En décembre 2006, plus de 130 000 réfugiés congolais vivaient dans trois des onze camps du corridor ouest de la Tanzanie. Actuellement, nombre d'entre eux rentrent chez eux par le biais du rapatriement volontaire, avec le concours du CICR et du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Anne Mucheke, du CICR, raconte l'histoire de deux des quatre enfants qu'elle a accompagnés durant le long voyage qui les a ramenés vers leur famille en République démocratique du Congo (RDC).
Peu après la tombée du jour, à la mi-février, mon collègue est arrivé au bureau du CICR à Kigoma, dans l'ouest de la Tanzanie, avec quatre enfants épuisés. Je devais accompagner ces enfants en RDC pour assister à leurs retrouvailles avec leur famille.
Tous les quatre avaient vécu dans les camps de réfugiés de Kigoma Lugufu après avoir fui le conflit armé dans leur pays.
Les enfants - Asende Kubwa, Kiiza Rusia, Nondo Lawi et Eliza Lawi - étaient très impatients à l'idée de rentrer chez eux, et ont admis qu'ils pouvaient à peine attendre un jour de plus. Mais il commençait à faire nuit, et nous devions aller chercher de la nourriture et passer une bonne nuit avant de nous mettre en route le lendemain soir.
Le CICR et le HCR collaborent souvent étroitement dans les situations de conflit et, lorsqu'il est question de réfugiés, ils échangent souvent des informations sur les enfants séparés de leur famille. Par ailleurs, le CICR a pour rôle et mandat de rétablir les liens entre les membres dispersés d'une famille, la priorité étant donnée aux enfants non accompagnés.
Avant de partir, nous avons passé une partie de la journée suivante au bureau du CICR. Les enfants avaient subi une transformation étonnante, ayant mis les nouveaux vêtements que le CICR leur avait achetés. Comme ils commençaient à s'agiter, je les ai emmenés à la plage pour boire un soda et faire passer le temps plus rapidement.
Pendant ce temps, je les ai écouté parler de leur passé et des camps. Eliza m'a parlé de ses talents de tricoteuse. Au camp, elle tricotait des pulls et les vendait pour quelques shillings.
Survivre aux camps
Un des garçons m'a parlé de ses équipées avec un commerçant congolais qui lui avait proposé de l'aider à retrouver ses parents et qui, en fait, se contentait de le transférer d'un camp à l'autre et le forçait à surveiller son grand troupeau de moutons. Il semble résigné, expliquant comment il s'est échappé quand, après de nombreux mois, l'homme ne l'avait toujours pas aidé. Le courage des enfants face à l'adversité est tout simplement incroyable.
Le soir, nous sommes montés à bord du MV Mwongozo, un bateau du HCR transportant 500 Congolais rentrant chez eux. Vu le grand nombre de passagers, l'aération du pont inférieur était mauvaise, et les places étaient rares. La plupart des hommes ont choisi de se promener sur le pont supérieur, profitant de la brise fraîche du lac et de ses eaux calmes. Certaines femmes se repoudraient le nez et se mettaient du rouge à lèvre tout en recoiffant leurs cheveux bien tressés. Elles n'avaient pas grand-chose, mais elles voulaient être à leur avantage pour leur arrivée chez elles.
Eliza avait sans cesse des crises de délire, car elle a attrapé le paludisme pendant qu'elle était au camp. Nous avons donc été chercher le docteur du bateau, puis je l'ai emmenée se reposer dans une des cabines supérieures pendant que je surveillais les enfants en bas. Ils somnolaient, mais se réveillaient régulièrement pour regarder par les hublots, essayant de voir la terre, trop agités pour rester tranquilles.
Quand nous sommes arrivés au port congolais de Baraka, le lendemain matin, nos collègues du CICR du bureau du Sud-Kivu nous attendaient. Nous sommes allés en voiture au centre de transit du HCR de Baraka, où les enfants ont reçu leurs colis de rapatriement contenant des semences, un jerrycan d'eau, des outils agricoles, des médicaments et des vivres pour trois mois. L'anxiété se lisait sur leur visage, mais la fatigue a pris le dessus pendant qu'ils attendaient de recevoir leurs colis. Peu après, nous sommes partis pour le village de Fizi, dans le Sud-Kivu, pour y voir nos premières retrouvailles de la journée.
Réunis après huit longues années
Asende Kubwa, 12 ans, est rentré chez lui après avoir passé huit années interminables loin de sa famille. Son grand-père, Kingombe Nwaca, a admis avoir été témoin d'un deuxième miracle en deux ans.
En voyant les jeeps portant le logo du CICR devant chez lui, Nwaca a su qu'on lui donnait une nouvelle raison de vivre. « C'est la deuxième fois que le CICR m'aide à retrouver et à ramener un de mes enfants à la maison », nous a-t-il dit avec animation. Pas plus tard que l'année dernière, la famille avait fêté le retour de sa petite-fille.
La sœur aînée d'Asende, Rose, a accueilli son frère avec des embrassades et des cris de joie, tandis que le reste du village chantait et laissait éclater son allégresse. Alende était fatigué à cause des deux jours de voyage, mais enthousiaste d'être chez lui. Il pouvait à peine se souvenir des visages et des noms de ceux qui l'appelaient avec tellement de tendresse, mais il a fait bonne contenance tandis que sa sœur le taquinait d'avoir oublié sa famille « aussi rapidement ».
Il regardait autour de lui, tentant peut-être de se rappeler de la dernière fois qu'il avait été à la maison. Même si le village n'était pas très riche, il avait au moins sa famille, et c'est tout ce qui lui importait.
« Asende et une de ses sœurs aînées ont été séparés de la famille en 1999, lorsque des combats ont éclaté dans notre village et que tout le monde a été forcé de fuir pour survivre », m'a raconté son grand-père. Il a appris plus tard que sa petite-fille s'était remariée, mais il n'avait aucune nouvelle d'Asende. En 2006, un volontaire de la Croix-Rouge lui a apporté un message d'Asende, disant qu'il allait bien et qu'il voulait rentrer.
« C'est à ce moment que j'ai su que mon petit-fils était en vie, en bonne santé et qu'il vivait avec notre voisin à Kigoma. J'ai ensuite demandé au CICR de m'aider à faire revenir mon petit-fils à la maison », a dit M. Nwaca.
Le chemin de la fuite est aussi celui de la maison
Une fois notre première tâche accomplie, nous avons quitté Fizi pour nous rendre à Uvira afin de permettre à Kiiza, 10 ans, de retrouver les siens. Après le paysage vallonné des collines, des vallées et de la verdure luxuriantes de Fizi, Uvira offre un contraste saisissant, avec son bord de lac pittoresque et son climat côtier dû au grand lac Tanganyika. Ce même lac a permis à des nombreuses personnes de RDC et du Burundi de fuir les conflits armés, et elles utilisent le même chemin pour rentrer chez elles.
Il est difficile d'imaginer comment les personnes ont quitté leur foyer durant le conflit, au milieu de la nuit et en traînant leurs enfants. Quand on pense à quel point les enfants sont fragiles et à la marche qu'ils ont dû faire, cela semble impossible. Mais comme l'explique Patience Masirika, administratrice principale du CICR du bureau du Sud-Kivu, au plus fort du conflit, les familles ont parcouru jusqu'à 400 kilomètres à pied pour trouver un refuge.
La maison de Kiiza est juste au bord de la route. Son père, Mto Ebengo Portace, et sa grand-mère l'ont couverte d'embrassades et de baisers, tandis que le reste de la famille chantait avec animation. Elle était perplexe devant tant d'attention, mais a réussi à sourire et discutait bientôt avec ses proches enthousiastes. Ils lui parlaient dans leur langue locale, posant des questions en chœur, tous en même temps.
Nouvel « évangéliste » du service de recherche de personnes
M. Ebengo était transporté de joie de revoir sa fille. En 2003, son village a été attaqué et toute la famille a été déplacée, avec 100 000 autres personnes. C'est à ce moment que Kiiza a été séparée de sa famille, et elle a suivi un groupe qui allait au Burundi. Un voisin congolais qui se rendait de Kigoma au Burundi pour affaires l'a vue et l'a emmenée au camp de Lugufu, où ils ont demandé les services du CICR. En 2006, M. Ebengo a reçu un message de sa fille disant qu'elle voulait rentrer à la maison.
« Dorénavant, je vais être un évangéliste, je vais parler à tout le monde des services de recherche du CICR qui peuvent les aider à retrouver leurs proches », a dit son père, transporté de joie.
L'administrateur du CICR dans la région d'Uvira a été agréablement surpris d'apprendre qu'Ebendo est enseignant. L'éducation des enfants est une des pratiques que les administrateurs du CICR encouragent les parents à poursuivre, car les enfants allaient à l'école dans le camp de Lugufu.
Malheureusement, je n'ai pas pu assister à toutes les retrouvailles, car je devais rejoindre mon affectation. Eliza et Lawi Nondo ont été laissés sous la surveillance des administrateurs du CICR du Sud-Kivu et ont retrouvé leur famille plus tard à Kalemie, après deux jours de voyage.
La guerre est terminée, les cicatrices vont disparaître et les enfants s'adapteront sûrement à leur nouvelle vie. Cependant, ces histoires devraient nous rappeler le prix terrible de la guerre.