Henri Burgard/Monuc
La rumeur a perdu la partie. C'est la joie qui triomphait jeudi 30 juin 2005 sur le visage des habitants d'Uvira. La joie d'être rassemblés pour fêter l'indépendance de leur pays. Quarante cinq années de fragile indépendance, dont les dix dernières ont très durement touché la population du Sud-Kivu, et particulièrement celle d'Uvira. Pour faire oublier leurs soucis aux habitants, il fallait un défilé de choix. C'est celui qu'ont donné tous les représentants de la ville. Depuis la fonction publique jusqu'aux entreprises privées, l'ensemble des métiers présents dans la ville d'Uvira a défilé en dansant au rythme d'une fanfare Kimbanguiste, rehaussant le contraste avec le pas martial des militaires de la 61eme brigade.
Depuis des semaines, la rumeur, hydre malfaisante, terrorise la ville d'Uvira. A peine lui a-t-on coupé une tête, une autre se forme aussitôt. Apres avoir contesté une intrusion par la frontière rwandaise, démenti une attaque conjuguée de militaires FARDC et de militaires banyamulenge ayant refusé le brassage, désavoué une attaque de banyamulenge venus du Burundi, la rumeur change de forme mais poursuit son ouvre malfaisante. Elle agite devant la population ses nombreux visages. Chacun porte le masque des terreurs passées, des invasions, des guerres fratricides qui ont laisses leurs marques sur les murs de la ville d'Uvira, mais aussi dans la mémoire de ses habitants.
Les jours précédents le 30 juin ont été passés en démentis de toutes sortes, et chacun a apporté sa contribution à l'établissement d'un climat de confiance. L'administrateur a ainsi réunis les partis politiques. A l'issue de cette réunion, ces derniers se sont engagés à demander à leurs adhérents de ne pas causer de troubles à l'occasion du 30. La date est en effet chargée de sens, anniversaire de l'indépendance du Congo, elle est aussi la date initialement prévue pour la fin de la période de transition. Et son report pour 6 mois n'était pas du goût de tous.
La Monuc est aussi intervenue. Vérifier une rumeur, c'est l'étouffer. Par ignorance, par malveillance, les bruits se propagent. Les moyens manquent souvent aux habitants d'Uvira pour aller vérifier dans les secteurs incriminés. La Monuc réalise systématiquement les enquêtes et dénonce les mensonges et autres distorsions de la vérité. Elle a aussi fait entendre la déclaration des partis par l'intermédiaire de radio Okapi. Enfin, elle a opéré un déploiement dissuasif des forces du contingent de casques bleus pakistanais (Pakbatt III) : Reprise des patrouilles a Baraka, patrouilles renforcées de char a Uvira. Une démonstration de force des Nations Unies. Le commandant militaire de la ville, le colonel Mutupeke, avait auparavant établi un couvre feu des 22 heures, avec interdiction au véhicules de pénétrer dans la ville avant 6 heures du matin et après 6 heures du soir.
En considération de cette attente nerveuse, la fête a commencée doucement à Uvira. Un calme inhabituel régnait jeudi matin dans les rues de Mulongwe, le quartier commerçant de la ville. Les taxis motos avaient désertés les rues par crainte des émeutes et des pillages. La population s'est donc acheminée a pied ou a bicyclette vers le stade de football ou les festivités se déroulaient. La, elle a encore du attendre que toutes les personnalités de la ville ait rejoint la tribune des autorités. Pendant ce temps, la foule a pu assister au dernier préparatifs : répétition de la fanfare, arrosage du terrain, défilés d'entraînement. Alors seulement, la cérémonie a commencée.
Toute la ville a défilé devant l'administrateur, le commandant de la 61eme brigade et le commandant du bataillon de pakistanais qui formaient le trio des hôtes d'honneurs. Les militaires d'abord, portant avec fierté leurs nouveaux uniformes. 61eme brigade, police militaire, police, douanes et circulation, défilaient au pas. Derrière eux, les chars pakistanais. Ensuite, la cohorte des représentants s'est égayée. Avec les épouses de militaires, drapées de pagnes multicolores. Puis le défile s'est accéléré. Cite d'Uvira, Chefferie des Baviras, cercle culturel, centre de recherche, inspection du travail, service de la jeunesse, transport et communication, tous ont dansés pour communiquer leur joie.
Les plus éclatants étaient peut être les taxis. Bruyants et indisciplinés, ils ont salué la tribune du haut de leur moto. Ou encore l'hôpital central, avec blouses stéthoscopes, et nourrissons de plastique ! Peut être aussi les cambistes. Brandissant des billets, ils faillirent être pris d'assaut par la foule. Et enfin, les éternels Kadhafi, avec pompes, tuyaux et bidons. Difficile de concourir, plus difficile encore de départager une foule enthousiaste, certain défilant même sous plusieurs bannières. Apres cela, plus question de rumeurs. Les habitants d'Uvira ont pu rentrer chez eux rassurés, et évoquer sereinement le spectacle.