Informing humanitarians worldwide 24/7 — a service provided by UN OCHA

DR Congo

RD Congo : Une corruption profonde - Fraude, abus et exploitation dans les mines de cuivre et de cobalt du Katanga

Attachments

I. Résumé
La province du Katanga, située au sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), compte parmi les régions productrices de cuivre et de cobalt les plus riches au monde. Pourtant, la population du Katanga, tout comme la population du reste de la RDC, continue de vivre dans une pauvreté extrême, et l'État ne parvient pas à doter une grande partie de la province d'une infrastructure et de services publics de base, surtout dans les zones rurales.

Le secteur minier du Katanga se caractérise par une corruption et une fraude généralisées à tous les niveaux. Une quantité significative de cuivre et de cobalt est exploitée de manière informelle et exportée illicitement. Des agents du gouvernement agissent de connivence avec les sociétés de négoce pour les aider à se soustraire aux procédures de contrôle et au règlement des taxes. Les profits servent à remplir les poches d'une élite peu nombreuse mais puissante, composée de politiciens et d'hommes d'affaires qui exploitent la population locale et l'abondance des ressources naturelles à des fins d'enrichissement personnel. De grandes quantités de minéraux précieux quittent le pays sans avoir été déclarés, d'où une perte importante pour l'économie congolaise et une opportunité manquée de lutter contre la pauvreté et de promouvoir le développement. Selon les estimations d'une source locale, fin 2005, au moins trois quarts des minéraux exportés depuis le Katanga l'étaient de manière illicite.

L'industrie minière du Katanga se compose de deux secteurs parallèles : le secteur formel, au sein duquel des sociétés étrangères et multinationales recourent à des méthodes d'exploitation minière industrielles, et le secteur informel ou « artisanal », au sein duquel des dizaines de milliers de creuseurs cherchent à extraire des minéraux de manière autonome, dans un environnement exempt de toute réglementation. La plupart des produits extraits artisanalement sont exportés à l'état brut, en général sous forme d'hétérogénite, qui contient du cuivre, du cobalt et plusieurs autres minéraux, ou, comme c'est de plus en plus souvent le cas, sous forme de malachite, un important minerai de cuivre. Cela signifie que même lorsque ces exportations sont déclarées, la RDC est lésée en raison des prix plus élevés qu'elle pourrait obtenir si elle traitait elle-même les minéraux avant de les exporter et de les vendre. En effet, le traitement se fait en Zambie, en Afrique du Sud, ou dans le pays destinataire final - dans la plupart des cas en Chine ou dans d'autres pays asiatiques -, assurant à ces pays des gains économiques considérables, mais peu de valeur ajoutée à la RDC.

Ce rapport constitue une mise à jour du rapport de Global Witness intitulé « Ruée et Ruine - Le commerce dévastateur des ressources minières dans le Sud du Katanga », publié en septembre 2004. Le présent rapport repose essentiellement sur des enquêtes menées sur le terrain par Global Witness au Katanga en novembre et décembre 2005. Les enquêteurs de Global Witness ont ainsi interrogé un large éventail d'individus dans la capitale de la province, Lubumbashi, et dans les environs ; dans les zones minières de Likasi et de Kolwezi ; à Kasumbalesa (le poste frontière entre la RDC et la Zambie) ; à Kinshasa, la capitale de la RDC ; et en Zambie, le pays voisin de la RDC situé au sud-est de celle-ci, par lequel transitent les minéraux exportés. Parmi les personnes interrogées figurent des creuseurs, des intermédiaires ou « négociants », des transporteurs, des représentants de sociétés minières et de négoce, des représentants officiels du gouvernement et des forces de sécurité, des syndicalistes, des membres d'organisations non gouvernementales et d'autres membres de la société civile. Des travaux de recherche supplémentaires ont été réalisés en Zambie et en Afrique du Sud en janvier et février 2006.

Ce rapport est principalement consacré au secteur minier artisanal. Bien que l'on ignore le nombre exact de creuseurs artisanaux actifs au Katanga - en raison de l'absence de registres ou de statistiques précis - , ils étaient estimés fin 2005 à environ 150 000, voire plus.2 Ce rapport rassemble des informations sur l'exploitation impitoyable des creuseurs artisanaux par les agents du gouvernement et des forces de sécurité, ainsi que par les sociétés de négoce. Aux niveaux local et provincial, les agents de différents services, dont le ministère des Mines, la police, les douanes, les services de renseignements et les bureaux du gouvernement local, soutirent tous d'importantes sommes aux creuseurs, profitant d'un système reposant sur une corruption institutionnalisée. L'association des Exploitants miniers artisanaux du Katanga (EMAK), qui prétend représenter les creuseurs artisanaux, extorque elle aussi de l'argent aux creuseurs au lieu de protéger leurs intérêts. Des négociants sont exploités financièrement par les sociétés de négoce auxquelles ils vendent leurs minéraux et qui les contraignent à accepter des prix qui ne correspondent pas à la valeur réelle de leurs produits.

En plus de leur vulnérabilité financière, les creuseurs artisanaux du Katanga travaillent dans des conditions difficiles, sans vêtements ni équipements de protection, et sans formation dans ce domaine. Des dizaines de creuseurs meurent chaque année à la suite d'accidents qui auraient pu être évités, le cas le plus fréquent étant lorsqu'ils se retrouvent bloqués à la suite de l'éboulement d'un puits de mine. Personne ne mène d'enquête sur ces morts ou sur le bien-être des creuseurs artisanaux, ni n'en assume la responsabilité. Pourtant, les creuseurs, qui n'ont que très peu d'alternatives pour assurer leur subsistance, continuent de s'exposer à ces risques.

Quant au secteur minier formel du Katanga, il n'est pas non plus exempt de corruption, d'exploitation et d'utilisations abusives. Global Witness, bien que n'ayant pas enquêté de manière approfondie sur le secteur formel du Katanga en 2005, a constaté plusieurs développements inquiétants relatifs à d'importants contrats miniers conclus sous le régime du gouvernement de transition de la RDC. Le présent rapport donne un aperçu des éléments liés à ces contrats signés depuis 2004 qui sont jugés préoccupants. Il s'agit principalement de plaintes émises par la population du Katanga quant à la nature déséquilibrée de ces contrats : en effet, ceux-ci assurent aux entreprises étrangères ou multinationales une part des bénéfices très élevée et disproportionnée par rapport au montant négligeable qui revient à la société minière d'État, la Gécamines. Les perceptions locales du déséquilibre et de cette injustice sont renforcées par le manque de transparence qui entoure ces contrats et par l'absence d'un débat public et d'une consultation. Cette situation a engendré une animosité profonde parmi la population du Katanga, qui voit se volatiliser de son pays les bénéfices potentiellement considérables issus de ces opérations minières, et dont le niveau de vie ne progresse que peu, voire pas du tout.

Le rapport met également en évidence l'implication d'acteurs politiques de haut niveau dans la négociation de ces contrats et le détournement des bénéfices dégagés du commerce des minéraux du Katanga - fief du Président Joseph Kabila.

Les implications de la situation au Katanga dépassent largement les limites géographiques de la province. Contrairement aux autres régions congolaises, le sud du Katanga, où se trouvent les mines de cuivre et de cobalt, n'a pas été le théâtre de combats violents pendant la guerre qui a frappé la RDC, et cette zone est restée sous contrôle gouvernemental. Malgré cela, la corruption, les abus et les pratiques illicites de grande envergure ont persisté dans le secteur minier, et la stabilité relative de la région n'a pas permis à ses richesses naturelles d'engendrer les bénéfices escomptés. Le Katanga devrait servir d'avertissement aux zones minières des régions congolaises moins stables. Le fait que le gouvernement n'ait pas pu ou pas voulu réformer le cadre de gestion des ressources naturelles dans une région qu'il continue de contrôler rigoureusement indique qu'il y a peu de chances que ce type de réformes soit mis en oeuvre dans les zones du pays où le conflit persiste. Le gouvernement congolais et les gouvernements donateurs devraient agir sans plus tarder pour inverser cette situation afin de l'empêcher de dégénérer.

Les élections historiques prévues en RDC pour juillet 2006 représentent une opportunité unique de mettre en place une réforme fondamentale. Ce rapport recommande des mesures que le nouveau gouvernement devrait prendre de manière prioritaire. Si ces réformes sont adoptées dans un très proche avenir, elles pourraient avoir des effets durables sur le développement du pays dans son ensemble et sur la relance de son économie. Elles marqueraient également une étape importante car elles mettraient un terme à des décennies de corruption et d'impunité dans le secteur minier, et permettraient enfin à la population congolaise de commencer à bénéficier des richesses naturelles de son pays.

(en format pdf* - 2.91 MB)