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DR Congo

RDC : Rapport sur les événements de Mbuji Mayi, province de Kasai Oriental juin 2005

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I. Introduction:
1. La MONUC a dépêché une équipe d'enquête spéciale de la Division de droits de l'homme à Mbuji Mayi entre le 13 juillet et 21 juillet afin d'enquêter sur les événements qui se sont déroulés au mois de juin 2005 suite à la tension créée par la prolongation de la période de transition.

2. La MONUC a conduit une centaine d'entretiens avec les victimes et les témoins oculaires, fait des visites des quartiers les plus touchés et les hôpitaux de la ville et reçu la version de certaines autorités administratives et judicaire. Les enquêteurs ont pu confirmer un total 96 cas de violations de droits de l'homme, dont 15 cas d'exécution sommaire ou arbitraire tous causés par balle, 26 cas de tentative d'exécution sommaire ou arbitraire -- 25 cas par balle, un cas par grenade lacrymogène-, 14 cas de traitement inhumain suivi ou précède souvent d'arrestation arbitraire ou/et de vol, 35 cas d'arrestation arbitraire, 4 cas de disparition forcée, et 2 cas de viol, commis entre le 10 juin et 1ier juillet 2005 par les forces de l'ordre. Les forces de l'ordre - militaires, police locale et Police d'intervention rapide (PIR) arrivés de Kinshasa- ont profité aussi de la situation de non-loi créée entre le 28 juin et le 2 juillet(1) afin de pénétrer dans des magasins et des habitations, de harceler, de violer et voler plusieurs habitants. Parmi les cas de viol rapportés, seulement deux ont pu être confirmés mais il est fort probable que le nombre soit beaucoup plus élevé mais que les victimes n'osent pas se déclarer. Les cas d'extorsion et de viol n'ont pas été comptabilisés mais concernent des dizaines de personnes qui ont perdu argent, stock de diamant, portable, biens électroniques etc.

3. La raison principale des violations de droits de l'homme de cette période est l'utilisation excessive et non nécessaire des armes à feu, ainsi que la répression des personnes considérées comme des militants ou sympathisants de l'UDPS par les forces de l'ordre pour répondre à l'agitation politique créée par UDPS suite à la prolongation de la période de transition et dont les dirigeants n'ont pas hésité à utiliser un langage offensif et menaçant contre les autorités provinciales et nationales. A cet effet, plusieurs journées « ville morte » ont été décrétées pendant cette période comme moyen de révolte contre le pouvoir. Cependant pourvus d'un pouvoir excessif pendant cette période de crise, les éléments des forces de l'ordre n'ont pas hésité à harceler la population en pénétrant dans leurs habitations pour commettre d'autres violations sans lien direct avec la sécurisation de la ville.

4. Afin de faire face à la violence déjà prévue de longue date, le Conseil de Sécurité de la province avait décidé de faire appel à des forces de l'ordre additionnelles(2). Ainsi à partir du 10 juin, les militaires seraient arrivés de Kamina et d'autres parties du Kasai Oriental et des membres de la PIR de Kinshasa. L'arrivée de ces forces additionnelles, selon certains, envoyées « pour faire la guerre », aurait aussi provoqué la colère de la population.

5. Pendant le mois de juin 2005, les coordinateurs des centres d'hébergement pour enfants, ont mené une campagne de sensibilisation auprès des enfants de la rue, afin de minimiser les risques pour les enfants lors des manifestations. Les centres d'accueil d'enfants de Bice et celui de Betu Bana ont reçu respectivement 30 et 200 nouveaux cas d'enfants qui y ont cherché refuge du 28 juin au 2 juillet. Les enfants de la rue eux-mêmes, par mesure préventive, ont cherché refuge spontanément dans certains commissariats de police o=F9 ils ont été accueillis du 29 juin jusqu'au 1 juillet. La Section Protection de l'Enfant (SPE) de la MONUC a constaté la présence de 163 enfants accueillis dans quatre cachots de la police. Ces enfants sont restés durant ces jours sans assistance en vivres. Lors de la visite des cachots effectuée le 4 juillet avant-midi par la SPE, aucun enfant n'y restait.

6. Cependant, malgré ces activités de sensibilisation, des groupes d'enfants ont participé dans les désordres en ville pendant les manifestations du 22, 26 et 30 juin. Par conséquent, certains enfants ont été victimes de l'usage excessif de la force par la police et des mauvais traitements pendant leurs arrestations et leur détention. Les enfants n'ont pas été ciblés pourtant de manière spécifique ou systématique par les agents de l'ordre.

7. Pendant leur présence à Mbuji Mayi, les enquêteurs ont constaté une prolifération journalière de rumeurs qui aggravent les tensions déjà existantes dans la ville à cause de l'utilisation politique des difficultés sociales. Si on n'arrive pas à désamorcer les tensions dues surtout au fossé social qui sépare les riches exploitants de diamant et une poignée de travailleurs de la MIBA et la grande majorité de la population qui survit difficilement grâce une lutte quotidienne, la violence peut réapparaître à tout instant. L'état congolais doit prendre ses responsabilités pour commencer par résoudre les besoins en eau et en électricité de la population s'il veut que les élections soient conduites en sécurité.

II. Contexte Général :

8. La ville de Mbuji Mayi, la capitale de la province du Kasai Oriental, est la deuxième grande ville du Congo avec ses 3 millions d'habitants. Economiquement, Mbuji Mayi vit exclusivement du diamant. En raison des opportunités d'emploi limitées, et des salaires bas, 80% de la population vit de l'exploitation des pierres précieuses. Le secteur public est absent de la vie économique de manière frappante et l'économie fonctionne, comme un peu partout en RDC, de manière informelle. C'est aussi à cause de l'absence d'infrastructures que des petites et moyennes entreprises n'existent presque pas et les grandes manquent d'investissement. Ainsi le chômage ne peut pas être amorti. Les produits doivent être importés sur une grande étendue et par conséquent, les prix sont extrêmement plus élevés par rapport aux autres villes de la RDC.

9. En raison de l'explosion démographique, la plupart des habitations de Mbuji Mayi est construite de manière artisanale. Les pluies lourdes détruisent souvent les habitations ainsi construites laissant régulièrement des centaines de familles sans abris. Dans l'ensemble les infrastructures sont catastrophiques. La distribution en eau et en électricité dans la ville est au mieux sporadique, ce qui alimente le sentiment général de mécontentement et d'abandon par le gouvernement central.

10. Cette terrible situation économique a engendré un environnement tendu ou la population mène une vraie lutte de survie. Combinée à la domination de « UDPS » cela devient une mixture explosive qui engendre facilement des troubles sociaux. Le massacre de plus de 50 enfants de la rue en septembre 2004(3)et l'organisation récurrente des villes mortes par l'UDPS sont des indicateurs primordiaux. Le ressentiment fort contre le pouvoir central dû aux années d'exploitations des ressources minières par le gouvernement central avec peu de bénéfices pour le développement de la province (infrastructure de base, santé, éducation) contribue à l'environnement volatil de la province.

11. La tension avait commencé à monter à Mbuji May déjà vers la mi-mai 2005, à l'approche du fin juin, présenté par UDPS comme la fin de la transition. Les premiers incidents se sont déroulés les 17, 18, et 19 mai. Alors qu'il n'y avait pas d'eau depuis deux semaines en ville et que la société civile avait donné un ultimatum de 48h au gouverneur, le 17 et 18 mai ont été déclarés « journée ville morte » par des tracts non signés. L'eau est revenue avant la fin de l'ultimatum mais les frustrations de la population étaient déjà canalisées par des manifestations de la ville morte. Le 17 Mai, les interventions des forces de l'ordre pour empêcher les gens de sortir ont été suivies par la destruction des représentations des partis politiques au pouvoir à savoir PPRD, MLC, RCD-KML par des éléments non identifiés mais soupçonnés d'être des sympathisants de l'UDPS. La MONUC a pu confirmer deux cas d'exécution arbitraire, 4 cas de blessure par balle, dont trois mineurs et un cas d'arrestation arbitraire suivie de mauvais traitement commis par les forces de l'ordre. Le 19 mai, c'est la représentation de l'UDPS qui a été incendiée selon des témoins oculaires par des forces de l'ordre avec un bilan confirmé par la MONUC d'une victime d'exécution arbitraire, 6 victimes de mauvais traitement et une victime de disparition forcée.

12. Tout au long du mois de juin, les deux camps, à savoir le pouvoir local et les dirigeants et militants de l'UDPS ont fait la course à l'incitation et à la manipulation. Le pouvoir central a multiplié ses interventions directes afin d'arracher les drapeaux de l'UDPS des voix publiques(4) et arrêter ses cadres et ses militants. L'UDPS a intensifié ses menaces, injures, intimidations contre le pouvoir en place parallèlement aux appels à la non-violence. Autour du 20 mai, la présence des éléments de la garde présidentielle ( GSSP) serait également signalée en ville.

13. A partir du 17 juin, les tracts ont commencé à circuler appelant la population à manifester dans les rues le 30 juin et de ne pas travailler le 27, 28 et 29. Ces tracts propageaient aussi des informations sur les plans du Président de tuer les opposants en utilisant les forces étrangères et appelaient les forces de l'ordre à refuser les ordres de tirer sur leurs frères. Certains tracts demandaient à la population d'identifier les habitations des élus considérés comme des traîtres à la nation congolaise.

14. Les 27, 28 et 29 juin, la population a suivi le mot d'ordre de « ville morte », pour certains surtout plus par peur que par adhésion aux revendications de l'opposition. A la même époque, les forces de l'ordre se sont installés en petit groupe aux endroits stratégiques de la ville comme les ronds-points, bâtiments et résidences officielles afin d'initier leur opération d'intimidation, parfois en tirant excessivement sans raison apparente en l'air pendant la nuit. Jusqu'au dernier jour l'UDPS a insisté sur son refus de ne pas faire une demande officielle pour conduire des manifestations du 30 juin.

Notes :

(1) A partir du 28 juin les forces de l'ordre se sont positionnées dans les grands axes de la ville. Elles ont aussi profité du couvre feu entre 22 h du 30 juin a 14h du 1ier juillet pour commettre des abus.

(2) Le Gouverneur avait déclaré a la MONUC avoir au total 3000 hommes pour sécuriser la ville.

(3) Le chiffre officiel a fait état de 18 morts, mais un rapport de la MONUC a indiqué qu'il y a eu 46 disparu dans ces massacres. Voir le rapport de la MONUC : Attaques perpétrées sur les enfants et les jeunes de la rue à Mbuji Mayi du 20 au 25 septembre 2004, avril 2005.

(4) Selon UDPS ce sont seulement les fanions de leur parti qui ont ete arrachés des voix publiques. Selon les autorités la raison était que les partisans de l'UDPS avaient l'habitude de forcer les gens à saluer quand ils hissaient leur fanion

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