Référence: SPEECH/09/586
Karel De Gucht, Commissaire pour le Développement et l'aide humanitaire
La violence en République Démocratique
du Congo
Débat au Parlement européen
16 décembre 2009, Strasbourg
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés
Il y a environ un an, la situation de Goma assiégée par les troupes du CNDP menées par Laurent Nkunda était la préoccupation principale des autorités congolaises et de la Communauté internationale.
Tout a été mis en œuvre pour éviter le pire. Promouvoir d'abord un accord politique entre la RDC et le Rwanda et ensuite entre le Gouvernement congolais et le CNDP et les autres groupes armés a permis, à court terme, de désamorcer le détonateur d'une explosion de violences dont le potentiel déstabilisateur reste aujourd'hui néanmoins intact.
Intact parce que les causes sous-jacentes ont été abordées de façon superficielle et dans une pure logique politique de court terme. N'ayant devant soi que de mauvaises solutions, la Communauté internationale a opté pour la moins grave ; ce n'est pas une critique, juste une évidence, une constatation.
La Communauté internationale et l'Union Européenne n'ont pas pu se décider d'envoyer une force de protection. Les renforcements de la MONUC demandés depuis plus d'un an commencent à peine à arriver.
Le récent rapport du groupe d'experts indépendants des Nations Unies ainsi que celui que Human Rights Watch font un constat accablant de la situation actuelle qu'il n'est pas possible d'ignorer ou passer sous silence.
Il est maintenant temps que ces causes profondes soient abordées, traitées et que des solutions durables soient envisagées.
Pour ce faire, il faut néanmoins la coopération de tout le monde, des Gouvernements congolais et rwandais en premier lieu, de la MONUC et des Nations Unies et du reste de la Communauté Internationale et de l'Union Européenne ensuite.
Nul ne doute que le rapprochement politique et diplomatique entre le Rwanda et la RDC puisse être bénéfique pour la stabilité de la région et permettre, si la bonne volonté existe, de deux cotés, de conduire à une coexistence pacifique et une coopération profitable aux deux pays au sein d'une CEPGL redynamisée.
Toutefois ceci n'est que le début d'un chemin qui est encore long et plein de difficultés.
La question des FDLR est au cœur du problème ainsi que toutes les problématiques annexes qu'elle entraîne et qui compliquent la donne:
l'exploitation illégale des ressources naturelles,
le manque de protection des minorités,
l'impunité dans une vaste zone de non-Etat où la puissance publique non seulement est incapable d'assurer le contrôle du territoire mais dont les représentants font souvent fait partie du problème.
L'accord Rwanda-RDC a permis de neutraliser temporairement le CNDP et les revendications inacceptables de Laurent Nkunda: l'accord s'est tout simplement soldé par le remplacement de Nkunda par Bosco Ntaganda, plus malléable et prêt à n'importe quel compromis, en échange d'une immunité en violation de toutes les dispositions internationales en matière de crimes contre l'humanité que ni le Rwanda ni la RDC ne sont en droit ni en position de lui accorder.
A ce jour,
l'intégration hâtive du CNDP dans une armée inefficace et proie de la gabegie comme les FARDC ;
l'accroissement d'un pouvoir autonome de Bosco Ntaganda par la mise en place d'une chaîne de commandement parallèle au sein des FARDC auquel le paiement irrégulier des militaires et l'absence de toute forme de discipline et hiérarchie fournissent un terrain fertile;
un appui de la MONUC aux opérations militaires contres les FDLR qui n'est pas suffisamment encadré et calibré ;
le manque de réponse face aux revendications des minorités rwandophones
Tous ces facteurs risquent de créer des problèmes encore plus graves que celui auquel nous étions confronté il y a un an.
Des problèmes que ni le Rwanda ni la RDC ne seront plus à même de gérer.
Sur cette toile de fond, la situation ne s'est guère améliorée: la crise humanitaire se poursuit sans signaux évidents d'amélioration ainsi que les violations des droits de l'homme comme le phénomène exécrable des violences, voire des atrocités sexuelles, l'impunité pour toutes sortes de crimes, le pillage des ressources naturelles.
Il suffit de lire les rapports des Nations Unies et de Human Right Watch que j'ai mentionnés pour prendre la mesure de l'ampleur de cette tragédie sans fin. Il est clair que les actions visant la mise hors d'état de nuire des FDLR doivent se poursuivre, mais pas à n'importe quel prix, pas sans d'abord mettre tout en place pour minimiser les risques que la pression militaire entraîne pour les civils innocents.
Cela requiert une meilleure planification, le recentrage des priorités et une capacité accrue de la MONUC d'assurer la protection des populations, sa première tâche selon son mandat.
Il faut aussi que les conditions dans lesquelles la MONUC peut opérer soient claires et sans ambiguïtés.
Il n'est pas question ici de demander un retrait ou un désengagement de la MONUC. Un départ hâtif de la MONUC serait catastrophique car il rendrait le vide encore plus vide: les événements récents de l'Equateur, qui sont avant tout un symptôme supplémentaire du mal congolais, le démontrent.
Il est clair qu'il faut aussi mettre fin aux connivences politiques et économiques dont continuent à bénéficier les FDLR dans la région et ailleurs dans le monde, dans nos Etats membres entre autres. Le combat des FDLR n'est pas un combat politique, mais une action criminelle dont la population congolaise est la première victime et c'est ainsi qu'il doit être traité comme tous ceux qui s'y associent directement ou indirectement. Pour cela il faut plus de fermeté face à toutes sortes de trafics. En même temps, au delà du processus de démobilisation, désarmement et réinsertion /réintégration/rapatriement (DDRRR), une plus grande clairvoyance des autorités rwandaises et congolaises vis-à-vis de ceux qui ne sont pas nécessairement des criminels est de mise.
Cela étant, une bonne partie du problème doit également trouver une solution en RDC. Je pense bien entendu aux racines locales du conflit.
A ce propos les accords du 23 mars doivent être intégralement appliqués sous peine de voir tôt ou tard les frustrations des populations locales prendre le dessus. C'est une condition sine qua non pour que les efforts de stabilisation et la volonté de relancer l'activité économique dans les Kivus puissent réussir. Le rôle de la communauté internationale pourra alors être vraiment utile (COM, vient d'octroyer 35 M € au plan Starec du gouvernement, outre une contribution annuelle au titre de l'aide humanitaire de l'ordre de 50 M €).
Cependant, au-delà des Kivus, je pense aussi à l'énorme gâchis qu'est devenue depuis une vingtaine d'années la RDC. Un pays où presque tout est à refaire, à commencer par la reconstruction de l'Etat dont l'absence est au cœur de tous les problèmes.
Pour ce faire, quelques éléments sont cruciaux.
En premier lieu, la consolidation de la démocratie. Je pense bien entendu aux élections, locales, législatives et présidentielles qui s'annoncent pour 2011.
Les élections sont un élément de la démocratie mais il ne faut pas oublier la nécessité de continuer à soutenir les institutions et les forces politiques dans une dimension dialectique avec l'opposition, sans laquelle nous ne serions pas dans un véritable système politique ouvert.
Le deuxième élément c'est assurément la nécessité d'approfondir la bonne gouvernance. Or, s'il est vrai que, devant l'ampleur des problèmes, la RDC ne peut pas tout faire à la fois, il est clair qu'il faut une volonté politique sans faille pour avoir une chance de réussir.
Le Parlement a mentionné la question de l'impunité. C'est un bon exemple. Car il s'agit d'une question de volonté politique qui sous-tend par ailleurs toute la question de l'affirmation de l'Etat de droit.
Le problème est que les choses ne peuvent pas se faire isolément. L'Etat de droit requiert aussi une réforme du secteur de la sécurité et des progrès réels dans la gouvernance économique.
L'ampleur des défis implique des politiques sur le long terme. Toutefois, cela ne doit pas constituer une excuse pour que des actions plus immédiates ne voient pas le jour. Je pense notamment à la question des violences sexuelles et des droits de l'homme que le Parlement a mis en exergue. La volonté politique peut y jouer un rôle déterminant et il faut saluer à ce titre l'engagement de tolérance zéro de la part du Président Kabila. Il faut maintenant l'appliquer.
La Commission, qui fait d'ailleurs déjà beaucoup dans ce domaine (appui à la justice, aide aux victimes) est prête à poursuivre son appui à la RDC. A ce titre j'ai également souhaité qu'une coopération plus étroite dans le domaine de la lutte contre les violences sexuelles se mette en place, sur le terrain, entre la CPI et la Commission.
Consolidation du système démocratique, bonne gouvernance, volonté politique: voici les éléments clés sur lesquels nous voudrions bâtir notre partenariat d'égal à égal avec la RDC.