Sur place, les recherches et la complexité du terrain sont autant de défis à surmonter pour redonner de la joie et de l'amour à ces personnes affectées par la guerre.
Il est 13 heures passées de quelques minutes à Manono, dans la province du Tanganyika, dans le sud-est de la RD Congo. Sous un soleil ardent et un ciel dégagé, une septuagénaire accourt en pleurs et bras tendus vers Jason et sa grande sœur, ses deux petits enfants. Âgés respectivement de 12 et 14 ans, ils viennent d'être ramenés de Pweto, une ville située à près de 270 kilomètres dans la province voisine du Haut-Katanga. Il y a trois ans, les deux enfants s'y étaient réfugiés avec un groupe de déplacés, après avoir fui les violences intercommunautaires au cours desquelles ils avaient perdu leurs parents.
En retrait, des agents du CICR et des volontaires de la Croix-Rouge de la RD Congo (CRRDC) esquissent un sourire. Ils ont accompagné ces adolescents et sont à présent soulagés, car la mission est accomplie !
« Pour chacun des 83 enfants qui vont être réunifiés ces trois prochains jours, nous avons eu à faire un travail minutieux de recherche pour retrouver leur famille. Ce processus a pris plus de trois ans dans certains cas », explique Pamela Ongoma, responsable du département de Rétablissement des liens familiaux (RLF) du CICR en RD Congo.
Pour chaque sourire, un travail méticuleux et périlleux
Pamela dirige une équipe de plus de 40 personnes à travers tout le pays. Certains de ses collègues passent une partie de leur quotidien à collecter et encoder les informations données par chaque personne à la recherche d'un membre de sa famille. C'est le cas notamment des agents RLF de terrain, qui opèrent à l'est, une région affectée par les conflits armés. Les demandes en question viennent en général des adultes, des parents désespérés, mais aussi des enfants non accompagnés qui ont été identifiés et enregistrés.
« Pour les adultes, c'est un peu plus facile, car nous recevons la quasi-totalité des détails sur la personne à rechercher. En revanche, quand il s'agit d'un enfant, nous faisons souvent face à une insuffisance d'informations, explique Pamela. Certains ne savent parfois pas si leurs parents avaient des frères ou des sœurs. Ainsi, les coordonnées en rapport avec les adresses physiques peuvent être émiettées, les numéros de téléphone pour contacter les proches sont souvent méconnus. Cela conduit à un processus de recherche plus laborieux. »
À côté de ces difficultés soulevées par Pamela, l'accès physique à la localisation des proches est généralement un parcours semé d'embûches.
La densité et la géographie complexe de ce pays aussi grand que toute l'Europe occidentale constituent souvent des obstacles majeurs au travail de recherche et de réunification. Les infrastructures routières sont presque inexistantes ou en état de délabrement. Les nombreux cours d'eau, les vastes étendues de forêt ou de savane, les montagnes et le climat parfois rebelle rendent plusieurs régions du pays difficiles d'accès, voire inaccessibles. Il faut alors se montrer inventif : à pied, en pirogue, en vélo, à moto, en véhicule et en avion, autant de moyens qu'utilisent les équipes du CICR et les volontaires de la Croix-Rouge de la RD Congo pour redonner le sourire aux familles séparées.
« Ce n'est pas facile de localiser les personnes recherchées. Parfois, l'insécurité due à l'activisme des groupes armés nous handicape. Mais aboutir à une réunification est une joie immense pour nous », témoigne Bilali Barwani, chef du bureau RLF de la Croix-Rouge de la RD Congo à Kalemie, dans le Tanganyika.
Parce qu'il n'existe pas de connexions routières entre le nord, le sud, l'est et l'ouest de la RD Congo, les équipes recourent très souvent au « RED », un avion Dash-8, qui est l'un des deux appareils utilisés par le CICR pour faciliter ses opérations humanitaires dans le pays. En temps normal, quatre rotations hebdomadaires sont exécutées de l'ouest à l'est, sur une distance de plus de 2 000 kilomètres. Mais pour ces 83 enfants répartis dans les provinces du Tanganyika et du Haut-Katanga, en passant par celles du Nord-Kivu, du Kasaï-Oriental et Kinshasa, il a fallu un vol spécial afin qu'ils puissent retrouver leurs familles. Onze rotations en tout, étalées sur trois jours, ont été nécessaires. Cet exercice s'est avéré à la fois excitant et périlleux pour le pilote et son équipage.
« Nous avons l'habitude de transporter des passagers adultes, des médicaments, etc. Mais ce genre de vols avec un grand nombre d'enfants sont toujours assez uniques. Atterrir sur autant de pistes en terre battue, notamment dans le Tanganyika, tout en essayant de limiter les dommages, était un vrai défi », note le chef pilote, Davis Kungu.
A l'atterrissage, ce sont des véhicules, parfois des motos, qui prennent le relai sur des kilomètres de distance pour ramener les enfants dans leurs familles. En général, le travail de recherche effectué en amont par les agents RLF du CICR et les volontaires RLF de la CRRDC permet notamment d'identifier les adresses des enfants et de faire signer aux responsables des familles les fiches de consentement pour la réunification.
Les dernières précautions avant le but ultime
Pour ce qui est des 83 enfants de cette opération, tous ont approuvé leur réunification. C'est le cas notamment de Grâce, 16 ans. Elle vient de Pweto, dans le Haut-Katanga, et va retrouver, ce jour-là, son oncle paternel vivant à Kiambi, à plus de 90 kilomètres de la ville de Manono, dans le Tanganyika. Mais la distance et surtout l'état de la route ainsi que les conditions sécuritaires vont retarder la réunion des deux proches.
« Il se fait tard, nous ne pouvons pas prendre le risque de rouler sur une telle distance avec des conditions de sécurité qui ne sont pas rassurantes. Grâce dormira donc dans un centre d'accueil de religieuses, et demain nous poursuivrons notre route », explique Albert Mbuyi, agent RLF du CICR.
Dès l'aube, le lendemain, Grâce reprend ainsi la route vers la nouvelle étape de sa vie.
« Je suis contente de retourner auprès des miens. Certaines personnes pensent que mes parents sont morts, d'autres disent qu'ils se sont enfuis plus loin. Je savais où vivait ma grand-mère, alors j'avais demandé aux volontaires de la Croix-Rouge de m'enregistrer pour rechercher ma famille », raconte-t-elle.
Pour permettre à des enfants comme Grâce de retrouver leurs proches, il faut notamment aussi s'assurer qu'ils soient en bonne santé et qu'ils aient tout le nécessaire pour retourner chez eux en toute dignité.
« Nous donnons à chaque enfant un kit de réunification, qui comprend notamment des vêtements et des chaussures ainsi qu'une collation. Nous nous assurons également que les enfants qui présentent des signes de maladie soient soignés correctement avant leur retour en famille, explique Albert. Un soutien financier est aussi offert au parent ou au tuteur qui reçoit l'enfant, afin de s'assurer que ce dernier ne va pas constituer une charge supplémentaire pour la famille une fois réunifiée. »
Après cette étape, les équipes du CICR et les volontaires de la Croix-Rouge feront des suivis réguliers dans chaque famille pour contrôler que les enfants sont bien intégrés dans leur nouvel environnement.
« Dans de rares cas, il est arrivé que certains tuteurs nous obligent à donner encore de l'argent pour continuer à prendre soin de l'enfant. Nous réexpliquons alors notre mandat et nos limites. Quand ça ne va vraiment pas bien pour le petit, nous le reprenons et le replaçons auprès d'un autre membre de la famille plus consciencieux », explique Pamela.
Le but ultime des équipes RLF du CICR et de la Croix-Rouge du pays est de réunifier les familles en espérant que la joie et l'amour y perdurent. Pour atteindre cet objectif sans se décourager face aux obstacles, un slogan : « Ensemble, c'est possible ! »