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DR Congo

RDC: Interview avec Mr Leku, coordonnateur principal de l'Exécutif intérimaire de l'Ituri

par Mounoubaï Madnodje/MONUC
Mounoubaï Madnodje/MONUC : Dites-moi un peu en quoi consiste l'organe exécutif intérimaire de l'Ituri?

Emmanuel Leku: Lors des travaux de la Commission de Pacification de l'Ituri (CPI), il nous avait été assigné quelques termes de référence indiquant les responsabilités que nous devons assumer dans le cadre de l'administration l'Ituri. D'abord, il s'agit de gérer l'administration publique sur toute l'étendue de l'Ituri. Ensuite, nous devions veiller sur la perception des recettes et en assurer une utilisation, je dirais, rationnelle. Troisièmement, il est question de poursuivre la pacification, c'est-à-dire consolider les acquits de la CPI afin de ramener la paix en Ituri. Voilà l'organe exécutif défini selon ses termes de référence. Pour le reste, nous avons un système de "1+ 4", c'est-à-dire j'ai 4 adjoints et moi-même le principal. Le "1+ 4" est parti du fait que nous avons 5 territoires dans l'Ituri et du principe qu'aucun d'entre eux ne devait être exclu de la gestion de l'Ituri. Une gestion qui était devenue conflictuelle. D'où nous devions tous ensemble être réunis dans le travail de pacification. Pour le reste, nous sommes appelés "administration spéciale", spéciale pour signifier que c'est un modèle d'administration qu'on ne retrouve dans aucune autre province ni aucun autre district du Congo- excepté peut-être dans la capitale. C'est donc ce système 1 + 4 qui nous régit actuellement.

M.M -Quel rapport avez-vous finalement avec le Gouvernement de transition qui est le gouvernement central?

E.L - Nous faisons notre rapport directement au Gouvernement de Transition. En effet, en tant qu'administration spéciale (de l'Ituri) nous dépendons directement du gouvernement. D'ailleurs, nous sommes entrés dans le circuit national avant tout le monde. En effet, les travaux de la CPI s'étaient achevés le 14 avril, alors que ceux du Dialogue Inter Congolais se poursuivaient encore en Afrique du Sud. A cette date-là, nous étions déjà inclus dans le circuit national, notamment en faisant notre rapport directement à Kinshasa. D'où il y avait un relais direct entre la capitale et nous ici. C'est ainsi que nous sommes les premiers à être entrés dans le processus de pacification du Congo. Et il n'y a aucune partie de notre district qui soit détachée du reste du Congo. Au contraire, nous sommes partie intégrante du Congo.

M.M - Vous dites que vous êtes en place depuis le 14 avril. Comment évaluez-vous la situation dans l'Ituri aujourd'hui?

E.L - Actuellement, je vous dirai qu'il y a une évolution positive. Comme je l'ai dit, nous avions été institués le 14 avril. Mais juste le 4 mai, l'Ituri s'est retrouvé à feu et à sang. Depuis le 4 mai, donc, nous nous sommes retrouvés bloqués dans l'enceinte du quartier-général de la MONUC et cela jusqu'au mois de septembre. Entre-temps, l'insécurité battait son plein. Aujourd'hui, vous me retrouvez dans mon bureau en train de travailler. Aujourd'hui, nous nous asseyons avec les groupes armés, nous discutons avec eux, et nous commençons à résoudre quelques problèmes. Nous avons par exemple déjà commencé à déployer l'administration à l'intérieur, là où les groupes armés avaient le contrôle. C'est un pas positif que nous avons déjà accompli. Donc, la pacification est déjà en cours. Nous sommes déjà, disons, à 30 ou 40 pour cents du parcours. Mais nous n'allons pas nous arrêter là ; nous devons allons jusqu'au bout, c'est-à-dire étendre l'administration sur l'ensemble de l'Ituri.

M.M - Justement, parlant des relations avec les groupes armés, il y a le PUSIC qui a remis à l'administration intérimaire deux zones qui étaient sous son contrôle. Aujourd'hui l'UPC et le FNI reconnaissent à l'administration intérimaire l'exclusivité de la collecte des redevances dans les marchés. Comment voyez-vous aujourd'hui les rapports que vous avez avec les groupes armés sur le terrain ?

E.L - Les rapports restent très bons. Parce que, vous venez de le dire vous-même, les groupes armés reconnaissent aujourd'hui que l'intégralité de la gestion de l'Ituri nous revient à nous l'administration. Et c'est ce qui avait été dit à la CPI. Alors que les groupes armés nous reconnaissent, c'est une bonne chose, parce qu'ils ont compris réellement que nous devons avancer dans le cadre de la pacification. Pas seulement nous, mais eux aussi doivent avancer avec nous dans un effort commun pour ramener la paix. Parce que la paix n'est pas l'affaire d'une seule personne. Et il serait illusoire de dire que l'administration à elle seule peut ramener la paix. Nous devons tous faire notre part, chacun à son niveau : les groupes armés à leur niveau, la population à son niveau, et nous à notre niveau. Même la MONUC qui nous accompagne, elle peut faire quelque chose à son niveau. Par exemple, le fait que la MONUC facilite notre déplacement dans les secteurs signifie qu'elle a déjà fait son travail à ce niveau-là. A notre tour de faire notre travail à notre niveau. Je veux dire ici que le problème de la pacification est un problème inclusif. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'exclus ; nous devons tous être réunis ensemble pour pouvoir ramener la paix.

M.M - Je crois que l'un des problèmes de l'Ituri, c'est celui de la désintégration du système judiciaire et du système pénitencier. Le gouvernement a Kinshasa vient de nommer des juges, des magistrats et des administrateurs des services pénitenciers. Comment est-ce que vous voyez l'avenir de la justice et du service pénal en Ituri ?

E.L - On va les juger à travers leur travail d'abord. Ça, c'est une des choses. Parce que le travail en l'Ituri n'est pas du tout facile ; il représente un grand défi. Cependant, le système judiciaire est pour nous un instrument pour assoire notre autorité. Vous savez que durant les mois que nous avons passés ici, l'impunité avait gagné presque tout le terrain. Nous avons assisté à des tueries ici en ville sans pourvoir rien faire. Parce que nous ne disposons d'aucune force ou police, encore moins d'une justice. Le gouvernement de transition vient de décider de nommer les cadres pouvant animer ce secteur, c'est une très bonne chose. Maintenant on va les juger à travers leur travail. Je pense qu'ils n'auront pas la tâche facile dans le contexte que nous traversons.Il ne s'agira pas seulement de résoudre des cas, mais d'avoir une certaine fermeté de conscience. Car le phénomène qui sévit en Ituri et qui ronge souvent le secteur judiciaire, c'est la corruption. Ainsi, vous trouvez qu'il y a beaucoup d'histoires, même cette guerre elle-même, elle a ses racines quelque part dans le domaine judiciaire. Vous voyez donc que dans ce contexte, les futurs animateurs de ce secteur devront prendre à temps toutes les mesures nécessaires quand ils vont venir ici travailler. Et ils devront travailler non pas pour leurs intérêts mais pour l'intérêt national.

M.M - Apres tous ces développements, comment voyez-vous l'avenir de l'Ituri?

E.L - Nous avons amorcé une évolution positive en Ituri. Mais au niveau national, on devra aussi songer quelque part aux leaders politiques ituriens, songer à les intégrer quelque part. Je sais qu'on ne peut pas intégrer tout le monde mais quelques-uns devront aussi être intégrés dans le circuit nationnal ! Personnellement, je reste optimiste à cet égard. Pour le reste, ça promet aussi, bien que nous ayons beaucoup enduré. Ça avance puisque vous nous retrouvez aujourd'hui dans notre bureau, et nous travaillons. Je reste optimiste que nous allons parvenir à pacifier l'Ituri. Mais il nous faut un temps matériel et il nous faut de l'endurance, parce que le chemin n'est un chemin asphalté mais plutôt un chemin très rocailleux. Il y a beaucoup de montagnes qu'il faut grimper et descendre, et il y a beaucoup de vallées, Mais ça dépend de l'endurance des animateurs, de leur volonté, ainsi que de la volonté de la population, bref, de la volonté de tout le monde. Personnellement, je suis déterminé, dans le temps qui nous est imparti, à faire de mon mieux et à faire tout ce que je peux. Je ne dis pas qu'il m'appartient à moi seul de ramener la paix dans l'Ituri. Au contraire, si nous tous nous conjuguons nos efforts, il est alors permis d'espérer que nous allons arriver à résoudre les problèmes de l'Ituri. Et l'Ituri va vite retrouver sa situation d'antan et, à partir de là, poursuivre le travail pour son développement intégral, comme toutes les autres régions. Voilà.

M.M - Je vous remercie.

E.L - C'est moi qui vous remercie.