I. Introduction
- Le présent rapport, soumis en application du paragraphe 46 de la résolution 2463 (2019) du Conseil de sécurité, passe en revue les principaux faits nouveaux survenus au République démocratique du Congo du 8 mars au 28 juin 2019. Il expose les progrès accomplis dans l’exécution du mandat de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) depuis mon rapport du 7 mars 2019 (S/2019/218), donne un aperçu de l’évolution de la situation politique, décrit les progrès réalisés dans l’ajustement des priorités, du dispositif et de la présence de la Mission, ainsi que la poursuite de son action globale de protection des civils, et contient des informations concernant l’efficacité des agents en tenue de la Mission.
II. Situation politique 2. Après la passation pacifique des pouvoirs en République démocratique du Congo le 24 janvier, les institutions législatives et exécutives nationales et provinciales ont été installées conformément à la Constitution. Le retour des chefs de l’opposition en République démocratique du Congo a contribué à faire évoluer la dynamique de nouveaux équilibres de pouvoir entre les forces politiques du pays. Le Président Félix Tshisekedi a poursuivi ses initiatives de renforcement de la coopération bilatérale et régionale, en mettant en application son programme national d’urgence, en assurant l’ouverture de l’espace politique, et en améliorant la situation de sécurité dans le pays.
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Le 20 mai, le Président Tshisekedi a nommé Sylvestre Ilunga Ilunkamba Premier Ministre. Le nouveau Premier Ministre a occupé diverses hautes responsabilités sous la présidence de Mobutu Sese Seko et a été, jusqu’à sa nomination, le Directeur général de la Société nationale des chemins de fer du Congo. Il est membre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ancien Président Kabila, l’un des principaux partis composant le Front commun pour le changement (FCC). Sa nomination est le résultat de plusieurs séries de consultations entre le Président Tshisekedi et l’ancien Président Kabila. Au moment de la rédaction du présent rapport, le Premier Ministre nouvellement nommé n’a pas encore pris ses fonctions.
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L’installation des institutions nationales et provinciales s’est poursuivie. Le 30 mars, la Cour constitutionnelle a validé le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale et, au 21 mai, en avait terminé avec la procédure de jugement du demimillier de recours environ déposés à l’issue des élections législatives du 30 décembre 2018. Le 24 avril, Jeanine Mabunda, représentante du PPRD, a été élue Présidente de l’Assemblée nationale et Présidente du Bureau de l’Assemblée, lequel est composé de sept membres. Jean-Marc Kabund-a-Kabund, le Président par intérim de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), l’un des partis de Cap pour le changement (CACH), la coalition du Président Tshisekedi, a été élu Vice-Président du Bureau. Les six membres du Bureau appartiennent à la coalition parlementaire FCC-CACH. Le vote a été boycotté par l’opposition, qui a estimé que les dix députés de l’opposition élus à l’issue des élections législatives du 31 mars tenues dans le MaïNdombe et le Nord-Kivu devaient être pris en compte quant au choix du nombre de postes à allouer à l’opposition dans le Bureau. Après quoi, l’opposition a porté cette question devant le Conseil d’État, qui n’a pas encore statué en l’espèce. Des discussions sont en cours à l’Assemblée nationale afin de trouver un compromis.
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Le 18 mai, des élections indirectes aux postes de sénateurs ont eu lieu dans les 26 assemblées provinciales. Elles ont fait l’objet d’allégations de corruption et ont déclenché des manifestations et des actes sporadiques de violence, qui sont principalement le fait de partisans de l’UDPS. Un certain nombre de manifestants ont exprimé leur colère face à la victoire du FCC qui a remporté la majorité des siège s au Sénat, notamment dans les assemblées provinciales du Kasaï-Oriental et de Kinshasa, où l’UDPS a obtenu la majorité. L’installation des sénateurs a eu lieu le 2 avril, mais ils doivent encore élire leur Président et leur bureau.
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Au niveau provincial, les élections législatives qui avaient été reportées se sont tenues dans le Maï-Ndombe et le Nord-Kivu le 31 mars. En dépit des inquiétudes suscitées par les activités des groupes armés, les déplacements de population et l’épidémie d’Ebola, ces élections ont été organisées dans un climat de calme relatif. Au 18 juin, 25 des 26 bureaux des assemblées provinciales étaient installés.
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Lors d’une réunion interinstitutionnelle présidée le 18 mars par le Président Tshisekedi et à la suite d’allégations de corruption avancées au cours des élections sénatoriales, il a été décidé de reporter les élections des gouverneurs. Prévues à l’origine pour le 26 mars, ces élections ont eu lieu du 10 au 15 avril dans 23 provinces. Les élections des gouverneurs des provinces du Maï-Ndombe et du Nord-Kivu se sont tenues le 30 mai. Dans la province du Sankuru, les différends portant sur la liste définitive des candidats ont conduit au report sine die des élections.
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Si la représentation des femmes dans les nouvelles institutions reste faible, l’élection de Jeanine Mabunda à la présidence de l’Assemblée nationale est à noter, dans la mesure où il s’agit de la deuxième femme à occuper cette fonction et de la première à y avoir été élue. A l’Assemblée nationale et dans les assemblées provinciales, les femmes représentent environ 10 % des élus contre 18 % au Sénat. Aucune femme n’a été élue au poste de gouverneur, bien que trois femmes occupent à présent celui de vice-gouverneur.
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La Cour constitutionnelle a poursuivi son examen des différends soulevés par le résultat des élections législatives du 30 décembre 2018. Le 11 juin, la Cour a annoncé l’invalidation de l’élection de deux sénateurs, tous deux de Lamuka, et de 33 membres de l’Assemblée nationale, dont 21 sont affiliés à Lamuka et 12 à des partis associés au FCC. Trente-deux membres du FCC et un membre de CACH ont été déclarés élus à leur place. Le 13 juin, à Kinshasa, en signe de protestation contre l’annonce de la Cour constitutionnelle, les membres et les partisans de la coalition Lamuka ont organisé une manifestation devant les locaux de la Cour et Lamuka a décidé de suspendre sa participation à l’Assemblée nationale.
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La prédominance du FCC est écrasante dans les nouvelles institutions. Il détient 361 des 500 sièges de l’Assemblée nationale contre 49 pour CACH et 90 pour la coalition de l’opposition Lamuka. Sur les 108 membres du Sénat, 87 au moins sont affiliés au FCC, trois au CACH et 13 à Lamuka. Globalement, les sièges occupés par le FCC à l’Assemblée nationale et au Sénat représentent plus des trois cinquièmes de la majorité et accordent à la coalition des pouvoirs législatifs étendus. Dans les provinces, le FCC détient la majorité dans 25 des 26 assemblées, Lamuka disposant du plus grand nombre de sièges dans le Nord-Kivu. De plus, le FCC assure la présidence dans 24 assemblées et 23 gouverneurs sont issus de ses rangs. Lamuka exerce la présidence dans deux assemblées provinciales, alors que CACH n’en assure qu’une seule. Les coalitions Lamuka et CACH ont chacune un poste de gouverneur. Certaines factions de l’UDPS ont exprimé leur mécontentement à l’égard de la prédominance du FCC, alors que des désaccords liés à la répartition de postes clefs ont par ailleurs divisé le FCC. Les 12 et 13 juin, les partisans de l’UDPS ont manifesté à Kinshasa, Lubumbashi (Haut-Katanga) et Mbuji-Mayi (Kasaï-Oriental) et des heurts les ont opposés aux partisans du PPRD en raison de dissensions entre CACH et le FCC. Les partisans de l’UDPS ont mis le feu au siège local du PPRD à Lubumbashi et à Mbuji-Mayi. Le 14 juin, à Kinshasa, à l’initiative du Gouverneur de la Province de Kinshasa, les représentants de CACH et du FCC se sont réunis pour réaffirmer l’engagement des deux coalitions à surmonter les malentendus et à gouverner dans un esprit de collégialité.
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Le 30 mai, la dépouille du chef de l’opposition Étienne Tshisekedi, fondateur de l’UDPS et opposant politique des anciens présidents Mobutu Sese Seko, LaurentDésiré Kabila et Joseph Kabila, a été rapatriée depuis la Belgique. Des funérailles nationales ont eu lieu le 31 mai et le 1er juin à Kinshasa. Étienne Tshisekedi a été admis, à titre posthume, dans l’ordre national « Héros nationaux Kabila-Lumumba » au grade de Grand Cordon.
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Le Président Tshisekedi a entrepris des visites au Kenya (13 mars), en Angola (22 mars), en Ouganda (23 mars) et au Rwanda (du 24 au 26 mars) afin d’aborder les questions de la stabilité régionale, de la sécurité et des relations économiques. Il s’est également rendu au Burundi, en Guinée équatoriale, au Gabon et en Tanzanie entre le 11 et le 14 juin. Dans le cadre de ses visites, le Président Tshisekedi a souligné la nécessité d’une coopération régionale, condition préalable à l’instauration de la paix dans l’est de la République démocratique du Congo, et ce dans le droit fil des engagements de sa campagne. À l’issue d’une visite d’une délégation du Gouvernement rwandais à Kinshasa le 20 mars, RwanAir – la compagnie aérienne nationale du Rwanda – a inauguré le 17 avril des vols commerciaux entre les deux pays. Le 10 mai, le Président Tshisekedi a rencontré le chef d’état-major des Forces de défense du Rwanda, le général Patrick Nyamvumba, lequel avait eu plus tôt dans la journée une séance de travail avec son homologue congolais, le lieutenant-général Célestin Mbala, afin d’examiner des questions de coopération en matière de sécurité. Du 3 au 7 avril, le Président Tshisekedi s’est rendu aux États-Unis d’Amérique où il s’est entretenu avec de hauts responsables du Gouvernement américain sur des questions de coopération politique, économique et sécuritaire. Le 25 mai, le Président Tshisekedi a assisté à Pretoria à la prestation de serment du Président sud-africain, Cyril Ramaphosa. Le 31 mai, en marge des funérailles d’Étienne Tshisekedi, les Présidents João Lourenço (Angola), Paul Kagamé (Rwanda) et Félix Tshisekedi ont tenu une réunion ayant pour thème les questions de coopération, de développement et de sécurité dans la Région des Grands Lacs. Ainsi qu’il est indiqué dans le communiqué final de la réunion, ils sont convenus de relancer le processus de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs, de renforcer les relations économiques et commerciales, et d’examiner la question des groupes armés congolais et étrangers. Le Président Tshisekedi a par ailleurs posé la candidature de la République démocratique du Congo à l’adhésion à la Communauté d’Afrique de l’Est.
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Le Président Tshisekedi a donné un nouvel élan au Mécanisme national de suivi de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique et la région (l’Accord-cadre), en mettant davantage l’accent sur la réforme de la justice, la lutte contre l’impunité, ainsi que sur les questions de désarmement, démobilisation et réintégration. De plus, les 5 et 6 juin, à Kinshasa, les responsables du Mécanisme national de suivi de l’Accord-cadre ont organisé une réunion à laquelle ont participé les chefs des services de renseignement et de sécurité de la République démocratique du Congo, du Rwanda, de la Tanzanie et de l’Ouganda. Les participants se sont félicités, notamment, de l’adoption d’une approche globale de la neutralisation des groupes armés dans l’est de la République démocratique du Congo et sont convenus de promouvoir l’échange d’information entre les services de renseignement et de sécurité de la région sur des questions d’intérêt commun.
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Dans le cadre du « programme d’urgence des 100 jours » et en application de l’accord politique du 31 décembre 2016, le Président Tshisekedi a gracié environ 700 détenus politiques, notamment Me Firmin Yangambi et le chef de l’opposition Franck Diongo. De plus, conformément à son engagement de lutter contre la corruption, le Président a suspendu de ses fonctions le Ministre des affaires foncières, Lumeya Dhu Maleghi, ainsi que les chefs des organismes gouvernementaux et paraétatiques en raison de leur implication présumée dans des affaires de corruption.
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Le Président Tshisekedi en entamé une tournée nationale le 12 avril dans plusieurs provinces, durant laquelle il s’est rendu à Beni, Boma, Goma, Kasumbalesa,
Kinsangani et Lubumbashi. Au cours de ces visites, il s’est entretenu avec des responsables politiques et militaires sur la situation de sécurité, la reddition de différents éléments de groupes armés, l’insécurité urbaine et l’épidémie d’Ebola. Il a fait part de son intention de s’occuper des questions disciplinaires et des conditions sociales des forces nationales de sécurité. Il a par ailleurs ordonné que les forces nationales de sécurité soient relevées de leurs fonctions de garde des sites et entreprises miniers. -
La dynamique de l’opposition a évolué au cours de la période considérée. Après une réunion de ses membres fondateurs à Bruxelles fin mars, la plateforme électorale de Lamuka est devenue une plateforme politique, Moïse Katumbi en ayant été nommé, par rotation, premier coordonnateur pour une période de trois mois. En raison d’allégations de dissensions internes, le candidat présidentiel de Lamuka aux élections du 30 décembre 2018, Martin Fayulu, a poursuivi son combat pour « la vérité des urnes » et a organisé des rassemblements réunissant de nombreux participants à Kisangani et Kinshasa. Le 20 mai, Moïse Katumbi est revenu en République démocratique du Congo après deux années d’exil. Son retour a suivi l’annulation de la peine de prison de trois ans qui lui avait été infligée pour spoliation immobilière et l’abandon de toutes les procédures engagées à son encontre. Se félicitant des progrès accomplis par le Président Tshisekedi, notamment en matière d’ouverture de l’espace politique, Moïse Katumbi s’est engagé à adopter une approche pragmatique pour aller de l’avant, promouvoir la cohésion nationale et œuvrer de manière constructive en tant qu’« opposition républicaine ». Il a néanmoins mis en garde contre des tentatives présumées de changement de la Constitution. Le 31 mai, le chef de l’opposition Antipas Mbusa Nyamwisi, membre de la coalition Lamuka, est revenu en République démocratique du Congo après sept ans d’exil. Le 17 juin, il s’est retiré de la coalition, invoquant le besoin de se consacrer pleinement à appuyer les efforts déployés par les pouvoirs publics pour remédier à l’épidémie d’Ebola et à l’insécurité régnant dans le territoire de Beni (province du Nord-Kivu). Le 23 juin, Jean-Pierre Bemba, un autre membre de Lamuka et président du parti politique dénommé Mouvement de libération du Congo, est revenu en République démocratique du Congo.
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La société civile et les organisations confessionnelles ont continué de jouer un rôle particulièrement constructif. Tout en proposant au Président Tshisekedi de travailler avec lui à la réalisation de son programme, les membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo l’ont prié de tendre la main aux dirigeants de l’opposition. En prévision des élections locales et municipales, certaines organisations, dont le Conseil national de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA), ont appelé à réformer la Commission électorale nationale indépendante dont le mandat expire fin juin. Pourtant prévues au dernier trimestre de 2019, ces élections n’ont pas encore donné lieu à d’importants préparatifs, d’après ce qui a été observé.
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Après une série de grèves déclenchées à l’issue de l’investiture du Président Tshisekedi, la situation socioéconomique s’est apaisée. Le taux de change est resté stable, et une réduction de 14 % à 9 % du taux de base d’emprunt de la Banque centrale, laquelle a été annoncée le 30 avril, devrait faire baisser les taux d’intérêt offerts par les banques commerciales. Dans l’intervalle, le prix du cobalt, un des principaux produits d’exportation et une des principales sources de recettes publiques, s’est stabilisé après une forte baisse en 2018. Une réunion tenue à Washington le 5 avril entre le Président Tshisekedi et la Directrice générale du Fonds monétaire internationale (FMI), Christine Lagarde, a ouvert la voie à une reprise de la coopération entre la République démocratique du Congo et le FMI. Ce dernier a dépêché une mission à Kinshasa du 22 mai au 4 juin pour évaluer l’évolution économique et financière et déterminer dans quelle mesure il pourrait accompagner les efforts menés à l’échelon national pour redynamiser l’économie.
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Concernant la gouvernance de l’appareil de sécurité, la MONUSCO a appuyé les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) en vue de la mise en place d’une relève des contingents, dans l’attente de nouvelles initiatives visant à améliorer la situation de sécurité dans l’est de la République démocratique du Congo. La Mission a en outre adressé des recommandations en matière de gouvernance de l’appareil de sécurité aux Ministres de l’environnement, de la défense et de l’intérieur.
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Dans l’exercice de son mandat de bons offices consistant à appuyer la consolidation du processus de transition après les élections, ma Représentante spéciale pour la République démocratique du Congo et Chef de la MONUSCO, Leila Zerrougui, a rencontré, entre autres, le Président Tshisekedi, le Chef du cabinet du Président, Vital Kamerhe, et d’autres acteurs politiques et hauts responsables des autorités provinciales au cours de la période considérée.