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Réfugiés de génération en génération - prévenir l'apatridie par les solutions durables dans la région des Grands Lacs

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1. Résumé

Cette étude a examiné les risques d'apatridie parmi les réfugiés de longue durée dans trois pays de la région des Grands Lacs en Afrique : République démocratique du Congo (RDC), Rwanda et Ouganda.

L'étude s'est concentrée sur les réfugiés ayant quitté leur pays d'origine il y a plus de vingt ans - définis comme des réfugiés « de longue durée » aux fins de l'étude – et sur leurs descendants nés dans le pays d'asile.1 Les populations considérées dans ce rapport sont les réfugiés d'origine rwandaise en RDC, les réfugiés d'origine congolaise au Rwanda et les réfugiés d'origine congolaise et sud -soudanaise en Ouganda. L'étude a comporté à la fois une analyse des lois et des politiques dans tous les pays étudiés, y compris les pays d'origine des réfugiés ainsi que des recherches quantitatives et qualitatives auprès des réfugiés et des communautés d'accueil. L'objectif était de mieux comprendre le risque d'apatridie parmi ces réfugiés de longue durée et leurs descendants, ainsi que les « solutions durables » potentielles permettant d'atténuer ce risque. Dans le contexte des apatrides, qu'ils soient ou non réfugiés, une solution durable est liée à la reconnaissance ou à l'octroi d’une nationalité. Parmi ces solutions, l'étude examine donc l'amélioration de l'accès à l'état civil et à d'autres documents d'identité reconnaissant une nationalité existante, ainsi que les voies légales vers l'intégration sur place dans le pays d'asile, y compris la possibilité d'acquérir la nationalité.

L'étude a révélé que la grande majorité de ces réfugiés de longue durée n'avait aucun document d'identité d'aucune sorte délivrée par leur pays d'origine. La seule pièce d'identité officielle attestant de leur nationalité est donc leur document d'enregistrement de réfugié (délivré par les autorités du pays d'asile, souvent avec l'aide du HCR).

La plupart des réfugiés adultes n'ont pas d’actes de naissance, essentiel pour prouver le lien entre le parent et l'enfant sur la base duquel la nationalité pourrait être revendiquée. Parmi les personnes nées dans le pays d'origine, seuls 8 % des réfugiés adultes de longue durée interrogés dans le cadre de ce rapport possédaient un acte de naissance. Bien que l'enregistrement des naissances se soit considérablement amélioré pour les enfants de réfugiés nés dans le pays d'asile au cours des dernières années, et que la couverture soit presque complète au Rwanda (y compris pour les personnes nées dans le pays qui sont maintenant adultes), seuls 28 % des réfugiés adultes nés en Ouganda et 6 % des adultes nés en RDC possédaient un acte de naissance.

Sans surprise, la majorité des réfugiés interrogés ont déclaré que la solution qu'ils préféraient pour mettre fin à leur statut de réfugié commençait par une réinstallation dans un pays tiers. Pourtant, lorsqu'on leur a demandé de quel pays ils se sentaient le plus proche, plus de 62 % ont nommé le pays d'asile (jusqu'à 70 % pour ceux qui vivent dans des zones urbaines), et près de la moitié ont déclaré que leur solution préférée serait de rester dans ce pays.

Bien que seule une minorité (12 % du total) ait déclaré vouloir acquérir la nationalité du pays d'asile, les groupes de discussion ont indiqué que les implications et les possibilités de changement de statut juridique n'étaient pas pleinement comprises, et que ce pourcentage pourrait bien augmenter si les options étaient plus faciles d'accès et si les processus étaient mieux connus. Dans la pratique, il est difficile pour tout demandeur d'acquérir la nationalité sur la base d'une résidence à long terme dans l'un des trois pays d'asile, en raison des obstacles juridiques et procéduraux. Bien que l'acquisition de la nationalité sur la base du mariage soit relativement plus accessible, le HCR n'a connaissance que d'une petite poignée de demandes d'acquisition de la nationalité en Ouganda ou au Rwanda, dans la plupart des cas sur la base d'un mariage avec un national, et aucune en RDC.

L'une des raisons pour lesquelles les personnes interrogées souhaitent conserver leur statut de réfugié (22%) est que, tant que le statut de réfugié est considéré comme indéfini et que les documents d'identité des réfugiés sont renouvelables, le statut fonctionne comme une forme de résidence permanente dans le pays d'accueil. Le statut de réfugié fournit le permis de séjour légal et les documents d'identité dont les réfugiés ont besoin pour accéder aux services et faciliter la liberté de mouvement dans le pays d'asile, ainsi que pour bénéficier d'une assistance humanitaire (limitée) de la part du HCR et de ses partenaires, et du gouvernement du pays d'accueil. Toutefois, le statut de réfugié n'est pas censé être permanent et est donc précaire à long terme. Le HCR a recommandé en 2013 que la clause de cessation « si les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'existe » en vertu de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés puisse être invoquée dans le cas des réfugiés qui ont fui les événements survenus au Rwanda entre 1959 et 1998, bien qu'une majorité de pays de la région des Grands Lacs, y compris la RDC et l'Ouganda, aient décidé de ne pas le faire.

Dans d'autres contextes, l'apatridie n'est apparue que lorsque le statut de réfugié a pris fin (ou que la demande d'asile a échoué) et que le rapatriement n'est ni souhaité ni possible en raison de l'absence de preuve de la nationalité d'origine. C'est le cas, par exemple, pour les anciens réfugiés angolais refoulés à la frontière entre la RDC et l'Angola lors du rapatriement en 2010. La reconnaissance du statut de réfugié dissimule donc les risques d'apatridie créés par les lacunes des lois et procédures relatives à la nationalité dans les pays d'origine et d'asile.

Première lacune, les processus d'enregistrement et de détermination du statut de réfugié n'e xaminent généralement pas si une personne peut être apatride ou risque de l'être, mais uniquement son éligibilité à la protection en tant que réfugié. Cela est vrai dans de très nombreux pays, y compris ceux examinés dans le cadre de ce rapport, et en particulier lorsque la reconnaissance du statut de réfugié se fait sur une base prima facie et non par une détermination individuelle.

Deuxièmement, il existe des lacunes importantes dans la couverture de l'enregistrement des naissances et dans les cadres juridiques. L'enregistrement des naissances est la preuve la plus fiable des faits sur la base desquels la nationalité peut être déterminée. Bien que les lois des trois pays considérés dans ce rapport établissent le droit à un enregistrement gratuit et obligatoire des naissances, sans exclusion pour les réfugiés ou les enfants d'autres étrangers, les taux d'enregistrement des naissances ont historiquement été faibles dans les trois pays. Si ces taux augmentent pour les naissances actuelles, ce n'est qu'au Rwanda qu'il y a un effort systématique pour effectuer un enregistrement tardif pour toutes les naissances de réfugiés (y compris pour les adultes) qui ont eu lieu dans le pays d'asile. Cependant, l'enregistrement universel des naissances ne suffit pas en soi à résoudre l'apatridie, surtout si la nationalité des parents est incertaine ou non-documentée ou si l'enfant ne peut pas acquérir la nationalité d’un parent. Dans de nombreux pays, dont la RDC et le Rwanda, les lois et procédures nationales prévoient que la nationalité des enfants nés en dehors du pays ne sera reconnue que si les parents enregistrent la naissance auprès du consulat, ou si l'acte de naissance étranger est transcrit dans le registre d'état civil du pays d'origine. Des procédures spéciales permettant de contourner ces exigences juridiques formelles sont généralement incorporées dans les accords tripartites pour des « solutions durables globales » (y compris le rapatriement ou l'intégration sur place ainsi que la réinstallation) conclus entre le HCR et les gouvernements des pays d'origine et d'asile des réfugiés. Mais la situation est différente en dehors de ces contextes. Les réfugiés ne peuvent pas facilement s'adresser aux ambassades de leur pays d'origine, car cela pourrait mettre en péril leur statut de réfugié, et la plupart d'entre eux ne sont de toute façon pas au courant de ces exigences. L'interprétation de la loi d'un autre pays en ce qui concerne l'attribution de la nationalité à un enfant né à l'étranger étant une question complexe qui ne relève pas de la compétence d'un officier d'état civil, le HCR ne recommande pas que les actes de naissance mentionnent la nationalité d'un enfant. En tout état de cause, la mention de la nationalité des parents ou de l'enfant dans un acte de naissance délivré par le pays de naissance ne lie pas les autorités du pays d'origine des parents. Ces problèmes liés à l'enregistrement des naissances et aux conflits de lois augmentent les risques d'apatridie et empêchent la mise en place de solutions durables pour les réfugiés de longue durée, mais il n'existe pas d’orientations internationales claires pour les résoudre.

Troisièmement, il existe des lacunes importantes dans les lois sur la nationalité des trois pays et dans leur mise en œuvre dans la pratique, notamment en ce qui concerne la protection contre l'apatridie des enfants nés sur leur territoire. Les trois pays prévoient en principe l'octroi de la natio nalité à un enfant de parents inconnus trouvé sur le territoire (un enfant trouvé). Pour assurer une véritable protection contre l'apatridie, il est important que cette protection ne s'applique pas uniquement aux nouveau -nés. Il est donc positif que le Rwanda définisse un enfant trouvé comme tout enfant « ne disposant pas d'informations complètes sur l'identité de ses parents ou sur son origine ». Toutefois, cette protection est limitée aux nouveau-nés en RDC et aux enfants de moins de cinq ans en Ouganda. Bien que le code de la nationalité en RDC prévoie la présomption de nationalité pour les enfants de parents apatrides, et que ceux qui sont nés sur le territoire puissent acquérir la nationalité à leur majorité, il n'existe aucune procédure permettant de mettre ces dispositions en pratique. La loi rwandaise de 2021 sur la nationalité établit les protections les plus complètes contre l'apatridie des enfants. Cependant, la loi impose également à tous les enfants de « demander » la nationalité, au lieu de prévoir l'attribution (automatique) de la nationalité de plein droit dans la plupart des cas, ce qui pourrait exposer certains enfants au risque d'apatridie, même si leurs deux parents sont des nationaux rwandais. L'Ouganda n'établit aucun droit général fondé sur la naissance en Ouganda pour les personnes qui ne sont pas membres de l'une des communautés autochtones énumérées dans une annexe de la constitution, ce qui crée des risques importants d'apatridie. Cela concerne même les enfants de parents qui ont acquis la nationalité ougandaise avant leur naissance, qui doivent demander la nationalité de leur propre chef après avoir accumulé la période de résidence requise en tant qu'adulte (la période de résidence en tant que mineur n'est pas prise en compte aux fins de l'enregistrement ou de la naturalisation, tandis que les enfants mineurs ne peuvent pas non plus être inclus dans la demande de naturalisation d'un parent). Étant donné que la période de résidence requise pour la naturalisation est de 20 ans, même l'en fant apatride d'un ancien réfugié né en Ouganda ne pourrait acquérir la nationalité ougandaise qu'à l'âge de 38 ans au plus tôt. La naturalisation sur la base d'une longue résidence est généralement très difficile, voire impossible, à obtenir pour les réfugiés dans les trois pays (comme c'est le cas sur tout le continent africain, sauf dans les rares cas où des initiatives spéciales ont été prises pour faciliter l'acquisition de la nationalité).

Pour prévenir l'apatridie parmi les réfugiés et leurs descendants, il est donc essentiel d'évaluer le risque d'apatridie dans le cadre de l'enregistrement des réfugiés et/ou, le cas échéant, des procédures individuelles de détermination du statut de réfugié ; de délivrer et de renouveler les documents d'identité des réfugiés ; de garantir l'enregistrement universel des naissances pour tous les enfants de réfugiés nés dans le pays d'asile (en prêtant attention aux détails qui doivent être consignés dans le registre des naissances et en particulier dans l'acte de naissance) ; et de faciliter l'accès aux documents d'état civil de substitution pour les personnes dont la naissance ou le mariage a eu lieu dans un autre pays. Il est également nécessaire d'établir des droits minimaux à la nationalité sur la base de la naissance sur le territoire du pays d'asile, ainsi que la possibilité d'acquérir la nationalité sur la base d'une résidence de longue durée, et de supprimer les obstacles procéduraux à l'accès à ces droits.

Le contenu détaillé de ces dispositions peut sembler assez abstrait, mais elles ont un impact important sur la recherche de solutions durables pour ces réfugiés de longue durée. Les implications pratiques signalées par les réfugiés eux-mêmes concernent les moyens de subsistance, notamment l'accès à la nourriture, au logement, aux soins de santé et à l'éducation, ainsi que la liberté de circulation. L'idée qu'un changement légal de nationalité soit même possible peut être difficile à saisir. Cependant, une minorité significative a mentionné l'accès aux documents d'identité dans le pays d'asile (et leur renouvellement) et l'enregistrement à l'état civil parmi les principaux problèmes rencontrés. Les documents d'identité périmés ou inaccessibles restreignent également la liberté de mouvement et l'accès aux services – ce qui signifie que ces réponses se recoupent.

De nombreux réfugiés sont étroitement intégrés dans les sociétés où ils vivent désormais, même si les réfugiés les plus âgés, en particulier, conservent des liens avec leur pays d'origine. Il est nécessaire de développer des voies juridiques qui permettent de reconnaître pleinement cette intégration dans le pays d'accueil : il n'est ni pratique ni souhaitable que le statut de réfugié soit maintenu sur p lusieurs générations, ce qui accroit les risques d'apatridie. Le développement de voies d'acquisition de la nationalité se heurte souvent à des obstacles politiques, et les problèmes liés à des questions telles que les droits d'accès à la terre doivent être résolus. Il existe également des dangers potentiels si les personnes se sentent poussées à accepter un nouveau statut comme alternatif au statut de réfugié, en particulier s'il peut conduire à la cessation de leur statut de réfugié, ou s'il n'offre pas la possibilité d'acquérir (ou réacquérir) une nationalité. Cependant, le statut indéfini de réfugié n'est pas non plus durable et crée ses propres dangers politiques, si un groupe qui réside effectivement en permanence est en même temps exclu de façon permanente de la pleine appartenance à la société. Il convient également de noter qu'en Ouganda, où des groupes de discussion ont également été organisés avec les communautés d'accueil, aucune objection n'a été exprimée quant à l'idée que les réfugiés puissent acquérir la nationalité ougandaise, ce que confirment les données d'enquête provenant d'autres sources.

La convention des Nations unies sur les réfugiés de 1951 prévoit la naturalisation facilitée pour les réfugiés. La convention africaine sur les réfugiés de 1969 appelle à garantir « l’établissement » des réfugiés. En plus de ces dispositions relatives au statut des adultes, il existe des droits plus forts à la nationalité dans le cas des enfants nés dans le pays d'asile. L'article 6(3) de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant prévoit, conformément à la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant, que tout enfant a le droit d'acquérir une nationalité. L'article 6, paragraphe 4, adopte une protection minimale similaire à celle prévue à l'article 1 de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie, exigeant des États qu'ils prévoient dans leur législation qu’« un enfant a droit d’acquérir la nationalité de l'État sur le territoire duquel il/elle est né(e) si, au moment de sa naissance, il/elle ne peut prétendre à la nationalité d’aucun autre État conformément à ses lois. »

Les risques d'apatridie créés par l'absence de documents pour les réfugiés et l'affaiblissement des liens avec leur pays d'origine augmentent avec chaque génération successive née en exil. Ces risques peuvent toutefois être atténués par des réformes visant à mettre les lois nationales en conformité avec le droit international, y compris les normes régionales africaines, notamment en accordant le droit d'acquérir une nationalité aux enfants nés dans le pays d'asile. En outre, l'accès aux procédures permettant aux adultes d'acquérir la nationalité du pays d'asile, qui existent déjà en droit mais sont inaccessibles aux réfugiés, devrait être facilité.