« Venez, venez, c’est l’heure ! » Cet appel est lancé toutes les semaines par les habitants dans les quartiers de Mambasa pour suivre l’émission de maitre Glody Bonyoma. Glody est un jeune avocat dynamique à la tête de la clinique juridique de Mambasa, une localité située à 170 km de Bunia. Chaque semaine il anime une émission de sensibilisation sur les ondes de la radio communautaire de Mambasa. L’objectif ? Informer le plus largement possible la population sur les mesures à prendre en cas de viols et pour lutter contre l’impunité.
La situation sécuritaire dans la province de l'Ituri est très volatile. Bien qu'elle retienne moins l'attention de la communauté internationale, cette province a le deuxième taux le plus élevé d’incidents de violence sexuelle en RDC, après le Nord-Kivu. Plusieurs initiatives en cours, dont un projet conjoint des Nations Unies, aident les populations et les autorités locales à rétablir la paix et la stabilité dans la zone. Les radios locales sont un acteur clé pour sensibiliser les populations à la lutte contre l’impunité.
Maître Glody partage l'expérience en cours « Notre clinique juridique est une association qui sensibilise et informe gratuitement la population en termes de droit. L’accès à la justice est nouveau pour de nombreux citoyens des zones reculées du territoire de Mambasa. Beaucoup de personnes préfèrent malheureusement régler les problèmes de viols à l’amiable. Mais dans ce cas il n’y a pas de poursuite des criminels qui peuvent recommencer librement sur d’autres victimes. Nous développons des actions de sensibilisation et dans ce cadre nous collaborons avec la radio locale pour informer largement la population sur l’importance de porter plainte. Nos émissions de sensibilisation sur les violences sexuelles qui sont très écoutées. Les jeunes ont la possibilité d’appeler et ils posent beaucoup de questions ! Nos émissions changent quelque chose dans la vie des gens. Par exemple les élèvent savent à présent comment se défendre en cas d’agression. Avec la sensibilisation les victimes et leurs familles font plus facilement recours à la justice. Nous réalisons également des actions de sensibilisation dans les quartiers au porte à porte et dans les écoles. Lors de ces activités nous avons recueilli des témoignages d’abus mais malheureusement beaucoup de victimes ne veulent pas aller en justice car elles ont peur des représailles »
M. Rachidi Salimini Racho est directeur de la radio communautaire de Mambasa. Passionné par son métier, il partage l’impact des programmes radio locaux « Ce qui intéresse le plus nos auditeurs ? Les informations sur chef-lieu du territoire, les infos touchant à l’environnement, à la santé, à la lutte contre les VBG et l’accès à la justice. Le rôle de la radio est de sensibiliser la communauté à l’auto prise en charge, à la paix durable et au développement. C’est le premier outil de communication pour faire sortir la population de la sous-information. A l’avenir, nous souhaitons pérenniser la radio et étendre la zone d’émission à toute la province de l’Ituri car actuellement nous n’émettons que dans un rayon de 60km ! »
Les cliniques juridiques travaillent également avec un réseau de relais sur le terrain. Ces points focaux sont appelés parajuristes, des civils formés aux notions élémentaires de droit. Les parajuristes partagent à leur tour leurs connaissances aux leaders communautaires qui transmettent les messages auprès des communautés. La circulation de l’information permet de référer les victimes de violences sexuelles vers la clinique juridique qui apporte un appui légal et oriente vers les services médicaux et psychologiques nécessaires. Les victimes précarisées reçoivent également un appui à la création d’emploi via des formations et des kits de réinsertion socio-professionnelle.
Les cliniques juridiques ont amélioré le suivi judiciaire et les poursuites des auteurs de crimes. Elles permettent de lutter sérieusement contre l’impunité. Elvira est mariée et a 2 enfants, victime d’une agression, elle a pu bénéficier des services de la clinique juridique. Elle témoigne. « J’ai été violée en prison par un haut gradé de l’armée lors d’une détention provisoire. J’ai eu le courage d’en parler avec mon mari qui m’a soutenue. Ensemble nous avons demandé un appui à la clinique juridique et le coupable a fini par être arrêté. J’ai été soignée et mise en sécurité »
Un projet multiforme pour restaurer la paix
La clinique juridique de Mambasa et ses actions de sensibilisation sont soutenues par le PNUD à travers le projet conjoint « AMANI NI NJIA YA MAENDELEO » (la Paix est la voie du Développement). Mais bien d’autres activités sont menées dans les domaines de la sécurité, de la justice et du développement socio-économique. Ce projet mené par ONUHABITAT, l’OIM, la FAO, l’UNESCO, le PNUD et la MONUSCO vise globalement à la stabilisation de l’axe Mambasa-Epulu-Niania. Il s’agit de contribuer à la restauration d’un minimum sécuritaire ainsi que la lutte contre l’impunité des crimes de violences sexuelles. Le projet a ainsi formé 25 officiers de la police judiciaire (OPJ) pour accueillir et accompagner les victimes de violences sexuelles et basées sur le genre.
Le territoire concerné est aurifère et compte plusieurs mines contrôlées par des groupes paramilitaires. La sécurité reste difficile dans les carrés miniers mais Jean Jacques Muteba, Procureur de la République auprès du Tribunal de Paix de Mambasa, note de substantives améliorations. Il témoigne « Le projet « AMANI NI NJIA YA MAENDELEO » a aidé à informer la population sur la raison d’être du parquet et des autres institutions de l’état. Les sensibilisations ont été menées avec l’administrateur du territoire, les militaires, le président du tribunal de paix. Des audiences foraines ont été organisées dans le territoire pour juger une série de crimes et lutter contre l’impunité. Suite aux différentes actions menées j’ai constaté une prise de conscience et un changement d’attitude dans la problématique des viols. Les femmes connaissent leurs droits et savent comment dénoncer les abus. »
La zone géographique des interventions du projet est contenue dans la Réserve de Faune à Okapis (RFO). La particularité de cette réserve consiste à la présence autorisée d’un nombre limité de population et une limitation à l’accès aux ressources naturelles (Interdiction d’exploitation minière, limitation de l’agriculture…). Ceci est à la base de la persistance des conflits liés à l’accès à la terre et aux ressources naturelles opposant les communautés riveraines et le gestionnaire de la RFO - (ICCN). Cette problématique est accentuée par l’activisme de différents groupes rebelles autour et dans la Réserve. Par ailleurs, l’importance des flux migratoires de nombreuses populations venant des territoires voisins augmente la pression sur les terres et les ressources naturelles. Lucien Gédéon Lukumu, directeur du parc Faune Okapi rapporte qu’« après les attaques de 2012, des opérations militaires ont été montées pour sécuriser la zone et la RFO a retrouvé une certaine stabilité. Le projet « AMANI NI NJIA YA MAENDELEO » a par la suite beaucoup apporté en termes d’amélioration de la conservation du parc grâce au dialogue avec les communautés. »
Pour pérenniser les acquis du projet, les progrès à atteindre et défis à relever sont encore nombreux. La zone doit être désenclavée à l’aide de routes pour stimuler l’activité économique. Les entités décentralisées de l’Etat doivent être renforcées et plus d’emplois créés pour éviter l’exploitation des zones protégées. Dans cette perspective, les communautés et la RFO se déjà sont accordés sur un cadre de concertation permanent à ce sujet, et le dialogue entre la population, la société civile et les représentants de l’état gagnera à être perpétué dans le long terme.
Aude Rossignol