I. Résumé
1. Ce rapport présente le récapitulatif des missions d'évaluation et d'enquête qui ont été menées, entre les mois de mai 2008 et juin 2009, par les équipes du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l'Homme (BCNUDH) en République démocratique du Congo (RDC), sur les violations des droits de l'homme commises par l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), sous le commandement en chef de Joseph Kony et d'officiers supérieurs, dont certains sont sous mandats d'arrêt de la CPI. Le rapport porte essentiellement sur les attaques perpétrées du mois de septembre 2008 au mois de juin 2009.
2. Au cours des 14 missions menées par le BCNUDH en vue d'enquêter sur les violations perpétrées par la LRA dans les districts du Haut-Uélé et du Bas-Uélé, des dizaines de rencontres, de réunions et de visites de sites ont été menées et des centaines de témoignages ont été recueillis auprès de victimes et de témoins.
3. Selon les informations recueillies par le BCNUDH, plus précisément au cours de ses missions dans les localités et villages des territoires de Dungu, Faradje, Watsa et Niangara, dans le district du Haut-Uélé, et d'Ango et de Poko, dans le district du Bas-Uélé, au nord-est de la province Orientale, le bilan provisoire des attaques menées par la LRA à l'encontre des populations civiles entre les mois de septembre 2008 et juin 2009 est le suivant:
- au moins 1.200 civils tués par balle et arme blanche, parmi lesquels certaines femmes qui auraient été violées avant leur exécution ;
- plus de 100 personnes blessées par balle et arme blanche ;
- plus de 1.400 personnes enlevées, dont des hommes parmi lesquels certains ont été exécutés en chemin ou sont portés disparus, et au moins 630 enfants (filles et garçons), ainsi que plus de 400 femmes. Les victimes d'enlèvement ont été assujetties, lors de leur captivité, à des travaux forcés dans les champs, ont été forcées de transporter des biens pillés ou des effets personnels ou ont été enrôlées. Les femmes ont été mariées de force à des éléments de la LRA et/ou soumises à un esclavage sexuel ;
- des milliers d'habitations, des dizaines de boutiques et commerces, ainsi que des bâtiments publics, notamment au moins une trentaine d'écoles, des centres de santé, des hôpitaux, des églises, des marchés, des sièges de chefferies coutumières, pillés et/ou incendiés ;
- plus de 200.000 personnes déplacées. Ces déplacés ont vécu dans des conditions précaires en raison de la lenteur de l'acheminement de l'assistance humanitaire. Ces déplacés ont également été soumis à des violations des droits de l'homme commises par des FARDC, qui étaient sensées les protéger.
4. Ces attaques et violations systématiques et généralisées des droits de l'homme menées par la LRA depuis la mi-septembre 2008 contre les civils congolais durant un conflit armé pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité imprescriptibles par nature selon le droit international. Il convient de rappeler que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale définit certaines violations des droits de l'homme comme constituant des crimes contre l'humanité. Ces actes, commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque, comprennent, inter alia, le meurtre, la torture, le viol, l'esclavage sexuel et les disparitions forcées de personnes.
5. Les opérations militaires successives pour éradiquer la LRA, notamment Rudia (MONUC/FARDC) et Lightning Thunder de la RDC, de l'Ouganda et du Sud-Soudan, ne semblent pas avoir été suffisamment préparées et coordonnées et ont de plus eu lieu dans une région méconnue et difficilement accessible. Ces différents facteurs ont permis à la LRA de se muer en groupuscules d'éléments mobiles harcelant les forces de sécurité congolaises et difficiles à éviter par les populations civiles.
6. Dans le cadre de sa stratégie de défense et de survie, en réaction à toute initiative visant son démantèlement, la LRA a semé la panique au sein des populations civiles de plusieurs localités, y compris celles servant de refuge aux déplacés, et ce malgré le nombre croissant de militaires congolais déployés depuis la fin du mois d'août 2008. Ainsi devenue plus complexe et difficile à neutraliser militairement, la LRA a continué de commettre des violations des droits de l'homme à l'encontre des civils. Des éléments des forces armées congolaises, sensées protéger la population civile, ont également commis des violations des droits de l'homme, telles que des exécutions, des viols, des arrestations et détentions arbitraires et illégales, des traitements cruels, inhumains ou dégradants et des extorsions. Une impression générale d'abandon et d'indifférence de la part de la communauté internationale et des autorités gouvernementales de la RDC s'est développée au sein des populations victimes et a généré l'émergence de « groupes d'auto-défense locaux ».
7. La LRA représente une problématique régionale, qui pose avec acuité la question de la protection des populations civiles des régions frontalières avec la RDC et qui exige des réponses aussi bien politiques, militaires que judiciaires. Les activités de la LRA ont affecté les populations civiles d'abord au nord-ouest de l'Ouganda, puis au Sud-Soudan et actuellement au sud-est de la République centrafricaine et au nord-est de la RDC, en province Orientale. Elle semble montrer que, depuis ses origines, en réponse aux pressions, initiatives ou stratégies de toute nature, y compris militaires, visant à la démanteler, elle possède la capacité de se muer, de se soustraire aux initiatives de paix, de se réorganiser et de poursuivre ses activités criminelles dans la région. Il apparaît absolument nécessaire d'envisager une réorientation et de redéfinir les approches de nouvelles opérations militaires d'une part pour la protection des civils et d'autre part pour le démantèlement effectif de la LRA.
8. Ces opérations militaires devront répondre à la profonde préoccupation exprimée par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l'Homme, Mme Navi Pillay, à savoir que ces opérations, à moins qu'elles ne soient planifiées et exécutées de façon adéquate, pourraient conduire à de nouveaux abus contre la population civile prise entre les parties en conflit. Le BCNUDH recommande que les opérations militaires soient mieux préparées et coordonnées avec l'implication, dès leur conception, des principaux alliés et partenaires, notamment la MONUC, afin d'intégrer des mesures de protection des civils spécifiques contre les violations des droits de l'homme commises par la LRA, qui pourraient résulter des affrontements.
9. Par ailleurs, il est important que la communauté internationale renforce, de manière urgente et significative, les ressources et les capacités de la MONUC afin qu'elle puisse assumer plus efficacement son mandat de protection des civils, d'appui à la réforme de la sécurité et de restauration de l'autorité de l'Etat en RDC. Dans ce cadre, un accent particulier devrait être mis pour désamorcer, dans le Haut-Uélé et le Bas-Uélé, le développement des groupes d'auto-défense qui se sont transformés en milices et mettre fin à la prolifération des armes et à toutes sortes d'abus contre les populations civiles.
10. Le BCNUDH encourage les acteurs concernés à poursuivre leurs efforts afin de trouver une solution au problème de la LRA dans un nouveau cadre si nécessaire. Enfin, le BCNUDH rappelle que tout accord de paix durable doit être basé sur des principes de justice, de responsabilité et de droit. Dans cette optique, le BCNUDH encourage les Etats concernés à élaborer et à mettre en place, au plus vite, une stratégie visant à l'arrestation des dirigeants de la LRA sous le coup de mandats d'arrêt internationaux. Les autorités congolaises devraient également enquêter et poursuivre les auteurs présumés de violations des droits de l'homme, issus des forces de sécurité congolaises.