Informing humanitarians worldwide 24/7 — a service provided by UN OCHA

DR Congo

Soutenir la protection communautaire en République démocratique du Congo (RDC)

Attachments

L'escalade de la violence en République démocratique du Congo (RDC) a exacerbé les déplacements et la crise humanitaire dans l'est du pays. Plus de sept millions de personnes déplacées sont confrontées à la violence, à la faim et à de graves violations de la part des parties au conflit. Cependant, au milieu de décennies d'hostilités, les communautés congolaises ont pris des mesures importantes pour se protéger en l'absence de protection de la part des autorités.

Les civils et les groupes communautaires ont développé des mécanismes d'autoprotection qui comprennent la négociation et la médiation des conflits avec les acteurs armés, la formation des femmes et des filles à l'identification et à l'atténuation des risques de protection, et la lutte contre le recrutement d'enfants. Ces efforts ont été menés par les communautés à travers leurs comités de gestion, avec le soutien d'organisations locales et parfois avec le soutien technique et financier d'organisations nationales ou internationales.

La mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO) s'est retirée du Sud-Kivu en avril 2024 et prévoit de se retirer des provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri en fonction de la situation sécuritaire. Cela modifiera considérablement l'environnement de protection, laissant les communautés dans l'incapacité de compter sur la protection physique directe qui a parfois été fournie par la mission.

Il est urgent de mieux comprendre et de soutenir les mécanismes communautaires de protection qui sont cruciaux pour tant de personnes victimes de violences et de déplacements, tant en termes de prévention que de réponse vitale aux personnes touchées. Cela implique que les acteurs humanitaires et les bailleurs comprennent les liens potentiels et la continuité entre les mécanismes communautaires de protection et les représentants communautaires en contact avec la MONUSCO, connus sous le nom d'assistants de liaison communautaires (ALC), et qu'ils intègrent davantage ces efforts communautaires en tant que mécanismes centraux qui font progresser la protection des civils en RDC.

QU'EST-CE QUE LA PROTECTION A BASE COMMUNAUTAIRE?

Dans le cadre de l'action humanitaire, la protection vise à prévenir ou à réduire les dommages causés aux civils et à soutenir la réalisation de leurs droits. Elle met l'accent sur les parties au conflit et les autorités pour qu'elles réduisent les dommages et protègent les droits. Les acteurs de protection interviennent souvent pour apporter un soutien aux communautés touchées lorsque les détenteurs de devoirs ne les protègent pas. Cependant, les capacités indépendantes et uniques des communautés à se protéger elles-mêmes ont souvent été négligées. Cette situation a commencé à changer, car on reconnaît de plus en plus l'importance et le rôle central de la participation et du leadership des communautés dans les efforts de protection.

La protection communautaire se concentre sur le renforcement des capacités et de l'action des communautés touchées par une crise àse protéger elles-mêmes. Cette approche encourage les communautés à s'auto-organiser et à utiliser des stratégies d'autoprotection, en mettant l'accent sur le leadership actif - ou, au minimum, sur la participation - des membres de la communauté dans la conception, la mise en oeuvre et l'évaluation des interventions de protection. Cette approche permet de mettre en place des systèmes de protection à long terme en s'appuyant sur les ressources, les connaissances et les structures locales, tout en veillant à ce que les interventions répondent aux besoins spécifiques des communautés.

Différentes organisations travaillent avec les communautés et leur donnent les moyens d'agir pour atteindre ces objectifs. Elles caractérisent leurs programmes par différentes appellations, dont la protection dirigée par les civils, la protection dirigée par les communautés et la protection civile non armée.

LA PROTECTION COMMUNAUTAIRE EN RDC EN PRATIQUE

Les approches de protection communautaire sont depuis longtemps enracinées dans l'est de la RDC après des décennies d'insécurité. Les communautés congolaises se sont efforcées de créer et de mettre en oeuvre leurs propres stratégies pour se protéger et protéger leurs familles par le biais de diverses initiatives telles que le théâtre participatif, les bureaux d'assistance et les comités communautaires qui servent d'interlocuteurs aux institutions de l'État. Elles ont activement réduit et atténué les risques auxquels elles sont confrontées, mettant en place l'un des moyens les plus durables et les plus efficaces de se protéger face à la violence, à la présence accrue de groupes armés et aux déplacements de population.

Les mécanismes communautaires de protection en RDC prennent de nombreuses formes, chacun avec des noms, des compositions et des objectifs différents. Il s'agit notamment de moniteurs de protection issus de la communauté qui travaillent en collaboration avec les organisations humanitaires pour identifier et signaler les menaces; de groupes de veille communautaires qui alertent les autorités locales sur les incidents de sécurité; et de membres de la communauté, désignés comme « agents de changement », qui diffusent des messages de sensibilisation sur la sécurité et le bien-être.

Certains comités sont composés de chefs locaux, des anciens et de membres influents de la communauté, chargés d'arbitrer les conflits et de promouvoir la réconciliation et la cohésion sociale entre les différents groupes ethniques ou communautaires. D'autres se concentrent sur la protection des enfants contre les abus et l'exploitation, la défense des

droits des femmes, le soutien aux survivants de la violence basée sur le genre (VBG) et l'augmentation de la participation des femmes à la consolidation de la paix. Enfin, certains comités de gestion des crises évaluent les vulnérabilités aux risques liés au climat et élaborent des stratégies pour les atténuer.

Des organisations locales et internationales ont développé et investi dans ces approches qui améliorent l'environnement protecteur. À Uvira, au Sud-Kivu, les réseaux communautaires soutenus par l'organisation locale CEDIER ont négocié avec succès avec les conseils de sécurité locaux et les groupes armés non étatiques pour supprimer les frais administratifs et réduire le nombre de points de contrôle illégaux dans la localité, y compris ceux situés sur le chemin du marché local, qui étaient fréquemment le théâtre de violences et d'abus. Ces mesures ont permis de réduire les violences et les extorsions de fonds à l'encontre des civils aux points de contrôle. À Luhito, des efforts similaires ont été déployés par le conseil de sécurité local, l'armée et la police pour donner la priorité à la protection des civils, en particulier contre les violences sexuelles et les vols de nourriture, ce qui a permis de réduire la fréquence des incursions des groupes armés et la violence en général. Des mesures similaires ont ensuite été appliquées aux villages voisins.

Un autre exemple est la mise en place d'un comité de gestion de crise au niveau communautaire à Malemo qui a été établi par l'organisation locale SOPROP en réponse à un déplacement à grande échelle. Ce comité a élaboré un plan d'intervention afin d'identifier les lieux appropriés pour la réinstallation des personnes déplacées au sein des communautés locales et a facilité la fourniture d'une assistance initiale. En outre, le comité a joué un rôle clé dans la négociation de l'accès aux terres des personnes déplacées avec les chefs coutumiers afin de soutenir les activités agricoles, et a joué un rôle de médiateur dans les conflits liés à la terre, le cas échéant.

Le Cluster Protection en RDC et ses partenaires ont non seulement centré la protection communautaire dans leur stratégie 2024, mais ont également cartographié ces mécanismes dans le Sud-Kivu pour améliorer la coordination, éviter la duplication, et construire une stratégie basée sur les structures communautaires existantes.

ENVIRONNEMENT TRANSITOIRE AVEC LE RETRAIT DE LA MONUSCO

La protection des civils est une priorité stratégique et une composante du mandat de la mission de l'ONU en RDC. Après des décennies de difficultés liées à la prévention et à la réponse à la violence contre les civils, la mission s'est efforcée d'améliorer le lien avec les communautés locales en ce qui concerne leur propre protection.

Au sein de l'unité des affaires civiles de la MONUSCO siègent des assistants de liaison communautaires (ALC), qui sont des membres du personnel national déployés au sein des contingents militaires et qui servent d'interlocuteurs entre les communautés, les autorités locales et la mission. Les ALC ont oeuvré au renforcement des relations en identifiant les risques de protection pour les civils et en mettant en avant les priorités dans les plans de protection des communautés. Ils jouent également un rôle essentiel dans la gestion des systèmes d'alerte précoce (SAP) permettant aux communautés de contacter la MONUSCO à l'aide de téléphones portables ou de radios afin de prévenir, d'atténuer ou de faire cesser les menaces imminentes.

Cependant, la mission s'est retirée du Sud-Kivu en avril 2024 et se retirera du Nord-Kivu et de l'Ituri à l'avenir en fonction de la situation sécuritaire, ce qui remet en question l'avenir des ALC. Dans ce contexte, il existe une série d'efforts d'atténuation des risques de protection nécessaires au maintien et au renforcement de la protection des communautés, qui sont centrés sur le leadership et les capacités des communautés.

Alors que les ALC ont joué un rôle central dans la mise en place du système d'alerte, la question se pose de savoir qui assurera le maintien de la gestion des systèmes d'alertes précoces et à quel organisme les communautés feront part de leurs préoccupations en matière de protection et des violations du droit international humanitaire (DIH). La MONUSCO confie ce système à l'organe de coordination provincial, une branche du ministère congolais de l'Intérieur, car il s'agit de l'entité gouvernementale la plus adéquate à laquelle transférer les outils et les mécanismes de protection des civils. Certains acteurs ont fait part de leur manque de confiance dans cette approche, étant donné que certaines violations sont commises par les autorités nationales, ce qui signifie que les communautés ne pourront pas compter sur elles pour assurer leur protection.'

En outre, il n'existe pas de plan stratégique pour transférer les connaissances, l'expertise et la confiance qui ont été développées entre les ALC et les communautés. Dans le Sud-Kivu, aucun des quelque 3o ALC n'a été maintenu dans la capacité résiduelle après le retrait de la MONUSCO. En outre, le gouvernement de la RDC n'a encore annoncé aucun plan pour absorber les ALC dans les autres provinces. Certains acteurs ont été en mesure d'embaucher des ALC dans le cadre de leurs programmes de protection; cependant, cela s'est produit de manière sporadique en raison du manque de financement et de sensibilisation à la programmation de la protection communautaire et à son impact.

Ainsi, certaines organisations en RDC plaident pour un investissement total dans les communautés afin de renforcer leurs propres mécanismes d'autoprotection dans ce contexte. Divers acteurs forment la société civile et les dirigeants communautaires - des chefs religieux au personnel médical et éducatif - afin de les familiariser avec le droit international humanitaire et les droits de l'homme, ainsi qu'avec la manière de négocier avec les forces armées. Cela permettrait aux communautés de discuter elles-mêmes des principales questions de protection et de négocier directement au lieu de passer par l'ancien système.

D'autres acteurs humanitaires et de consolidation de la paix s'efforcent de renforcer les capacités des communautés tout en collaborant avec les autorités gouvernementales pour garantir l'appropriation et l'intégration des systèmes d'alertes précoces et des plans de protection dans les structures locales. Il est essentiel de renforcer les capacités des responsables gouvernementaux, car la responsabilité première de la protection des civils incombe aux détenteurs d'obligations et les approches de protection à base communautaire ne remplacent pas cette responsabilité. Néanmoins, le monitoring par les tiers et le renforcement des mécanismes communautaires d'autoprotection sont essentiels pour compléter ce système en développement et pour équilibrer les risques réels en matière de protection. En outre, le soutien des mécanismes d'autoprotection empêcherait en même temps la « projection » des systèmes entre les ONG internationales et les agences de l'ONU et garantirait la responsabilité du gouvernement.

Il est donc nécessaire que les bailleurs et les ONG investissent dans des mécanismes communautaires de protection- en particulier avec les acteurs locaux - qui non seulement comblent une lacune dans les systèmes d'alerte et leur rapportage, mais servent également de pont entre les communautés et les autorités locales. En outre, il est nécessaire que la planification autour des retraits de la mission du Nord-Kivu et de l'Ituri prenne en compte la meilleure façon de renforcer les capacités des ALC lors de leur transfert pendant qu'il y a suffisamment de temps, par exemple en assurant la continuité des téléphones pour les alertes précoces de même que les efforts des communautés et en organisant des formations de formateurs avec les membres de la communauté.

RECOMMANDATIONS

Compte tenu du rôle que la protection communautaire a joué en RDC et de la nécessité de soutenir ces initiatives à la suite du retrait de la MONUSCO, les recommandations suivantes décrivent les prochaines étapes:

Membres du Conseil de sécurité:

  • Centrer la protection non armée, communautaire et civile dans le renouvellement du mandat de la MONUSCO en décembre 2024 et reconnaître le rôle que les approches communautaires d'autoprotection jouent dans l'environnement de transition.
  • Demander au personnel de la MONUSCO d'améliorer le renforcement des capacités et la planification de la transition avec les communautés et les partenaires locaux, ainsi que d'entreprendre un suivi de la perception des communautés avec les partenaires, en lien avec les décisions relatives à la planification du retrait.
  • Veiller à ce que les enseignements tirés du Sud-Kivu soient appliqués à la planification du retrait du Nord-Kivu et de l'Ituri et comprennent des mesures et une analyse de l'absence d'ALC et de l'impact que cela a eu sur les communautés et les relations avec les autorités locales.
  • Plaider en faveur de processus transparents, planifiés et inclusifs concernant le transfert des ALC au gouvernement et aux organes communautaires lors des futurs retraits.
  • Encourager les autorités de la RDC à développer un plan d'action national pour la protection des civils qui inclut la reconnaissance, la coordination et le soutien de la protection communautaire.

Les donateurs:

  • Fournir un financement plus direct, plus souple et de meilleure qualité ainsi qu'un renforcement des capacités aux acteurs locaux de protection et aux groupes impliqués dans la protection communautaire par le biais de mécanismes bilatéraux et multilatéraux. Il est important que ces fonds soutiennent et permettent aux acteurs locaux d'investir davantage dans l'établissement de relations et le dialogue avec les responsables, de renforcer la cohabitation pacifique entre les communautés, de faire face aux coûts et aux exigences d'un fonctionnement en toute sécurité dans des environnements à haut risque et de faire progresser le partage des risques dans le cadre de partenariats et d'actions de plaidoyer.
  • Investir dans des outils ou du matériel qui comblent les lacunes dans le fonctionnement des systèmes d'alerte précoce et soutiennent les mesures de sécurité de base, comme les téléphones, les talkies-walkies, les cartes téléphoniques, les générateurs et d'autres articles nécessaires.

MONUSLO:

  • Utiliser l'effet de levier pour inciter le gouvernement de la RDC à présenter un plan systématique de soutien et de transfert des connaissances et des compétences des ALC aux communautés, en plus de l'organe de coordination provincial.
  • Continuer à former le mécanisme de coordination provinciale au DIH, aux droits de l'homme et à la protection des civils, et collaborer avec d'autres organes gouvernementaux pour veiller à ce que la protection communautaire soit au coeur du dialogue et des stratégies de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR).
  • Chercher de manière proactive des solutions aux lacunes logistiques et administratives des systèmes d'alerte précoce dans le Nord-Kivu et l'Ituri, notamment en assurant le financement du transfert des systèmes téléphoniques.
  • Coordonner avec les ONG le placement des anciens ALC dans leurs programmes au Sud-Kivu et avant le retrait pour le Nord-Kivu et l'Ituri.

ONG internationales et agences des Nations Unies:

  • Donner la priorité à des partenariats équitables avec les acteurs locaux qui mènent des programmes de protection basés sur la communauté ou dirigés par la communauté et veiller à ce que le pouvoir de décision revienne aux organisations locales et aux communautés elles-mêmes.
  • Accroître la visibilité et le soutien des actions locales dans les mécanismes et processus de coordination de la protection, y compris les plans de réponse humanitaire (HRP) et les fonds humanitaires.
  • Faciliter les partenariats formels avec les anciens ALC et les ALC existants par le biais de formations, de processus de recrutement ou au sein des mécanismes de coordination afin de soutenir la programmation de la protection au niveau communautaire.
  • Élaborer une stratégie commune pour la gestion des systèmes existants d'alerte précoce et de réponse et des mécanismes communautaires de protection.
  • Mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour empêcher le transfert des risques aux structures communautaires tout en les dotant des compétences nécessaires pour atténuer efficacement les risques.