Le groupe armé soutenu par le Rwanda devrait annuler l'ordre illégal de quitter les camps
(Nairobi) – Le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, a illégalement ordonné à des dizaines de milliers de personnes déplacées de quitter les camps aux alentours de Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Depuis que le M23 a pris le contrôle de Goma le 27 janvier 2025, de nombreuses personnes déplacées sont retournées dans leur village ou ont fui vers Goma, où elles font face à des conditions désastreuses et ne reçoivent que peu ou pas d'aide humanitaire. Le 9 février, le M23 a indiqué aux chefs de camps et aux résidents des camps situés à l'ouest de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, qu’ils avaient 72 heures pour quitter les lieux. Le droit international humanitaire, applicable au conflit armé dans l’est de la RD Congo, interdit le déplacement forcé de civils, sauf si cela est nécessaire pour leur sécurité ou pour des impératifs militaires.
« L’ordre du M23 d’expulser de force des dizaines de milliers de personnes déplacées de camps pour les envoyer vers des zones sans aucun soutien est à la fois cruel et susceptible de constituer un crime de guerre », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le Rwanda et les autres pays ayant une influence sur le M23 devraient faire pression sur ce groupe armé pour qu'il change de cap immédiatement. »
En février, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 22 anciens résidents de camps, des chefs de camps et d'autres témoins d’abus, et a analysé des images satellite montrant des camps démantelés au nord de Goma.
Avant l'offensive du M23 et des forces rwandaises sur Goma en janvier, la ville comptait plus d'un million d'habitants et abritait plus d'un demi-million de personnes déplacées, la plupart dans des sites de déplacés au nord et à l'ouest de la ville. Selon l’ONU, près de 3 000 combattants et civils ont été tués et des milliers d’autres personnes ont été blessées lors des combats.
Deux travailleurs humanitaires et plusieurs résidents des camps ont déclaré que le 9 février, le M23 avait demandé aux habitants des camps de Bulengo et de Lushagala, situés à l'ouest de Goma, qui à eux deux accueillaient plus de 100 000 personnes, de quitter les lieux dans les 72 heures. Depuis l’annonce de l’ordre du M23, le camp de Lushagala a été pillé et les organisations humanitaires n’ont pas pu y poursuivre leur travail, ont déclaré un travailleur humanitaire et un témoin à Human Rights Watch.
« Nous avons essayé d'expliquer pourquoi nous sommes encore ici », a déclaré un résident des camps présent lors de la réunion avec le M23. « La majorité d'entre nous n'a plus de maison, certains sont handicapés et ont besoin d'aide pour voyager, d'autres ont des familles nombreuses. Nous n'avons pas de nourriture pour subvenir à nos besoins lors du déplacement. Mais ils [le M23] ont répondu à toutes nos préoccupations en disant ‘Ce qui est dit est dit. D’ici jeudi, tout le monde devrait être parti’. »
Un homme qui a fui les combats à Goma fin janvier a déclaré : « Nous savons que lorsque le M23 arrive quelque part, ils forcent tout le monde à partir et ferment les camps. Ils font cela partout où ils vont. »
Le 12 février, un camp connu sous le nom de « Lushagala extension » a également été démantelé. Le 13 février, Human Rights Watch a reçu des photos, des vidéos et un témoignage indiquant que la population locale et des résidents des camps avaient démantelé des abris et des infrastructures médicales, et que des personnes déplacées quittaient Goma. Le témoin a déclaré que des responsables du M23 ainsi que des chefs de camps étaient présents lors du démantèlement du camp et n’ont pas réagi.
Fin janvier, une personne de la ville de Minova, située dans le Sud-Kivu, à l’ouest de Goma, a déclaré à Human Rights Watch que le M23 avait démantelé les camps de déplacés et forcé les résidents à partir. Le M23 avait dit aux habitants des camps ne pas s’attendre à des aides supplémentaires et de rentrer chez eux. Un travailleur humanitaire a déclaré qu'en janvier, le M23 avait déclaré aux chefs des camps dans les villes de Minova et de Masisi que les camps devaient être fermés, et que les organismes d’aide ne pourraient aider les personnes restées dans les camps que sous certaines conditions spécifiques.
Des travailleurs humanitaires et des personnes déplacées ont déclaré qu'aucun des camps situés dans le territoire de Nyiragongo au nord de Goma n’existent encore, et que les résidents des camps étaient soit rentrés chez eux, soit s'étaient retrouvés dans des églises, des écoles ou auprès de familles d'accueil à proximité ou dans la ville.
Le 3 février, le Bureau de la coordination des affaires humanitaire des Nations Unies (OCHA) a déclaré que trois sites de déplacement situés au nord de Goma – Don Bosco, Bushagara et EP Mbogo – avaient été détruits et abandonnés et que plus de la moitié des personnes déplacées étaient reparties vers leurs régions d'origine, contrôlées par le M23. Les avis sont partagés quant à l'identité des personnes qui ont démantelé les camps, mais il semblerait que la population locale en soit responsable.
Des images satellite du 31 janvier analysées par Human Rights Watch confirment que la population a abandonné pratiquement tous les camps dans le territoire de Nyiragongo. Seuls des débris sont visibles là où se trouvaient auparavant des abris.
Des travailleurs humanitaires ont déclaré qu’à compter du 11 février, il restait des dizaines de milliers de personnes dans certains des camps à l'ouest de Goma, y compris de nombreuses personnes qui avaient initialement fui à l'approche du M23, mais sont ensuite revenues. Ils ont indiqué que d'autres camps de la région avaient été abandonnés, vidés ou détruits, et que 80 pour cent des résidents vivaient désormais avec des habitants locaux ou dans des sites surpeuplés à Goma ou dans les environs.
Le 10 février, l'Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition politico-militaire qui comprend le M23 et d’autres partis politiques et groupes armés, a déclaré dans un communiqué que « les déplacés internes retournent volontairement dans leurs foyers désormais pacifiés en zone libérée. L'AFC/M23 soutient pleinement ce processus et l’encourage, mais ne contraint personne à rentrer tant que les assurances de sécurité ne sont pas réunies ».
Le 13 février, Human Rights Watch a écrit au coordinateur de l’AFC, Corneille Nangaa Yobeluo, pour solliciter des informations sur les ordres donnés à la population par le M23 de quitter les camps, et pour demander s’ils facilitaient l’acheminement de l’aide pour les personnes déplacées à Goma et dans leurs villes d’origine, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.
Les combats à Goma impliquant le M23 et les forces rwandaises contre l’armée congolaise et leurs milices alliées ainsi que le pillage des entrepôts qui s'en est suivi ont interrompu de manière considérable les activités des organisations humanitaires, y compris celles qui fournissent une aide essentielle aux populations déplacées et vulnérables dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. L'aéroport de Goma a été fermé depuis que le M23 a pris le contrôle de la ville, coupant l’approvisionnement de nouvelles fournitures d'aide essentielle.
De nombreuses personnes déplacées ont déclaré qu'elles ne pouvaient pas retourner dans leurs régions d'origine sans un soutien durable de la part des groupes humanitaires pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois parce que leurs champs n'avaient pas été labourés, qu'il n'y avait pas d'autre soutien alimentaire sur place, et que leurs maisons et les infrastructures de santé avaient été détruites. Certaines personnes ont exprimé des inquiétudes quant aux munitions non explosées et à la présence d'hommes armés dans leurs villes d'origine, affirmant qu'il était dangereux d’y retourner.
Le M23 et les forces rwandaises qui contrôlent Goma devraient immédiatement veiller à ce que les civils, y compris les personnes déplacées, ne soient pas transférés illégalement de leurs sites de déplacés et ne se voient pas refuser l'accès à des ressources essentielles à leur survie, telles que l'eau, la nourriture, un logement et des médicaments. Le M23 et les forces rwandaises devraient également faciliter un passage sécurisé vers les zones contrôlées par les forces congolaises pour les civils qui choisissent de quitter la ville.
L'ONU, les organismes régionaux et les bailleurs de fond devraient faire pression sur le gouvernement rwandais et le M23 pour qu'ils garantissent la santé et le bien-être de la population dans les territoires qu'ils contrôlent, conformément au droit international humanitaire et relatif aux droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Ils devraient exhorter toutes les parties au conflit à faciliter l'accès à l’aide humanitaire et assurer la libre circulation des travailleurs humanitaires.
« Les forces rwandaises et le M23 devraient respecter le droit international humanitaire et mettre fin au déplacement illégal de civils », a conclu Clémentine de Montjoye. « Les gouvernements préoccupés devraient faire pression sur toutes les parties au conflit pour qu'elles respectent les droits des personnes déplacées et veillent à ce que l'accès à l’aide humanitaire soit pleinement rétabli et protégé. »
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