(New York, 24 janvier 2000)
Q - Monsieur le Ministre, que
pensez-vous des propos du président Museveni quand il a dit que le véritable
problème n'était pas un problème d'occupation territoriale mais le problème
de la reconnaissance du mal fait aux Congolais, qu'il fallait d'abord
admettre qu'il y avait eu deux millions cinq cent mille morts et qu'ensuite
on pouvait parler.
R - Sur la nécessité d'inscrire tout cela dans une perspective historique on est d'accord. Reconnaître les souffrances que les Congolais, les Rwandais, les Ougandais ont connues au cours de cette longue dernière période, personne ne saurait le nier. Il n'empêche qu'aujourd'hui la question qui me parait devoir s'imposer, c'est : comment arrête-t-on le massacre ? Comment rétablissons-nous la paix dans cette région de manière durable, comment organise-t-on le développement de cette région, comment organise-t-on la coexistence d'ethnies différentes, très inégalitaires dans leurs nombres, ce qui pose d'ailleurs des problèmes dès lors qu'on évoque l'alternance démocratique et pourtant il faut bien aussi parler de tradition démocratique dans ces pays.
Et c'est toutes ces questions qui devraient, pour une part, trouver une réponse dans l'accord de Lusaka, je pense au cessez-le-feu en particulier, je pense aussi au dialogue politique inter-congolais qui devrait être mis en place. Mais je crois qu'il faudra - c'est le point de vue de la France en tout cas, qu'une conférence des Grands lacs associant tous les acteurs du conflit, mais aussi des pays qui, au nord, sont susceptibles d'aider au développement de cette région - que cette conférence se réunisse, qui prendrait en compte, je le répète, à la fois les questions de sécurité, de développement, les questions humanitaires, bien sûr, le sort des réfugiés par exemple, mais aussi le désarmement, la réinsertion de tous ces soldats perdus, trop nombreux, avec trop d'armes. Et c'est cette conférence internationale que j'ai essayé de promouvoir, en quelque sorte, au cours des deux tournées que j'ai faites en Afrique, en novembre d'abord et puis il y a une dizaine de jours. Et je crois avoir convaincu mes interlocuteurs de l'utilité d'une telle conférence. J'espère que les Nations unies et l'OUA vont la reprendre à leur compte car c'est, selon nous, la seule manière de prendre en charge globalement l'ensemble de ces problèmes qui en réalité sont à l'origine de ces difficultés.
Q - Vous parlez de cessez-le-feu, mais le président Kabila a dit ce matin qu'il n'y aurait pas de cessez-le-feu tant que les troupes étrangères, notamment le Rwanda et l'Ouganda, occuperaient son pays. Alors il semble qu'il y ait un vrai problème là.
R - Pourtant, dans le discours que nous a tenu le président Kabila ce matin, j'ai trouvé comme une certaine mesure, comme une certaine retenue, comme si le président Kabila voulait éviter que ses propos compromettent l'objectif de cette session spéciale qui est quand même bien de s'assurer que les accords de Lusaka peuvent être mis en oeuvre. J'ai senti que même le président Kabila était sur cette ligne. Bien sûr qu'il continue à rappeler que, selon lui, tout le mal vient des forces étrangères, en particulier ceux qu'il n'a pas invités, mais, je le répète, les propos des uns et des autres, ce matin, me sont apparus finalement assez mesurés, ce qui me rend plutôt optimiste quant à la suite.
Q - J'allais vous demander si vous voyiez une issue positive à cette réunion.
R - Les Accords de Lusaka sont le seul accord consensuel sur lesquels on puisse fonder, et le cessez-le-feu, et le dialogue politique inter-congolais. Je crois qu'on n'a pas le droit, ni eux, ni nous, de gâcher cette chance que représente l'Accord de Lusaka./.