Idéalement, la diplomatie africaine et occidentale devrait se réunir autour d’un consensus pour promouvoir les points suivants :

Respect d’un calendrier électoral et d’un budget transparent. La publication récente d’un calendrier électoral réaliste, qui donne à l’opposition le temps de s’organiser avant le vote, est une occasion de s’engager activement dans le processus électoral. Les acteurs internationaux impliqués dans la préparation des élections, y compris l’ONU, les groupes régionaux et l’UE, devraient surveiller que le calendrier est respecté et dénoncer les reports injustifiés. Le gouvernement et la commission électorale (CENI) devraient en priorité clarifier et détailler le financement de ces élections. La CENI devrait également indiquer rapidement ce que représente, d’un point de vue financier et opérationnel, le vote semi-électronique qu’elle a proposé. Chaque proposition devra comprendre une évaluation approfondie et ouverte de ses répercussions sur le calendrier électoral. Le parlement doit très rapidement adopter la législation électorale correspondante. La législation électorale, tout comme d’autres initiatives juridiques, devra éviter de restreindre l’activité politique.

Mise en œuvre des mesures de renforcement de la confiance discutées au préalable. Le gouvernement devrait établir un processus crédible d’évaluation de la légalité et de la validité des poursuites à l’encontre de plusieurs responsables de l’opposition. Il devrait également autoriser les manifestations politiques pacifiques, l’activité des partis et une couverture médiatique libre. Les acteurs internationaux, y compris les acteurs régionaux, devraient veiller à ce que le gouvernement applique ces mesures. Les initiatives récentes, telles que la restriction de la loi sur la société civile, vont à l’encontre de l’accord de la Saint-Sylvestre et risquent d’entacher la transparence du processus électoral.

Renforcement de l’engagement des partis d’opposition dans ce processus. Plutôt que de boycotter les négociations ou de refuser de participer à des discussions essentielles, comme celles relatives au calendrier électoral, les chefs de l’opposition devraient renforcer leur engagement dans ce processus, y compris en remettant activement en cause la manipulation par le régime de la sphère judiciaire. L’opposition devrait changer de discours et aborder les questions économiques cruciales, prouvant ainsi sa pertinence à des citoyens méfiants. Les dirigeants de l’opposition devraient également préparer les structures et la base de leur parti en vue des prochaines élections.

Enfin, les acteurs internationaux, y compris l’ONU, doivent se préparer à la possibilité d’une détérioration de la situation sur le court terme. Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait analyser attentivement les recommandations de l’examen stratégique de septembre 2017 de la mission des Nations unies, en particulier les points concernant un déploiement plus rapide des forces et la surveillance du respect des droits de l’homme. Le risque d’une escalade de la violence dans les prochains mois est élevé et les acteurs internationaux, y compris les Nations unies, devraient se préparer au mieux aux conséquences d’une telle éventualité.

Nairobi, Bruxelles, 4 décembre 2017