
Je suis parti en septembre dans le territoire de Masisi (Nord Kivu) pour rencontrer des bénéficiaires du programme “Alternative Responses to Communities in Crisis” de l’UNICEF.
Même si je connaissais leur situation sur le papier, au travers des rapports de situation diffusés par les organisations humanitaires, je n’ai vraiment réalisé la gravité de leur situation qu’en écoutant leurs mots.
Pour la plupart, ils étaient des déplacés qui avaient dû fuir les combats entre milices armées; en revenant, ils n’ont rien retrouvé de leurs vies. Ils s’exprimaient avec des mots d’une simplicité déconcertante.
Imaginez : Prendre une décision dont dépend votre vie. Essayer de sauver ce qui peut l’être dans une valise trop petite. Marcher 10 à 20 kilomètres pour trouver un abri incertain.
Vivre dans les conditions les plus difficiles qui soient. Revenir pour ne trouver que des maisons calcinées, des champs ravagés. Ne pas pouvoir répondre à ses besoins essentiels, ne pas pouvoir se vêtir, devoir dépendre de la bonne volonté de ses voisins pour manger et se loger.
Face à ces situations, malheureusement récurrentes en RDC, la réponse de la communauté humanitaire a longtemps consisté à fournir de la nourriture et des biens de première nécessité, qui ne correspondaient pas nécessairement aux besoins et aux attentes des personnes victimes des crises humanitaires.
Avec l’aide de ses partenaires, l’UNICEF tente de développer des alternatives telles que des foires de biens non-alimentaires et une assistance monétaire, afin de rendre de l’autonomie aux bénéficiaires.
Dans le territoire de Masisi, ceux-ci ont ainsi reçu une assistance monétaire sous deux formes : des coupons (qui leur permettaient d’effectuer des achats) et de la remise d’argent liquide en mains propres, avec l’aide de l’ONG Concern Worldwide.
Beaucoup ont ainsi fait le choix d’utiliser cette manne pour rescolariser leurs enfants, pour acheter des têtes de bétail (cochons, chèvres), des outils agricoles, des ustensiles de cuisine, des vêtements, du matériel pour reconstruire leurs maisons.
À Mushubangabo, Coletta Luando a ainsi utilisé ses coupons pour scolariser ses enfants. L’argent liquide lui a servi à démarrer un élevage de cochon et à ouvrir son commerce.
Dans le village de Butasheke, Eugénie Balingene a fait des choix similaires : les coupons lui ont permis de payer les examens d’Etat de ses deux enfants, et elle a su investir l’argent avec patience pour construire une nouvelle maison.
En prenant les bénéficiaires en photos, j’ai essayé de retranscrire l’impression de dignité que ceux-ci m’ont donnée. Je ne suis pas sûr d’avoir réussi à leur rendre justice.
Contexte
Dans le cadre du programme ARCC «Alternative Responses for Communities in Crisis», financé par UKAid et datant de 2011, UNICEF et ses partenaires promeuvent le transfert monétaire (coupon ou cash) comme réponse humanitaire aux populations victimes de l’insécurité à l’Est de la RDC, notamment les familles déplacées, retournées ou d’accueil.
Le deuxième cycle du programme ARCC est mis en place d’octobre 2013 à février 2015 dans trois territoires au Nord Kivu (Masisi, Rutshuru, Beni) et deux territoires de la Province Orientale ( Djugu et Dungu) : l’objectif est de renforcer le bien-être et la résilience des ménages affectés par la crise humanitaire à l’Est de la RDC.
Le transfert monétaire aux bénéficiaires peut se faire selon plusieurs modalités :
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La distribution de bons d’achats à utiliser dans des foires et des marchés ouverts : Les bénéficiaires de l’aide reçoivent des bons d’achats qu’ils peuvent dépenser pendant un certain temps auprès des commerçants pré identifiés.
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La distribution d’argent liquide : Les bénéficiaires se présentent au bureau du partenaire le jour du marché avec leur carte de bénéficiaire pour recevoir une enveloppe contenant l’argent mis à leur disposition pour faire leurs achats.
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La distribution d’argent via les opérateurs de téléphonie mobile, ou des coopératives de microcrédit : cette méthode, encore expérimentale en République démocratique du Congo, consiste à transférer de l’argent sur les comptes téléphoniques des bénéficiaires. Les bénéficiaires ont alors deux possibilités : soit ils virent l’argent directement sur le compte bancaire mobile du commerçant (si celui-ci en a un) soit ils retirent la somme en liquide auprès des opérateurs de téléphonie mobile. Cette technique a l’avantage de la discrétion et de la sécurité.